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Lettre à un candidat à la présidentielle

par Claude Sicard
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Cher Monsieur,

Je voudrais vous féliciter pour le très beau meeting que vous avez organisé samedi 5 Février à Lille, terre d’élection de la très rétive et intransigeante Martine Aubry qui n’a pas manqué, avec le renfort de SOS Racisme, de se déclarer hostile à votre venue dans son fief. La salle qui réunissait plus de six mille de vos ardents aficionados a été fort bien chauffée par les diverses personnalités politiques qui sont à la tête de votre mouvement, et Philippe de Villers, avec son talent oratoire habituel, a su galvaniser son auditoire en entonnant la fameuse chanson « les Corons » de Pierre Bachelet qui a été reprise, en chœur, avec une fougue joyeuse, par toute l’assistance.

Et, finalement, il y eut votre propre intervention, après que vous ayez cheminé dans la foule sous les hourras. Vous avez débuté votre discours en faisant la louange, tout à fait justifiée, des vertus et qualités de cette population du Nord, une « terre historique de courage et de travail » avez-vous dit. Lille a, en effet, un très riche passé industriel avec ses brasseries, ses manufactures de coton, de laine, et de soie. C’est une région industrieuse qui a été très active pendant la Révolution industrielle et qui, ensuite, avec l’ouverture de notre pays à la mondialisation, a été gravement sinistrée, perdant toutes ses industries textiles sous l’effet de la concurrence des pays émergents. Je me réjouissais donc de ce que vous ayez choisi de vanter, en introduction, les qualités de travail et d’abnégation de la population de cette région, une population qui préfère, avez-vous souligné, le travail à l’assistanat. Je pensais que c’était, là, un excellent préambule à la présentation que vous alliez faire d’un grand projet de réindustrialisation de notre pays, un projet, avais-je imaginé, que vous alliez dévoiler à vos supporters à deux mois de l’élection présidentielle à l’occasion d’un meeting qui se tenait, précisément, dans une région autrefois extrêmement industrialisée. Mais au lieu de cela, vous avez bifurqué sur des considérations touchant au pouvoir d’achat de nos concitoyens. Vous avez pris le soin de détailler très longuement la façon dont vous allez vous y prendre pour accroitre le pouvoir d’achat des Français, et tout particulièrement des parties de la population les plus défavorisées. Ces développements ont été intéressants, mais quelque peu toutefois laborieux, d’autant que les mesures annoncées pour financer ces améliorations du pouvoir d’achat n’ont pas paru solidement étayées. Dans votre approche, ces accroissements de revenus seront financés essentiellement par les économies à réaliser sur les dépenses entrainées par l’accueil par trop généreux de tous ces immigrés qui viennent s’installer dans notre pays. Votre intention est louable, et des économies extrêmement importantes sont effectivement à faire au profit des classes laborieuses de notre pays, mais pour augmenter le pouvoir d’achat de nos concitoyens la voie que vous indiquez n’est pas la bonne.

Il est tout à fait désolant que les économistes sur lesquels vous vous appuyez ne vous aient pas indiqué que le redressement de l’économie française passe, inévitablement, par la réindustrialisation de notre pays. L’industrie, en effet, joue un rôle-clé dans l’économie d’un pays, intervenant de plusieurs manières.

Tout d’abord, il faut voir que c’est, des trois secteurs qui constituent l’activité économique d’un pays, celui où la productivité augmente le plus rapidement, et Jean Fourastié avait précisément pris ce critère pour établir son classement des activités en trois secteurs dans son ouvrage « Le grand espoir du XXe siècle » paru en 1952, qui eut un immense succès et qui a marqué plusieurs générations.

Second intérêt : les économistes considèrent qu’un emploi créé dans l’industrie génère automatiquement trois emplois dans le secteur tertiaire, celui dit des « services » : transports, bureaux d’études, maintenance, gardiennage, commerces, etc. C’est donc un remède extrêmement efficace pour lutter contre le chômage.

Troisième intérêt : la génération de devises par les exportations, et elle est indispensable pour payer les importations d’un pays. C’est, précisément, parce que son secteur industriel a failli que la France a une balance commerciale chaque année déficitaire, et ce, depuis maintenant une vingtaine d’années : les exportations d’un pays développé sont, en effet, constituées à 70 % ou 75 % par des biens manufacturés.

Quatrième raison : ce sont les entreprises industrielles qui, dans un pays, font de la recherche appliquée, une recherche qui permet de perfectionner les produits que nous utilisons et d’en créer de nouveaux. La Recherche publique, dans les pays, est en charge de la Recherche fondamentale, et il y a donc un partage des rôles entre le secteur public et le secteur privé, encore faut-il qu’il existe un tissu industriel constitué par beaucoup d’entreprises de taille intermédiaire (les ETI) et par bon nombre de grandes entreprises industrielles.
Enfin, dernière raison : l’industrie est un irremplaçable instrument d’aménagement du territoire, et le mouvement des gilets jaunes qui a beaucoup troublé le quinquennat d’Emmanuel Macron en a été la plus belle illustration : les gens ont manifesté avec la plus grande vigueur, se plaignant de la paupérisation de la population et de la désertification du territoire.

Je suggère donc que vous inscriviez d’urgence dans votre programme, et comme une priorité absolue, un grand projet de réindustrialisassions de notre pays : ce sont, en effet, les activités industrielles qui créent véritablement de la richesse, et les économistes démontrent avec des courbes et des équations qu’il y a dans tous les pays une relation très étroite entre la production industrielle et les niveaux de PIB per capita de la population. La France avec une production industrielle de 6.432 US$ par habitant en est à un PIB de 39.030 US$/tête, l’Allemagne avec un ratio de 12.279 obtient un PIB/tête de 46.208 US$, et la Suisse qui a une production industrielle record de 22.209 US/habitant se situe à un PIB/tête de 87.097 US$. Il est donc surprenant que cela ait pu échapper aux économistes qui vous entourent, et je leur suggère donc de se reporter aux travaux que j’ai pu effectuer dans ce domaine.

Pour réindustrialiser notre pays il faudra, si l’on veut que cela puisse se faire dans des délais raisonnables, des aides puissantes de la puissance publique. Il s’agira non pas de faire de la planification, mais simplement d’accompagner les entreprises dans leurs efforts d’investissement, en leur laissant le libre choix de leurs décisions. Et ces aides à l’investissement, basées sur les emplois créés, ne pourront qu’être extrêmement importantes, car il va s’agir de recourir très largement aux investissements étrangers, les seules entreprises françaises n’y suffisant pas. Il faudra orienter vers nous une très grande partie des IDE (investissements directs étrangers) qui chaque année s’oriente vers l ‘Europe, l‘objectif étant d’en capter environ la moitié. Il faudra, évidemment, faire admettre cette politique d’aide à l’investissement par les autorités de Bruxelles en leur faisant valoir que nous sommes aujourd’hui un pays sinistré : notre industrie, en effet, ne concourt plus que pour 10 % seulement à la formation du PIB, alors que la moyenne européenne est à 18 % : la France est devenue le pays en Europe qui est, à présent, le plus désindustrialisé, la Grèce mise a part. Cela la contraint à des dépenses sociales extraordinairement élevées, ce qui nécessite des prélèvements obligatoires qui sont les plus importants aujourd’hui de tous les pays de l’OCDE, et ceux-ci n’étant jamais suffisants, un recours chaque année à de l’endettement, en sorte que la France a un endettement extérieur qui ne cesse de progresser : il se monte maintenant à 116 % du PIB, et cette situation ne peut donc plus durer.

Les économistes qui vous entourent devront bâtir dans l’urgence un plan d’intervention pour réindustrialiser notre pays : c’est la priorité numéro un, car c’est en réindustrialisant le pays que vous créerez la richesse que vous recherchez pour améliorer le sort des classes les plus défavorisées, et c’est ainsi que notre économie retrouvera, peu à peu, ses grands équilibres.

En souhaitant que vos équipes auront le temps de compléter votre programme en y adjoignant le volet essentiel de la réindustrialisation qui lui fait défaut, aujourd’hui, je vous prie, cher Monsieur, …

Claude Sicard

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