Exceptionnelle unanimité dans la France politique contre l’adoption du traité de libre échange avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, Bolivie). Le Premier ministre s’est rendu à Bruxelles pour exprimer son opposition absolue, et le Président a fait le voyage en Amérique du Sud pour rencontrer les chefs d’État brésilien et argentin en affirmant que la France jugeait inacceptable de signer l’accord « en l’état ». La raison en est qu’il était impossible que la France exige de ses éleveurs bovins des contraintes sanitaires rigoureuses en laissant importer des viandes de pays ne connaissant aucune réglementation et pratiquant l’utilisation d’hormones de croissance qui sont strictement interdites en Europe depuis quarante ans (y compris pour l’importation).
Le malheur est que la France est le seul pays européen ayant cette attitude radicale, même si certains autres font preuve de leurs inquiétudes et pourraient voter contre l’adoption du traité. Mais il paraît exclu que la majorité requise de 55% des pays réunissant 65% des habitants européens ne soit pas obtenue pour l’adoption de la partie commerciale du traité (celle qui traite des droits de douane). Surtout dans la mesure où l’Allemagne, suivie par l’Espagne et l’Italie, tient très fort à cette adoption.
Hélas, nous voici encore en France victime de l’intox et de la désinformation, de la méconnaissance de l’intérêt général et de la soumission à l’attitude démagogique des partis politiques n’ayant que leur propre intérêt politicien comme ligne de conduite. Le tout dans le refus de reconnaître que l’origine du problème se situe en France du fait de la réglementation bureaucratique parfaitement excessive que la France est la seule en Europe à imposer à ses éleveurs.
Le traité du Mercosur présente un intérêt primordial pour l’Europe.
Sans aller dans le détail, il est reconnu partout que le traité, dont le principe est l’abaissement des droits de douane, ouvre un marché considérable aux pays européens : 300 millions d’habitants pour les cinq pays considérés, sans compter les pays alliés au Mercosur, soit 82% du PIB d’Amérique du Sud. L’Allemagne compte y vendre ses voitures et ses produits industriels, l’Espagne ses produits alimentaires, l’Italie, à l’origine favorable, est toutefois devenue plus hésitante pour les mêmes raisons que la France, mais il est reconnu que la France ne peut pas espérer réunir un ensemble d’oppositions suffisant pour faire échec à l’entrée en vigueur du traité.
Ce sont évidemment l’agriculture et l’élevage qui sont au cœur des réticences dans tous les pays, mais même en France le traité serait favorable notamment pour le vin, le lait, les fromages etc…En d’autres termes, l’Europe, et aussi la France comme on va le voir, compteraient plus de gagnants que de perdants. C’est une question d’intérêt général.
Les quotas d’importation de viande bovine, source de la « colère » des éleveurs français, seraient extrêmement limités par le traité.
En effet, ce quota négocié est de 99.000 tonnes de viande bovine, alors que la production européenne est de 7,78 millions de tonnes, soit 1,2%, ce qui fait dire à Bruxelles que l’Europe n’aurait aucune difficulté à absorber l’ éventuelle augmentation des importations en provenance des pays du Mercosur (équivalent d’un steak de 200 grammes par an et par habitant). D’autre part, l’Europe importe déjà 67.000 tonnes de viande bovine brésilienne par an : l’augmentation serait donc très faible. Certes ces importations se font aux conditions douanières actuelles (40 à 45% de droits) mais selon Bruxelles la substitution des quotas aux importations taxées ne serait que très partielle.
Quant à la France, elle importe de plus en plus de viande bovine, et en exporte de moins en moins, en raison de son déficit grandissant de production – compte tenu d’une forte consommation dans le pays (32.000 tonnes). Mais ces importations viennent pour la quasi-totalité d’Europe (Pays-Bas et Irlande en premier) et de façon anecdotique du Brésil (1,3 de part de marché), ce qui signifie que le problème vient seulement du manque de compétitivité de la France à l’égard de ses concurrents européens et nullement des concurrents hors Europe. Un agriculteur du Cantal aurait ainsi déclaré à un ministre qu’il n’y aurait pas d’opposition à la signature du Mercosur si la France prenait les mesures nécessaires pour assurer sa compétitivité à l’égard de l’Europe…
Le Mercosur, bouc émissaire de problèmes internes à la France.
Les producteurs de lait français sont censés profiter du Mercosur. Mais ils estiment que son entrée en vigueur ne résoudrait pas leur problème. Ce qui signifie qu’ils sont actuellement, et depuis longtemps à vrai dire (souvenons-nous de José Bové, actif depuis un demi-siècle!) en difficulté pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le traité en question. Les agriculteurs français souffrent les problèmes bien connus que sont une réglementation bureaucratique et tatillonne qui leur coûte cher, une surtransposition des règles européennes, et aussi les interdictions ayant leur source dans la pression écologique (souvenons-nous aussi de la ferme des mille vaches, qui a attendu cinq années une autorisation qui n’est jamais parvenue, et qui a dû jeter l’éponge en 2021), comme l’interdiction de pesticides autorisés partout ailleurs. La France est donc sur ces questions en situation très défavorable de compétitivité à l’égard des agriculteurs européens.
Que le Mercosur entre ou non en vigueur ne changera rien aux problèmes des agriculteurs français aussi longtemps qu’il ne leur sera pas donné satisfaction sur les questions de compétitivité européenne. Mais cette évidence est parfaitement occultée au profit d’un amalgame navrant avec l’entrée en vigueur du Mercosur, amalgame dont se rendent coupables les agriculteurs dans leurs manifestations, mais aussi l’ensemble de la classe politique. Signalons au surplus que les agriculteurs n’admettent pas la restriction apportée par Emmanuel Macron dans son opposition au traité « en l’état » de ce dernier. Ce qui signifie qu’ils refusent toute entrée en vigueur, même si la question sanitaire était réglée…
Quid du problème du bœuf aux hormones ?
Combat légitime, n’est-ce pas, que celui exprimé par Emmanuel Macron lorsqu’il s’oppose à la signature du traité « en l’état », faute pour les pays du Mercosur d’appliquer des règles sanitaires conformes à la réglementation européenne ? Certes, mais ce n’est précisément pas une raison, bien au contraire, pour refuser le traité.
En effet, c’est à l’occasion de la négociation du traité que la Commission européenne a lancé un audit, lequel a montré que le bœuf brésilien importé actuellement du Brésil révélait l’utilisation d’hormones de croissance par les producteurs. Mais, ainsi que l’indique Ouest France notamment, « le rapport de l’UE assure : « L’autorité compétente (brésilienne, NDLR) ne peut pas garantir la fiabilité des déclarations sous serment des opérateurs concernant la non-utilisation d’œstradiol chez les bovins. Par ailleurs, les étiquettes des produits vétérinaires autorisés au Brésil ne mentionnent pas d’interdiction pour les exportations vers l’Europe. »
En 2023, 41.000 tonnes de bœuf brésilien ont été importées dans l’Union européenne. Pour l’heure, impossible de déterminer la quantité contaminée aux hormones. La Commission a donc suspendu les exportations de viande bovine femelle brésilienne en attendant des mesures correctives. Le Brésil a douze mois pour se conformer aux exigences européennes. »
Le résultat, est que le Brésil a, de sa propre initiative, décidé de cesser tout exportation de bœuf depuis le 30 octobre. Ce sera donc à mettre au crédit du traité s’il entre en vigueur que d’avoir obtenu ce résultat très bénéfique pour l’Europe du point de vue sanitaire, sans lequel la situation actuelle défavorable se continuerait…
Conclusion
Au lieu de résoudre la question par des réformes, la France va donc se trouver isolée et risque très fort d’être désavouée par l’Europe qui signera la partie commerciale du traité pour laquelle la Commission européenne a compétence. Le gouvernement a l’intention de demander un vote au Parlement pour faire pression sur Bruxelles, mais ce vote n’aura aucune valeur juridique, et n’aura comme effet que de signer la défaite diplomatique de notre pays.
Tout cela pour le refus de signer un traité profitable au niveau de l’intérêt général, tant du point de vue économique que du point de vue sanitaire, ainsi que pour l’incapacité à promouvoir en France les réformes qui s’imposent en tout état de cause pour remédier au manque de compétitivité des éleveurs français à l’égard de leurs concurrents européens. Oui, quel gâchis !