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Les Français vivent au dessus de leurs moyens

par Claude Sicard
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Tel est l’avertissement, on s’en souvient, que lança aux Français Raymond Barre, en 1976, en présentant son « Plan de rigueur ». Il venait d’être nommé premier ministre par Valéry d’Estaing qui avait déclaré, en lui confiant ce poste, qu’il était « le meilleur économiste de France ». Notre pays venait de connaître son premier exercice déficitaire, et c’en était donc fini de la période des « Trente Glorieuses ». Depuis, chaque année, l’État recourt à la dette pour boucler le budget de la nation, si bien  qu’elle a fini par devenir considérable, dépassant même maintenant le montant du PIB. On est parvenu au terme du processus consistant à recourir chaque année à la dette pour faire fonctionner l’économie du pays et doper le niveau de vie des français . On en est à une dette de 111 % du PIB, et un déficit de 6,1 %, et le service de cette dette nous coûte extrêmement cher. Le FMI s’inquiète de la situation, et la Commission Européenne a ouvert une procédure contre nous pour « déficit excessif »..

Notre dernier exercice en équilibre remonte à 1974 : depuis, nos gouvernants ont eu recours chaque année à la dette pour boucler le budget de la nation. En 2005, Thierry Breton, ministre de l’Économie, a  redit aux Français  « La France vit au dessus de ses moyens », et il n’a pas manqué de rajouter : « Il faut remettre les Français au travail ». Mais, dans le PLF pour 2006, il s’est trouvé contraint, à son tour, de proposer un budget avec un déficit important de 46,8 milliards d’euros. En somme, aucun progrès n’avait été réalisé depuis que le « meilleur économiste de France » avait eu l’audace de tirer la sonnette d’alarme. Et, par la suite, on a continué, inexorablement, dans la même ligne.

On doit  donc s’interroger pour savoir d’où vient le mal français ?

Un niveau de vie très supérieur aux capacités propres de l’économie du pays

L’INSEE a publié, en 2020, une étude sur les niveaux de vie en Europe. On y voit que la France se situe à la 6e place, alors qu’en matière de PIB/capita notre pays vient seulement en 14e position. Aussi, si l’on fait une corrélation entre les niveaux de vie des pays et leur PIB/capita on constate que nous nous trouvons bien au dessus de la droite de corrélation, comme le montre le graphique ci-dessous :

L’équation de la droite indique que nous sommes à 17,6 % au dessus de ce que permet le niveau de richesse du pays. Nous avons un niveau de vie supérieur aux capacités qu’a notre économie pour le fournir, et c’est donc pour cela que l’on s’endette chaque année. Si l’on cesse de s’endetter, le niveau de vie des Français va baisser.

Une économie apathique et peu dynamique 

La Division des Statistiques des Nations-Unies a publié, en 2019, une étude montrant comment évolue l’économie des pays dans la longue période. Les responsables politiques sont par trop accaparés par les problèmes à régler au jour le jour, et les tendances de fond leur échappent.

Nous indiquons, ci-dessous, les résultats de ces travaux pour quelques pays en Europe, en prolongeant les séries jusqu’en 2021 :

PIB/tête  (US dollars  courants )

1980  20002021Multiplicateur
Israël    6.39321.99052.1708,2
Espagne6.14114.55630.1034,9
Suisse18.87937.93791.9914,9
Danemark13.88130.73468.0074,9
Allemagne12.09123.92951.2034,2
Pays-Bas13.79420.14857.7674,2
France12.66922.16143.6593,4
(Source : ONU, Statistics Division)

On voit ainsi que la tendance de fond de l’économie française est à une croissance faible. Nous avons montré, dans d’autres articles, que ce phénomène résulte de la très grave désindustrialisation du pays. Nous sommes, à présent, le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce exceptée, et notre secteur industriel ne représente plus que 10 % du PIB,  alors que l’Allemagne ou la Suisse en sont à des taux de 23 % ou 24 %. Mais les dépenses publiques ont continué à croître tout naturellement pour satisfaire les besoins de la population.

Nous indiquons, ci-dessous, ce que sont ces dépenses lorsqu’on prend le soin de les calculer par habitant, ce qu’il faut faire puisqu’elles sont destinées, précisément, à assurer le bien être des citoyens :

Dépenses publiques/habitant (en 2023)

 (En US$)

Grèce11.538
France25.529
Allemagne25.959
Suède27.047
Pays Bas27.150
Finlande29.821
(Source : BIRD)

Nos dépenses publiques sont de même importance que celles de beaucoup de nos voisins, mais il s’agit alors de pays bien plus riches que nous ! C’est notre PIB qui est en retard, comme l’a montré le tableau figurant plus haut.  

La fin d’une période faste :

Michel Barnier, notre nouveau premier ministre, se trouve dans une situation inextricable, et il va s’en rendre compte très vite. Ses prédécesseurs ont eu recours, chaque année, à  l’endettement pour faire fonctionner notre économie : mais on est parvenu, maintenant, au terme  de la possibilité de recourir à cet expédient. Pour redresser la situation il va falloir réindustrialiser le pays : il n’y a pas d‘autre solution, car c’est bien la désindustrialisation qui nous a appauvris. Mais cela va demander énormément de temps, car le contexte européen n’est pas du tout favorable et le coût du travail est trop élevé  en France.

Le recours à l’endettement chaque année a fait que la population ne s’est pas ressentie de notre appauvrissement. Quant à nos dirigeants, ce n’est seulement qu’à l’occasion de la crise du Covid-19 qu’ils ont pris conscience de la désindustrialisation du pays : ils ont laissé le pays se désindustrialiser depuis la fin des Trente Glorieuses sans broncher, convaincus  qu’un pays économiquement avancé n’a plus d’activités  industrielles. Ils se sont laissé piéger par des sociologues de renom qui, faisant une mauvaise interprétation de la « loi des trois secteurs de l’économie » qu’avait énoncée Jean Fourastié dans son ouvrage « Le grand espoir du XXe siècle » (PUF)  paru en 1950, ont décrété qu’une  société moderne était « postindustrielle », c’est-à-dire sans industrie. Ce fut l’erreur qui a conduit au désastre actuel : une erreur fatale.

On entre, donc, dans une ère nouvelle où il va falloir faire fonctionner l’économie sans plus recourir à l’endettement : cela signifie une baisse du pouvoir d’achat et du niveau de vie de la population. Mais l’opinion publique n’y est pas préparée. On va donc continuer à s’endetter jusqu’au jour où l’on devra, comme cela s’est produit en Grèce, faire appel à la fameuse Troïka : BCE, FMI,  et Commission Européenne. Le Fonds Monétaire, d’ailleurs, voit déjà  la dette de la France atteindre 124,9 % du PIB en 2029 ! 1

Ce serait une véritable humiliation pour la France, et une épreuve très rude pour la population. Il  y eut, en Grèce, une réduction des dépenses publiques de 30 %, une baisse des salaires de 15 %, et un abaissement des dépenses de santé de 40 %. Il s’en suivit une  série de suicides et une augmentation de la mortalité des nourrissons. Et la Grèce dut vendre ses bijoux de famille : le port du Pirée cédé aux Chinois (Cosco), quatorze aéroports régionaux  vendus aux Allemands (Fraport), etc……

Il paraîtrait impensable que notre pays en vienne à connaître le sort de la Grèce, et il est donc urgent que Michel Barnier agisse avec la plus grande vigueur : pour l’instant il en est à des atermoiements.

  1. Contrairement aux apparences, tant que le budget annuel sera en déficit, la dette continuera à augmenter  chaque année ↩︎

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1 commenter

NewTonE novembre 2, 2024 - 4:41 pm

N’y-a-t’il que des aveugles ou des menteurs parmi les « économistes » collègues de Claude SICARD ? Comment est-il possible d’écrire que  » Les Français vivent au dessus de leurs moyens » , alors que 2 groupes de Français, largement majoritaires dans la population , vivent de « moyens », plus précisément de « revenus » de nivaux très inégaux, et divergents avec le temps ?
Ces 2 groupes sont des groupes dont les « moyens » habituellement qualifiés de « revenus » sont constitués de salaires et pensions de retraites: Les salariés et retraités des 3 Fonctions Publiques d’une part , et les salariés et retraités du secteur privé d’autre part. Les salariés de ce second groupe cotisent , pour leur retraite, à la CNAV et aux caisses de l’AGIRC-ARRCO. Ils en reçoivent ensuite leurs pensions quand ils deviennent retraités. M Sicard s’est-il, un jour, préoccupé de connaître les niveaux moyens – par membre du groupe- des revenus de chacun des Français de ces 2 groupes ? Et de leur évolution au cours des dernières années ? Ne sait-il pas que la masse des revenus – salaires + pensions- des fonctionnaires évolue comme l’encours de la dette ? Connait-il l’évolution, en %, des revenus du groupe des Fonctionnaires par rapport aux « moyens » de la France ? ( On doit pouvoir admettre que les « moyens » de la France sont précisément les « recettes  » du budget – réalisé- de la France ).
Il est certain que les Français, dans leur ensemble, vivent au dessus des moyens de la France depuis 1981. Mais il est également certain que le « niveau de vie » des salariés et retraités du Privé continue à se détériorer par rapport à celui des Fonctionnaires. Autrement dit: les Français qui produisent vraiment la richesse nationale ( Mesurable par le PIB marchand) voient leur niveau de vie diminuer. Ils travaillent pour améliorer le niveau de vie des fonctionnaires qui ne produisent rien de « vendable » à l’étranger. ( Avez-vous vu un autre pays acheter du « service public » français ?)

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