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RSA jeune, nouvelle trappe à l’exclusion

par Dominique Mercier
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Promulguée il y a quelques semaines, l’expérimentation « garantie jeunes » est un prélude à ce qu’aucun gouvernement de droite ni de gauche n’avait osé faire auparavant : instaurer un revenu minimum pour les jeunes de 18-25 ans, avec toutes les conséquences perverses que cela entraîne.

Cette « garantie jeunes » est une sorte de RSA jeune, aux conditions beaucoup moins strictes que le « RSA jeune actif » qui existe déjà, ce dernier exigeant deux ans d’activité professionnelle à temps plein dans les trois ans précédant la demande d’allocation[[http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F286.xhtml. Il ne bénéficie aujourd’hui qu’à environ 10.000 jeunes.]]. Le nouveau dispositif, expérimenté dans une quarantaine de villes, s’adressera quant à lui à un public beaucoup plus large puisqu’il s’adressera à tous les jeunes qui ne sont ni en formation, ni en école, ni en emploi, vivant hors du foyer familial ou y vivant sans en recevoir de soutien financier. Ces jeunes recevront l’équivalent du RSA pour une personne seule, soit un peu moins de 500 euros mensuels. Ce revenu s’ajoutera intégralement aux prestations sociales reçues par ailleurs et s’ajoutera intégralement aussi à leurs revenus d’activité si ceux-ci ne dépassent pas les 300 euros[[Sont considérés comme des ressources d’activité, les revenus d’activité professionnelle, les indemnités de chômage et de sécurité sociale, les allocations de formation, les indemnités de stage, les indemnités de formation professionnelle et de service civique.]] par mois.

L’instauration d’un revenu minimum pour les jeunes est cependant le moyen le plus sûr de les enfermer dans la pauvreté. Cela a été montré sans équivoque par la plus ambitieuse expérience de science sociale de toute l’histoire américaine[[http://www.emploi-2017.org/pourquoi-les-aides-sociales-sont-l-ennemi-des-pauvres.html]]. Ces expérimentations ont été conduites sur deux populations au profil identique, l’une pouvant recevoir le salaire minimum et l’autre pouvant recevoir les aides sociales classiques de l’époque, les résultats comparant ensuite les heures travaillées dans les deux populations. Il en ressort qu’en présence d’une allocation minimum assurée, le nombre d’heures travaillées diminuait de 43% pour les hommes célibataires et de 33% pour les hommes mariés sans enfants[[ Charles Murray, Losing ground, p.151, édition de 1994, Basic Books.]].

Le gouvernement a en apparence anticipé cet écueil puisque pour bénéficier de l’allocation, le jeune doit signer un contrat avec une mission locale, contrat qui fixe « des engagements réciproques en vue de l’insertion sociale et professionnelle du jeune »[[ Décret n° 2013-880 du 1er octobre 2013 relatif à l’expérimentation de la « garantie jeunes » : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=E2F49692B6710C44A12DF6025955434C.tpdjo04v_3?cidTexte=JORFTEXT000028022726&dateTexte=20131021]]. Les jeunes seront à la fois repérés et suivis par une commission, constituée dans chaque territoire participant à l’expérimentation, qui aura le pouvoir de suspendre le versement de l’allocation en cas de non respect du contrat.

On peut cependant douter de l’efficacité d’un tel contrat, qui tout d’abord semble être établi à la discrétion de la mission locale. La susdite commission semble être par ailleurs une usine à gaz bureaucratique : elle est composée « du préfet de département ou de son représentant, du président du conseil général ou de son représentant et des présidents des missions locales participant à l’expérimentation ou de leurs représentants »[[ Ibid. Toutes les autres citations viennent également du décret n° 2013-880 du 1er octobre 2013 relatif à l’expérimentation de la « garantie jeunes ».]], auxquels s’ajoutent d’autres membres « désignés par le préfet de département parmi les acteurs impliqués dans l’insertion sociale et professionnelle des jeunes ». Cela fait beaucoup de monde pour une décision d’attribution ou de suspension d’allocation qui n’est pas a priori d’une grande complexité.

Par ailleurs, il est à noter que les missions locales dont il s’agit ici ont déjà pour rôle l’insertion des jeunes dans le marché de l’emploi et que leur inefficacité a été prouvée. D’après certaines estimations, elles n’arrivent à placer qu’environ 18% des jeunes suivis en CDI[[http://www.ifrap.org/Chomage-des-jeunes-une-generation-sacrifiee,11404.html#nb3]]. On peut légitimement se demander en quoi le versement d’un revenu à ces jeunes rendra le processus de réinsertion plus efficace. Il risque seulement de produire un appel d’air vers les moins motivés.

Outre cela, rien ne permet d’affirmer que la perception des allocations ne sera pas frauduleuse. Nous avons dit plus haut que pour percevoir ce revenu, les revenus d’activité du jeune ne doivent pas être supérieurs à 300 euros. Mais aucun mécanisme de contrôle ne semble être prévu. Le jeune s’engage seulement à « déclarer chaque mois ses ressources d’activité à la mission locale et à certifier la sincérité des informations communiquées ». Il est donc très vraisemblable qu’il y aura des tricheries. Nous avons dit également que ne peuvent bénéficier de cette allocation que les jeunes vivant « hors du foyer de leurs parents ou au sein de ce foyer sans recevoir de soutien financier » de ceux-ci. Or, il apparait tout aussi difficile de vérifier que le jeune ne reçoit pas de soutien financier de ses parents.

Une autre des conséquences de l’instauration de cette garantie jeunes est qu’elle poussera les jeunes, du fait de l’acquisition d’une certaine autonomie financière, à quitter le nid familial, sans que cela corresponde à une autonomie réelle. L’expérience américaine faite à échelle réelle a montré que la perception d’un revenu minimum de la part de l’État augmentait les divorces d’environ 40%[[ Charles Murray, Losing ground, p.152, édition de 1994, Basic Books.]], de la même manière l’instauration d’un revenu pour les jeunes les poussera à quitter leurs parents. Le décret prévoit même qu’à titre exceptionnel la garantie jeunes puisse être donnée à des jeunes ayant entre 16 et 18 ans, si elle constitue « un appui adapté au parcours vers l’autonomie ».

L’instauration de cette « garantie jeunes » est donc une mauvaise solution. Seuls des dispositifs pour encourager l’apprentissage en entreprise permettront de sortir de l’impasse les jeunes sans qualification et sans travail. À titre de comparaison, nous avons moins de 600 000 apprentis en France quand l’Allemagne en a plus de 1,6 million. C’est également le meilleur moyen de renforcer la compétitivité de la main-d’œuvre et d’augmenter la masse de ceux qui produisent de la richesse. Le Royaume-Uni l’a bien compris et c’est tout à fait possible puisque depuis 2010, il y a eu 1 million d’apprentis supplémentaires au Royaume-Uni. Mais cela a nécessité des incitations en faveur des entreprises. Le gouvernement britannique a par exemple accordé aux entreprises de moins de 1 000 salariés sans apprenti, une prime pour le recrutement d’un jeune âgé de 16 à 24 ans. Cela s’est aussi accompagné d’un allégement des procédures de recrutement et d’une simplification des exigences en matière de sécurité et de santé, souvent citées par les entreprises comme trop complexes et dissuasives à l’embauche des moins de 19 ans.

 

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1 commenter

SAINT-CAST François novembre 6, 2013 - 7:29 pm

RSA jeune, nouvelle trappe à l’exclusion
Excellent article

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