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IVG, la clause de conscience médicale n’a pas à plier devant le droit à l’avortement !

par Bertrand Nouel
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Une proposition de loi vient d’être votée à l’Assemblée nationale, tendant à allonger de 12 à 14 semaines le délai légal de l’IVG, ainsi qu’à supprimer la clause de conscience dont jouit le médecin.
Nous ne discutons pas ici de l’allongement légal, qui était de 9 semaines sous la loi Veil, passé à 10 semaines, puis à 12 semaines, et risquant de passer maintenant à 14 semaines (!) C’est avant tout un problème médical sur lequel le Comité d’éthique doit se prononcer.

La clause de conscience médicale

Nous évoquons ici la partie de la proposition tendant à supprimer la disposition légale de la clause de conscience spécifique à l’IVG. Selon le Conseil de l’Ordre des médecins, « La clause de conscience, c’est (…) le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi mais que (le médecin) estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques. » Il existe deux traductions du principe dans la loi, l’une générale, contenue dans un décret, et une autre, contenue dans des dispositions légales spécifiques dans trois cas particuliers : la recherche sur l’embryon, la stérilisation – et la pratique de l’IVG, qui nous occupe ici et que la proposition voudrait supprimer.

Les arguments insupportables en faveur de la suppression

Ce sont les arguments des députés promoteurs de la proposition qui attirent l’attention par leur grave fausseté intellectuelle et la crainte qu’ils font jaillir pour les libertés. On peut ainsi lire dans les débats à l’Assemblée que la clause de conscience serait le « symbole d’un pouvoir médical qui s’arroge le droit de contester la loi et continue de se mobiliser pour contrôler le corps des femmes ». Ou : « Nous soutiendrons également la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG. Cette possibilité, surannée et stigmatisante, qu’ont les médecins de refuser à une femme l’avortement sans justification, n’est pas digne de la République. Elle crée une rupture d’égalité, en plus d’une rupture dans la continuité des soins aux conséquences parfois dramatiques. Le corps médical n’a pas à contester la loi au nom de convictions personnelles » Ou encore, faisant part de sa crainte de voir de plus en plus de gynécologues « jeter l’éponge », le ministre de la Santé se voit répliquer par une députée : « Il n’est pas question des gynécologues, mais des femmes ! », et par la députée « insoumise » Clémentine Autain : « C’est inadmissible ».
Ces arguments sont insupportables. Les médecins qui refusent de pratiquer l’avortement ne contestent pas la loi, ils refusent individuellement d’exercer leur art d’une façon contraire à leurs convictions, ce qui est entièrement différent. Antigone s’oppose à un ordre de Créon, l’objecteur de conscience ne s’oppose à aucun ordre, mais refuse seulement de participer.

Et l’Etat qui contraint ses citoyens à agir dans un sens contraire à leurs convictions s’appelle une dictature. Un auteur[[« L’avortement nécessitant l’intervention du corps médical, la faculté pour celui-ci de s’y soustraire compromet nécessairement le droit nouvellement consacré. Pourquoi alors le corps médical bénéficie-t-il d’une telle tolérance ? En raison de la puissance – réelle et symbolique – de la profession, un pouvoir considérable lui est donné. L’Etat délègue à ses membres la résolution du conflit entre droit à la vie et droit à l’avortement. Cette concession accordée par le législateur aux médecins du fait ainsi d’un rapport de forces donné et d’un contexte particulier – celui entourant l’adoption de la loi de 1975 – s’avère fondamentalement et, sur le long terme, problématique. Car ce choix initial et néanmoins pérenne du législateur conduit à privilégier l’autonomie individuelle sur l’intérêt général que la loi est censée poursuivre., La « faveur » octroyée aux médecins et auxiliaires de santé, c’est-à-dire aux débiteurs de l’obligation créée par la loi sur l’IVG, induit un « contrecoup » sur le créancier, à savoir sur les femmes titulaires du droit nouveau ». Tatiana Gründler, « La clause de conscience est-elle un antidote contre la trahison ».]] a résumé la question en affirmant que la clause de conscience aboutit à « privilégier l’autonomie individuelle sur l’intérêt général ». Mais de ce que l’intérêt général serait exprimé par la volonté populaire ne découle pas que chaque individu se voie contraint dans son choix de vie d’exercer une activité déterminée. Et celui qui a choisi d’être gynécologue pour donner la vie a le droit de penser qu’il la supprime en pratiquant l’avortement, et de refuser de la supprimer ! Encore plus si l’on étend le délai légal jusqu’à 14 semaines, durée à partir de laquelle le fœtus prend de plus en plus les aspects d’un être humain.
La clause de conscience, à supposer qu’elle n’ait pas valeur constitutionnelle (voir plus loin), devrait être, au pire, conciliée avec le droit à l’IVG, mais en aucun cas déclarée de valeur inférieure.

Avons-nous oublié le statut d’objecteur de conscience ?

Le statut des objecteurs de conscience a pour origine la guerre d’Algérie, à laquelle étaient opposées les gauches – les « insoumis » de l’époque. Y a-t-il sujets d’importance plus régalienne que la guerre et sa conduite ?
Et pourtant, l’avocat Jean-Jacques de Félice (mais rappelons-nous aussi Boris Vian[[« Je ne suis pas sur terre pour tuer les pauvres gens… » in Le déserteur.]] ) consacra sa vie à la reconnaissance du statut, qu’il contribua à obtenir, jusqu’à ce que la loi de 1997 instituant l’armée de métier lui ôte son objet et le « suspende » (apprécions le vocabulaire). Deux des citations de cet avocat sont particulièrement appropriées, la première lorsqu’il s’adresse à l’Assemblée afin qu’elle puisse reconnaître « son respect absolu pour un des droits les plus élémentaires de l’homme, celui d’affirmer pour l’autre – quelle que soit son origine, sa race, sa couleur ou sa nationalité – son droit à la vie, ou pour être clair, de reconnaître à chaque Français son droit au refus de tuer ». La seconde est une note manuscrite dans une marge, définissant l’objecteur de conscience : « Il ne refuse pas l’obéissance, mais surtout il affirme son droit d’obéir à sa conscience, éternel problème éternel débat, fierté des hommes libres, honneur des hommes libres »[[In Tramor Quémeneur « Le statut des objecteurs de conscience, une bataille politique et juridique », Cairn info.]]. Qu’en pensent nos modernes « Insoumis », héritiers de ceux du siècle précédent ?
En réalité, nous nous trouvons avec les auteurs de la proposition en face d’une conception idéologique de la liberté, qui n’existerait que pour ceux qui se font une idée de son contenu conforme à la leur. Comme on l’a dit, cela s’appelle la dictature.

Le Conseil constitutionnel donne-t-il valeur constitutionnelle à la clause de conscience?

L’un des arguments présentés devant l’Assemblée serait que de toute façon la suppression de l’article de loi spécifique à l’IVG serait sans effet car elle laisserait subsister le décret de portée générale reconnaissant la clause de conscience du médecin. Si la suppression en question était sans effet, on pourrait se demander pourquoi les auteurs de la proposition insistent tant pour l’obtenir. C’est à la vérité qu’elle ne serait pas sans effet, et qu’à tout le moins elle créerait une grande incertitude, notamment au regard de la valeur constitutionnelle du principe exprimé par la clause de conscience.
Dans sa décision du 27 juin 2001, prise comme référence, le Conseil s’exprime ainsi : « Considérant qu’en vertu du premier alinéa de l’article L. 2212-8 du code de la santé publique, « un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse » ; qu’il ressort du deuxième alinéa, qu’« aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu’il soit, n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse » ; qu’aucune sanction ne peut, en cas de refus, être infligée ; qu’est ainsi respectée la liberté des personnes susceptibles de participer à de telles interventions ».
On remarquera que cette décision ne confère pas valeur constitutionnelle à la clause de conscience. Elle se borne à rappeler l’existence de l’article de loi permettant à un chef de service de ne pas participer à une IVG pour en conclure qu’il est personnellement suffisamment protégé par cette disposition pour qu’il soit inutile de lui donner en outre le droit de s’opposer à ce que d’autres médecins de son service la pratiquent. Dans la mesure où le Conseil se fonde sur l’article de loi rappelé, il n’est pas possible d’en inférer ce qu’il jugerait si cet article était supprimé. D’autre part, ne subsisterait alors que le décret, de valeur inférieure, susceptible d’être abrogé par un simple acte de gouvernement. Enfin, ce décret est insuffisant à deux titres : il ne protège pas les sages-femmes ni les autres auxiliaires, et il contient des exceptions à l’exercice de la clause en cas d’« urgence » ou pour cause d’« humanité », concepts dont le contour est fort vague. Non, la proposition de loi est définitivement injuste et dangereuse.
Bertrand Nouel

 

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1 commenter

Dosogne octobre 19, 2020 - 11:37 am

Pourquoi 14 semaines ?
Une femme qui se sait enceinte après 4 ou 5 semaines maximum a t elle besoin de plus de 5 à 6 semaines Pour décider de l’avenir de son embryon ? Non
Quant à supprimer le droit aux obstétriciens et sages femmes de ne pas procéder à l’avortement c’est inhumain et comme le rappelle Bertrand on accorde aux objecteurs de conscience un droit de retrait …alors que la probabilité de tuer reste théorique. Parlons d’ailleurs du droit de retrait donne à des conducteurs de bus et autres fonctionnaires dans des circonstances bien moins graves. Mais pour les Insoumis et certains LERM la vie d’´un embryon , futur enfant ne vaut pas tripette. Admettons (difficilement en ce qui me concerne) qu’une femme veuille rapidement réparer une erreur mais ne laissons pas l’embryon devenir enfant pour le tuer et laissons la liberté de conscience au corp médical

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