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Agriculture française : notre modèle n’a plus d’avenir

par Claude Sicard
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Emmanuel Macron vient de faire au salon de l’agriculture une très longue visite. L’agriculture française vit sous perfusion, les aides de la PAC jouant le rôle d’un analgésique. Avec l’ouverture des frontières on découvre que, hormis le secteur de la viticulture qui tire encore assez bien son épingle du jeu, aucun secteur de notre agriculture n’est en mesure de soutenir la concurrence étrangère. Les agriculteurs sont donc très inquiets, et Emmanuel Macron ne leur a pas caché qu’il va s’agir, maintenant, de « réinventer un modèle ». Mais alors, que faire ?

On est resté, très longtemps, sur l’idée que la France était un grand pays agricole, sans avoir conscience que l’abaissement des coûts de transport et la mondialisation allaient tout changer. Les responsables de notre agriculture, et tout spécialement la FNSEA[[Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, syndicat professionnel majoritaire dans la profession agricole en France.]], n’ont pas vu que les activités agricoles dans le monde évoluaient selon une bipolarisation. D’un côté, des productions qui se réalisent en jouant sur les effets de volume : on a alors affaire à des acteurs de grosse dimension, puissants et dynamiques. De l’autre, des systèmes de production à caractère très intensif, sur de petites surfaces, généralement sous serres : il s’agit de producteurs, de petite dimension, intégrés dans des structures de commercialisation très efficaces. Face à cette bipolarisation, la France est demeurée dans la voie médiane, avec des producteurs de taille intermédiaire qui agissent isolément. Ce modèle est obsolète.

Les constats sont affligeants. En 2016, 20% de nos agriculteurs n’ont pas pu se verser un salaire et 30% avaient un revenu mensuel de moins de 350 euros. Et un agriculteur se suicide tous les deux jours. Nos voisins ont été de bien meilleurs stratèges. Les Pays-Bas sont devenus le second exportateur agricole et agro-alimentaire du monde, derrière les États Unis, alors que ce petit pays ne dispose que de 1,9 million d’hectares agricoles, contre 27,5 dans le cas de la France, et ils sont la plaque tournante, au plan mondial, du marché des fleurs. L’Allemagne est aujourd’hui le premier pays producteur de lait en Europe, et, en production porcine, numéro trois au plan mondial, derrière la Chine et les États-Unis. Autre exemple : le Danemark, un pays grand comme 1,6 fois la Bretagne, produit autant de porcs que la France, et il exporte 90% de sa production. Dans le secteur des fruits et légumes, les productions venant de l’étranger, et notamment d’Espagne et du Maroc, ont pris une importance considérable, au détriment de nos producteurs nationaux.

Notre agriculture a, à la fois, des problèmes de structure et des problèmes d’organisation. Dans le domaine, tout d’abord, des productions extensives, tant agricoles qu’animales, il faut de très grandes surfaces. En céréaliculture, par exemple, la taille minimum à viser est de 200 hectares : en France, 6% seulement des exploitations sont de cette dimension. Dans le domaine des bovins viande, des pays comme les États-Unis ou l’Argentine disposent d’étendues immenses pour faire paître leurs troupeaux, et l’engraissement se fait dans des « feed lots » gigantesques de 16.000 à 20.000 bêtes. Dans d’autres secteurs, comme le lait ou la viande porcine, on s’est organisé pour tirer parti des effets de volume. On en est ainsi arrivé à des « usines à lait » de 1.000 vaches, voire plus encore. Il y en a aux États-Unis un très grand nombre, et certaines atteignent même 5.000 têtes. En Allemagne, on compte à présent un peu plus de 200 fermes laitières de 1.000 vaches. En France, rien n’a vraiment bougé, et la moyenne de nos fermes laitières est à 60 vaches.

Sur le second pôle de polarisation, celui des très petites exploitations à capital intensif, le modèle est celui des Pays-Bas, qui ont 10.000 hectares de serres. Les agriculteurs néerlandais maîtrisent parfaitement les techniques de culture sous serres, et ils ont mis au point des systèmes intégrés où les coopératives assurent la commercialisation des productions, fleurs ou légumes. Elles sont très efficaces, aussi leurs adhérents suivent-ils scrupuleusement les instructions qui leur sont données. Dans la région de Westkand, la capitale des serres aux Pays-Bas, 80% des terres sont placées sous serres, et, par ordinateur, l’agriculteur maîtrise jour et nuit les conditions de lumière, de température et d’hygrométrie de l’air. La plupart fonctionnent avec des lampes LED qui donnent des cycles de croissance plus courts, et elles sont chauffées au gaz naturel ou par géothermie.

En France, on n’a pas vu cette bipolarisation qui s’opérait dans l’agriculture. Les Français restent très attachés à leur modèle, celui d’une « agriculture à visage humain ». La logique de cette philosophie imposerait que la France ferme ses frontières pour mettre à l’abri ses agriculteurs : cela n’est évidemment pas compatible avec notre appartenance à l’Europe, ni avec le besoin d’exporter nos céréales, nos fromages, ou encore nos vins.

Alors, vers quoi va-t-on s’orienter ? On va, semble-t-il, miser sur l’agriculture biologique. Nicolas Hulot a annoncé au JDD du 25 février dernier qu’un plan pour le développement de l’agriculture bio était en préparation. «Chacun comprend que l’avenir de l’agriculture passe par l’écologie » a-t-il déclaré, précisant que l’objectif est de consacrer au bio, en 2022, 15% de la surface agricole utile. On va lutter contre les stratégies de « domination par les coûts » de nos concurrents par des stratégies de « différenciation », l’avantage compétitif choisi consistant à proposer aux consommateurs des produits sains, bons pour leur santé. On compte que les consommateurs accepteront, comme dans toute stratégie de différenciation, de payer plus chers tous ces produits nouveaux. Pour l’instant, nous en sommes à 1,5 million d’hectares sur les 27,5 existant. Et il faudra compter avec la concurrence des pays voisins. L’Espagne, en agriculture bio, en est déjà à un peu plus de 2 millions d’hectares, et l’Italie à 1,8 million.

Pour l’heure, nul ne saurait prendre le risque d’affirmer que cette stratégie va permettre d’extraire vraiment l’ensemble de notre secteur agricole de l’impasse dans laquelle il se trouve engagé.

Claude Sicard
Ingénieur agronome, économiste

Article publié sur le Cercle/Point de vue des Echos le 7 mars 2018 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/0301383876560-en-france-le-modele-de-lagriculture-a-visage-humain-na-plus-davenir-2159082.php

 

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2 commentaires

zelectron mars 14, 2018 - 10:04 pm

KOLKHOZES ?
Les paysans français à la libération ont obligatoirement rejoint les kolkhozes (sur le « modèle URSS ) pardon les coopératives et « travaillé » avec le « Crédit Agricole » toujours obligatoirement . . . la suite on la connaît !

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Maupin mars 16, 2018 - 9:45 am

Parfaite analyse
J’ai accompagné 3000 exploitations agricoles pendant 7 ans dans le Nord de la France. Voilà une analyse lucide. Il y manque juste un « détail » : la FNSEA est le représentant de la population agricole dominante. Les premiers qui ne veulent pas du traitement sont ceux qui souffrent (dont pas tant que cela) du déclin de l’agriculture française. Le changement est aussi difficile pour eux que pour nos cheminots. Vote FN, blocage de route, feu de paille, action « coup de poing » dans les supermarchés, sont les modes d’action choisis. Et ces gens qui réclament statuts de propriétaires refusent celui de patron. C’est l’état qui doit prendre les décisions à leur place et financer la prise de risque avec les impôts des salariés des autres corps de métier. Le chemin proposé par Nicolas Hulot me semble pertinent. France rime avec qualité, gastronomie, goût, santé…oui il y a une marque France à réveiller. Mais il y surtout à rappeler à nos agriculteurs que leur mission c’est de nourrir des familles et d’entretenir le patrimoine environnemental pour le transmettre à la génération suivante. C’est la noblesse de ce métier.
Ch Maupin

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