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Redresser l’économie française en 10 ans : un pari impossible ?

par Claude Sicard
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La sixième édition de Choose France qui vient de s’achever a été à nouveau un succès. Il a été annoncé 13 milliards d’euros d’investissements nouveaux, les grands industriels étrangers réunis à Versailles restant confiants en la France. Le redressement de notre économie ne pourra se faire que par la voie de la réindustrialisation, et cette réindustrialisation va nécessiter beaucoup de capitaux. Aussi, n’en déplaise aux souverainistes, le recours aux capitaux étrangers est essentiel, car les entreprises françaises ne suffiront pas. Avec ces concours étrangers, on est sur la bonne voie, mais la France va-t-elle être capable de se réindustrialiser à un rythme suffisant ? Rien n’est moins sûr : il y va pourtant du redressement de toute notre économie, et de notre capacité à maîtriser notre dette extérieure.

Depuis la fin des Trente Glorieuses, la France s’est très fortement désindustrialisée, et cette désindustrialisation a considérablement affaibli notre économie. Aussi constate-t-on que tous les clignotants de l’économie sont au rouge : un taux de chômage qui reste anormalement élevé, un budget de la nation en déficit chaque année, des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires extrêmement importants et beaucoup plus élevés que dans tous les autres pays européens, une balance commerciale chaque année déficitaire et une dette extérieure qui n’a pas cessé de croître, au point de devenir supérieure au PIB. Aussi l’Agence de notation Fitch a-t-elle déjà dégradé par deux fois la note de notre pays : une première fois en faisant passer la France de AAA à AA, une seconde fois tout récemment en rétrogradant notre pays d’un cran, sa note étant maintenant passée à AA-.

Une économie qui réalise de très mauvaises performances

Un étude du service des statistiques des Nations Unies comparant les performances économiques d’un certain nombre de pays sur une période longue a montré que c’est notre pays, en Europe, qui a réalisé les moins bonnes performances : c’est ce que montre le tableau ci-dessous, auquel nous avons rajouté le cas d’Israël, qui est tout à fait exceptionnel :

PIB/tête (US dollars courants)
1980 2000 2017 Multiplicateur
Israël 6.393 21.990 42.452 6,64
Espagne 6.141 14.556 28 .356 4,61
Suisse 18.879 37.937 80 .101 4,25
Danemark 13.881 30.734 57 .533 4,13
Allemagne 12.091 23.929 44.976 3,71
Pays-Bas 13.794 20.148 48.754 3,52
Suède 16.864 29.292 54.043 3,21
France 12.669 22.161 38.415 3,03

(ONU : Statistics Division)

Comme on le voit, les performances économiques de la France ont été durant toute cette période bien inférieures à celles des autres pays européens. Il aurait fallu, pour le moins, que l’on en soit au multiplicateur 4,0, ce qui aurait conduit notre PIB à être environ 30% plus élevé qu’il n’est aujourd’hui. Notre taux de dépenses publiques serait alors de 40%, c’est-à-dire identique au taux moyen des dépenses publiques de l’Union européenne (42,5%), et notre taux d’endettement se trouverait ramené à 78% par rapport au PIB.

Les dépenses publiques, elles, n’ont pas cessé de croître, régulièrement, comme si de rien n’était : elles sont au niveau de celles des pays d’Europe qui ont les économies les plus avancées, comme le montre le tableau ci-dessous :

Dépenses par habitant ( en US$)
Dépenses publiques Dépenses sociales
Danemark 26.980 17.070
Pays Bas 25.038 10.152
Suède 21.123 14.402
France 22.642 13.796

Les dépenses publiques françaises sont celles de pays ayant des PIB par habitant 50% supérieurs. C’est notre PIB qui n’a pas suivi : il n’a pas crû au rythme voulu.
Il résulte de cette distorsion entre la croissance des dépenses publiques et celle du PIB un accroissement régulier de notre dette, comme le montre le tableau ci-dessous :

Dette extérieure du pays (En % du PIB)
1974 20 %
2000 60%
2016 96 %
2022 111,6 %

Notre dette est maintenant supérieure au PIB, alors que pour respecter les règles de la zone euro elle devrait être en dessous de la barre de 60% du PIB. Nous ne respectons pas le traité de Maastricht, ni pour ce qui est des déficits budgétaires annuels, ni pour ce qui est de la dette, et nos partenaires européens ne cessent de nous le reprocher.

Il est tout à fait incompréhensible que les dirigeants du pays aient laissé notre économie se dégrader ainsi et il serait souhaitable qu’une commission parlementaire soit créée pour situer les responsabilités. C’est que notre secteur industriel a fondu, passant de 6,5 millions d’emplois à la fin des Trente Glorieuses à 2,7 millions aujourd’hui, alors que l’industrie est, dans les pays, l’activité qui crée le plus de richesse. Notre taux d’industrialisation se situe maintenant à seulement 10% du PIB, alors qu’il est de 23% ou 24% en Allemagne ou en Suisse. Nos dirigeants se sont laissé abuser par le cliché voulant qu’une économie moderne soit une économie « postindustrielle », où les activités ne sont plus constituées que par des services. C’est, du moins, la conclusion erronée que les sociologues ont crû pouvoir tirer des travaux de Jean Fourastié qui avait publié, en 1969 Le Grand espoir du XXe siècle, un ouvrage qui a beaucoup marqué les esprits. Cet économiste avait montré que lorsqu’un pays se développe, il passe du secteur agricole au secteur industriel, puis, ensuite, du secteur industriel au secteur des services : les effectifs du secteur industriel diminuent, certes, dans la dernière phase du développement, mais, à cause de la croissance rapide de la productivité dans l’industrie, la valeur ajoutée de ce secteur d’activité, que Fourastié a appelé le « secteur secondaire », ne régresse pas, continuant à représenter entre 20% et 25% du PIB. On a déformé la pensée de Jean Fourastié: il s’était exprimé en termes d’emplois et non pas de valeur ajoutée. Cela n’a pas été compris, et cette erreur a été fatale à l’économie française : avec la certitude que notre pays était sur la bonne voie en se désindustrialisant, les dirigeants ont laissé filer toute notre industrie.

Comment redresser notre économie en 10 ans : esquisse d’un plan

Le redressement de notre économie passe par la réindustrialisation du pays. La solution, qui est souvent proposée, et qui consiste à réduire les dépenses publiques, est illusoire : ce serait soigner les effets du mal, et non pas la cause. Et elle n’est pas réaliste, car la population est maintenant habituée à la façon dont la société est organisée et elle n’accepterait pas une régression. On voit, en effet, que de toutes parts il est demandé plus de policiers, plus de soignants dans les hôpitaux, plus de juges, plus de gardiens de prisons, plus d’enseignants, etc., et il faudrait, de surcroît, augmenter la rémunération de tous ces personnels. Et maintenant, avec la réapparition de l’inflation, l’État se voit contraint de venir en aide aux personnes les plus défavorisées. La population demande « toujours plus » nous avait déjà expliqué François de Closets en1984, et il avait fait de cette revendication lancinante des Français le titre de l’un de ses ouvrages.

Nous avons procédé à des simulations pour voir selon quel processus la réindustrialisation de notre pays pourrait s’opérer en dix ans ; il va nous falloir remonter à 18% la participation de notre secteur industriel à la formation du PIB, alors qu’elle n’est plus que de 10% aujourd’hui, et nous aboutissons aux résultats suivants :

Plan de redressement de l’économie en 10 ans

-Contribution de l’industrie à la formation du PIB : 18 %
-Création d’emplois industriel : 1.000.000 d’emplois
-Investissements à réaliser : 350 milliards euros
-Recours aux investissements étrangers (IDE) : 150 milliards euros
– Rythme annuel :
-Emplois : 100.000/an ;
-Investissements :
-Entreprises françaises : 20 milliards
-Entreprises étrangères : 15 milliards
-Total : 35 milliards

Selon ce plan, les effectifs du secteur industriel atteindraient le chiffre de 3,7 millions de personnes en fin de période, chiffre à comparer aux 7,5 millions de salariés existant en Allemagne, dans ce secteur.

Pour être en mesure de soutenir un tel rythme, il faudra nécessairement des aides très importantes de la puissance publique. C’est d’ailleurs ainsi que vient de procéder le président Joe Biden aux États-Unis avec l’IRA, et ces aides sont d’autant plus nécessaires que l’environnement, tant national qu’international, n’est guère favorable. Sur le plan intérieur, des freins à la réindustrialisation sont mis par les écologistes, et le gouvernement se plie continuellement à leurs exigences, un droit du travail rigide qui est pénalisant pour les chefs d’entreprise, une fiscalité qui tarde à être mise en harmonie avec celle de nos voisins, des réglementations européennes qui bloquent les initiatives que pourrait prendre l’État français pour réindustrialiser le pays, et un coût du travail considérablement plus élevé que dans les anciens pays de l’Est maintenant intégrés dans l’Union européenne. Et, sur le plan international, la guerre en Ukraine, qui a fait fortement grimper le coût de l’énergie en Europe, et les mesures incitatives prises par le président Joe Biden pour investir sur le continent américain.

Le plan Macron va-t-il être suffisant ?

Ce n’est que par le hasard de la crise du Covid-19 qu’Emmanuel Macron a réalisé combien notre pays était désindustrialisé. Il a donc lancé en octobre 2021 son plan « France 2030 » auquel il va consacrer 30 milliards d’euros. Ce plan s’inscrit dans la ligne des « Programmes d’investissements d’avenir » (PIA), de sorte que les moyens mis en œuvre pour notre réindustrialisation vont s’élever, finalement, à 54 milliards d’euros. Le 11 mai dernier, à l’Élysée, Emmanuel Macron a donné des précisions sur sa « feuille de route » devant un parterre de ministres et d’industriels. Il a annoncé des aides de l’État sous forme de crédits d’impôts pour l’implantation d’« industries vertes », la réduction de moitié des délais pour les procédures administratives concernant la création de nouvelles usines, l’aménagement de nombreux sites industriels « clés en mains », une pause de Bruxelles dans le domaine des normes environnementales, et le renforcement, à tous les niveaux, de nos moyens de formation professionnelle. Il avait débuté sa conférence en disant « La bataille de la réindustrialisation est clé sur le plan politique et géopolitique ». Il paraît donc maintenant tout à fait convaincu de la nécessité de réindustrialiser le pays. Mais on sait qu’il est bridé pour agir par la Commission européenne, à Bruxelles : il n’est autorisé à apporter son soutien qu’aux seules « industries vertes », et il va le faire sous forme de crédits d’impôts.

Le rythme de la réindustrialisation est, pour l’instant, extrêmement lent. La journaliste Bertille Bayart nous dit, dans Le Figaro du 9 mai dernier, que depuis six ans, 90.000 emplois industriels ont été créés : c’est extrêmement peu. Pour accélérer, il va donc falloir que l’État renforce considérablement son soutien à l’investissement dans le secteur industriel, et nous avons proposé, dans d’autres articles, d’en venir à une aide directe fondée sur la création d’emplois industriels, et ceci quel que soit le secteur, articulée de la façon suivante : 20.000 euros par emploi les cinq premières années, puis 10.000 euros les cinq années suivantes, soit 150.000 euros par emploi. Ce montant est, certes, très important, mais l’intensité capitalistique est devenue aujourd’hui extrêmement élevée dans les industries modernes du fait de la numérisation. Ainsi, les aides de l’État se monteraient à 150 milliards, étalées sur 20 ans. Il s’agirait d’un coût pour la nation relativement modeste au regard des enjeux, puisqu’il ne s’agirait pas moins que de remettre sur pied notre économie.

Pour l’heure, notre président est paralysé par la Commission européenne qui interdit les subventions en raison de sa doctrine libérale. Il faudra qu’Emmanuel Macron lui fasse valoir que la France est un pays sinistré, étant, avec la Grèce, le pays le plus désindustrialisé d’Europe : et si un redressement rapide ne s’effectuait pas, la dette du pays ne cesserait d’augmenter, conduisant notre pays sur une voie dangereuse, ce qui n’est guère l’intérêt de nos partenaires de la zone euro.

On est très loin d’être en mesure de créer 100.000 emplois industriels par an, et un tel rythme ne pourra être obtenu qu’avec des aides très substantielles de la puissance publique, au moins du niveau indiqué plus haut. Il est à craindre que les autorités de Bruxelles ne consentent pas à nous laisser agir: il serait pourtant souhaitable que la Commission européenne, à Bruxelles, le comprenne. On peut pronostiquer, malheureusement, qu’elle refusera de se laisser fléchir, laissant donc l’économie de notre pays continuer à se dégrader. Alors, la feuille de route que nous avons tracée plus haut ne pourra pas être suivie : c’est sans doute une ambition irréalisable.

Bertille Bayard, très consciente de la situation, nous dit dans son article du 10 mai, à propos de notre réindustrialisation : « C’est un immense défi !». Effectivement, c’en est un. Notre président aurait dû commencer par là, sitôt arrivé aux commandes, lors de son premier quinquennat, beaucoup de temps a été perdu ! Avec tous ces atermoiements, notre économie risque fort de continuer à se dégrader, et notre dette de croître.

(Article paru sur Contrepoints le 11 juin 2023.)

 

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3 commentaires

moulin juin 20, 2023 - 8:43 am

Plan irréaliste
Plan irréaliste: c’est une conjonction de solutions improbables, et des gros efforts pendant une longue période . Pas ou plus français.

Il faut trouver plus plausible à court terme pour démarrer le redémarrage industriel.

La croissance d’une région ou d’un pays est tirée par les entreprises qui croissent plus vite que l’économie. Ce sont elles qu’il faut aider à croître plus vite.

La croissance d’une entreprise est limitée par le taux de rentabilité qu’elle obtient de ses capitaux propres. C’est cette rentabilité qu’il faut aider et favoriser, discrètement.

La formation des personnes qui seront nécessaires à la croissance est un facteur où les territoires et les régions peuvent aider les entreprises discrètement et leur réduire complètement les coûts directs et indirects .

Dans ce domaine, il y a tellement d’argent jeté aux quatre vents que cela serait facile de mieux l’utiliser en s’affranchissant des règles étatico bureaucratiques, sans reporter, comme maintenant, les coûts sur les entreprises elles-mêmes.

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Eschyle 49 juin 20, 2023 - 10:38 pm

Redresser l’économie française en 10 ans : un pari impossible ?
Vous avez une solution imparable : créez par acte notarié votre entreprise sur un campus universitaire, par exemple l’université d’Aix, fondée en 1409 par Louis II d’Anjou, comte de Provence, fondation confirmée par une bulle du pape Alexandre V; elle bénéficie donc de l’extraterritorialité, conférée à la Sorbonne aux termes de la bulle « Parens scientiarum », le 13 avril 1231, par le pape Grégoire IX
( http://miroir.mrugala.net/Arisitum/cdf/bul.htm ).
Pour avoir usé et abusé de cette extraterritorialité, en matière de radios pirates, sur les 80 hectares du campus de Rennes-Beaulieu, de 1968 à 1973, donc avant l’abrogation du monopole de l’ORTF par la loi n°82-652 du 29 juillet 1982, je vous assure de sa réalité.
En conséquence, seuls le Recteur de l’Université, ainsi que le Doyen de la Faculté, ont qualité pour saisir, soit la police, soit la justice d’État.
Au pire, si des mesures de sûreté s’avéraient nécessaires, elles ressortiraient de la compétence des juridictions ecclésiastiques (évêque, pape).

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zelectron septembre 8, 2023 - 6:51 pm

Redresser l’économie française en 10 ans : un pari impossible ?
La tendance des gouvernements successifs a toujours été de financer les grands projets, les grandes structures 1,2 …5 milliards d’€uros et quelques dîners plus tard, l’affaire est dans le sac.
On peut financer à travers les organisations patronales bien mieux et bien plus d’entreprises intéressantes à savoir par exemple régionalement 2000 PMI/ETI manufacturières + agri-agroindustrielles (moins de 500 personnes) pour 1 million d’€uros en moyenne chacune, pour 20 000, 100 000 € toujours en moyenne avec bien sûr certaines à 500 000€ d’autres toutes petites à 50 000€ etc … etc … réponse des énarques qui « traitent » ce genre d’affaire : vous ne croyez pas qu’on va s’intéresser à de la bricole ? vous vous moquez de nous (dit-il en empochant discrètement une enveloppe anonyme).

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