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EMMANUEL MACRON : BILAN A DATE DE L’ECONOMIE FRANCAISE

par Claude Sicard
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(Article paru sur La Revue politique et parlementaire, le 21 juin 2024)

Emmanuel Macron vient, à la surprise générale, de procéder à la  dissolution de l’Assemblée Nationale, et il plonge ainsi notre pays dans le chaos. Nicolas Sarkozy nous dit dans le JDD du 16 juin : « Cela plonge le pays dans un chaos dont il aura les plus grandes difficultés à sortir ». La situation, en effet, est grave : il y a ,d’un côté un groupe politique massif de gauche qui s’érige en « Nouveau Front Populaire », et l’on sait les dégâts considérables qui ont été faits à l‘économie de notre pays par celui de 1936 : il conduisit à une forte dévaluation de notre monnaie,  et il fut suivi trois années plus tard par la honteuse défaite de la France vaincue en 6 semaines par les armées hitlériennes ; et, de l’autre, un groupe de droite, tout aussi important que le précédent, mené par un jeune leader de 28 ans, certes talentueux, mais totalement dépourvu d’expérience pour gouverner.

Il faut donc voir dans quel état Emmanuel Macron laisse l’économie de notre pays à ses successeurs, car c’est bien de cela dont il s’agit puisqu’il ne peut plus se présenter à la prochaine présidentielle, ayant effectué deux mandats successifs à la tête du pays. La France,  nous allons le voir, peut être considérée comme l’un des pays dont l’économie est la plus dégradée, en Europe. Depuis  quarante ans le budget de la nation est régulièrement en déficit, la balance commerciale du pays est chaque année négative,  la dette extérieure n’a pas cessé d’augmenter au point d’être supérieure maintenant au PIB, et le taux de chômage se maintient inexorablement à un niveau très élevé. En conséquence, les Français sont inquiets pour leur avenir et celui de leurs enfants. Aussi, la grande agence américaine de notation Standard & Poor’s vient-elle de faire reculer d’un cran, à nouveau, notre pays dans la note qu’elle accorde à la  valeur de sa dette : on  en est, chez elle à AA-, et c’est mauvais signe. Qu’a donc fait Emmanuel Macron ?

Un pays dont l ‘économie est des plus dégradée, en Europe.

Quels critères faut-il choisir pour juger de l’état de l’économie d‘un pays ? On peut songer à divers critères, mais il en est un qui s’impose, d’emblée, car il résume tous les autres : la situation d’endettement du pays, c’est à dire les dettes accumulées au cours des ans. Un pays, normalement, s’endette seulement pour investir et non pas pour boucler chaque année son budget. Pour  procéder à des comparaisons entre les pays, et établir un classement, il faut s’en référer à la dette par habitant, et non pas à la dette en pour cent du PIB  comme cela se fait habituellement. C’est l’objet du tableau ci-après:

Dette par habitant (US$)

Suède17.165
Danemark20.338
Pays-Bas26.723
Allemagne31.457
Luxembourg35.220
Finlande37.796
Suisse38.518
Norvège39.582
Autriche40.105
Grèce40.300
Gde Bretagne44.730
France45.548
Italie49.213
 (Source :BIRD  2022)

Il est intéressant de voir les différences pouvant exister entre les pays les mieux gérés et les pays les moins bien administrés, et nous ferons pour cela des comparaisons entre les quatre pays qui se trouvent, ici, en tête de ce classement, et les quatre derniers :

Pays les mieux gérés 

Suède

Danemark

Pays Bas

Allemagne

Pays les moins bien gérés

Grèce

Italie

France

Grande Bretagne

Nous plaçons la Grèce en tête des pays dont l’économie est déprimée en raison de la très grave crise qu’elle a connue en 2008 : le FMI et la BCE durent intervenir à plusieurs reprises, et ce pays a failli être exclu de la zone euro. 

L’opposition entre les mieux gérés et les plus mal gérés

Nous nous en tiendrons à quelques caractéristiques clés.

a) Les PIB par habitant :

Le PIB/capita est le ratio qu’utilisent les économistes pour mesurer la richesse des pays et faire des comparaisons entre eux. On a, ici, les chiffres suivants, pour l’année 2022 :

PIB/capita (US$)PIB/capita (US$)
Suède……..56.373Grèce…….. 20.867
Danemark.. 67.790Italie….….. 34.776
Pays-Bas…..57.024France…..  40.886
Allemagne..48.718Gde Bret… 46.125
(Source : BIRD)

On ne doit pas s’étonner de voir que les pays les mieux gérés sont ceux qui ont les PIB/capita les  plus élevés, et la différence avec les moins bien gérés est importante : on va du simple au double.

b) Les salaires mensuels :

Des statistiques existent donnant les salaires moyens par pays. Là, également, on voit que c’est dans les pays les mieux gérés que les salaires sont les plus élevés :

Salaire moyen (US$)Salaire moyen (US$)
Suède……… 5.249Grèce…. 1.181
Danemark…. 6.100Italie…… 3.457
Pays-Bas…… 4.785France..    3.821
Allemagne… 4.449Gde Bret.. 4.074
(Source JDN)

On  en est à 5.000 ou 6.000 dollars par mois, dans un cas, et à 3.000 à 4.000, dans l’autre.

c) La satisfaction des habitants :

Depuis une dizaine d’années les services de l’ONU procèdent à des enquêtes pour connaitre le degré de satisfaction des habitants dans les différents pays,  et ils publient chaque année un  « World Happiness Report ». Nous indiquons, ci-dessous, le rang auquel se situent dans le dernier rapport des Nations Unies les pays dont nous examinons ici les performances :

World HappinessWorld Happiness
Suede……..6Grèce…….58
Danemark….2Italie……. 33
Pays-Bas….5France….. 21
Allemagne  16Gde Bret…19

On constate, ce qui est naturel, que les habitants des pays qui sont les mieux gérés sont bien plus « heureux » et satisfaits de leur sort que ceux du second échantillon ; c’est la Finlande qui vient en numéro 1 dans le dernier classement de l’ONU.

d) La cotation des grandes agences de notation :

Il existe trois grandes agences de notation qui jugent de la qualité des dettes tant des pays que des grandes entreprises, les notes allant de AAA à B, puis, ensuite, de C à D. Pour les pays dont nous examinons ici la situation, on a les notes suivantes :

Fitch RatingsFitch Ratings
Suede…….… AAAGrèce…..… B
Danemark….. AAAItalie….BBB-
Pays-Bas……. AAAFrance…..AA-
Allemagne….. AAAGde Bret..AA-

Les pays de la première catégorie ont, tous, les notes les plus élevées ; pour ce qui est des autres, on voit que certains ne sont déjà plus dans la première catégorie, celle des A.

Les critères explicatifs

Nous avons cherché à identifier quels sont parmi les paramètres  économiques dont on dispose ceux susceptibles d’expliquer les raisons pour lesquelles des pays se rangent dans l’une ou l’autre des catégories. Nous avons pu en identifier seulement deux, et ils sont déterminants :

  • Le taux de population active des pays.
  • Le niveau de la production industrielle.

Les autres éléments fournis par les statistiques habituelles traduisent des effets, et, non pas, des causes, comme par exemple les taux de chômage, les résultats des balances commerciales, l’importance des exportations/PIB, les réserves de change,  etc…Ce qui nous intéresse, ici, ce sont les causes.

a) Le taux de population active des pays :

Il s’agit du nombre des personnes ayant un emploi, plus les chômeurs en recherche active d’emploi, rapporté à la population totale :

Taux de population activeTaux de population active
Suede……….53,4 %Grèce….…43,5 %
Danemark……53,1 %Italie……. 43,0 %
Pays-Bas……. 55,9 %France…. 46,6 %
Allemagne…. 53,0 %Gde Bret…48,2 %
(Source : BIRD)

Dans les pays prospères et bien gérés, qui ont une économie fonctionnant à plein régime, on a des taux de population active très élevés, de l’ordre de 54 %. Dans les autres, des pays plus poussifs, on a une proportion importante de personnes qui ne sont pas au travail, et la France est de ceux là : on a des taux de l’ordre de 45 %, et non plus, comme dans le cas précédent, de 54 %. Dans notre pays, où l’on en est à un taux de population active de seulement 46,6 %, les jeunes entrent tardivement dans la  vie active, et l’on part à la retraite bien plus tôt que dans les autres pays ; et il y a beaucoup de personnes qui se tiennent en marge de la vie économique, et que l’on trouve sur les listes de « France Travail » (ex Pôle-Emploi) : 5.368.500 demandeurs d’emploi, actuellement (toutes catégories confondues). Ces personnes, qui sont censées chercher du travail, vivent aux crochets de la collectivité : si nous avions un taux de population active de 54 %, comme c’est le cas des pays bien gérés, nous aurions 5 millions de personnes de plus au travail, et c’est sensiblement le chiffre des effectifs des chômeurs inscrits aujourd’hui à « France Travail ». Notre PIB s’en trouverait majoré de 15 %.

b) L’importance de la production industrielle :

L’autre élément discriminant est l’importance de la production industrielle. L’industrie est, en effet, une activité qui crée de la richesse, et elle est le secteur de l’économie où la productivité croit le plus vite ; par ailleurs, les économistes considèrent qu’un emploi créé dans l’industrie induit trois emplois dans les services.

Pour faire des comparaisons entre les pays nous rapporterons leur production industrielle, telle qu’elle est mesurée par les comptabilités nationales, au nombre des habitants :

Production industrielle/habProduction industrielle/hab
(US$)(US$)
Suede.…….. 26.320Grèce…… 3.421
Danemark…  13.389Italie……  8.268
Pays Bas…..  11.073France…  6.858
Allemagne..  13.102Gde Bret…7.698
(Source :BIRD)

Les niveaux de production industrielle sont très différents dans les deux catégories de pays : de l’ordre de 12.000 à 20.000 dollars dans un cas, et de 7.000 à 8.000 seulement dans l’autre. Nous voyons donc, là, l’élément essentiel à retenir pour expliquer les performances des pays examinés. La France, on le sait, a laissé se détériorer considérablement son secteur industriel, et celui-ci ne représente plus que 10 % seulement du PIB, alors que l’on en est à 23 % ou 24 % dans les cas de l’Allemagne ou de la Suisse ; elle est devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, avec la Grèce.

Que vont faire les nouveaux dirigeants ?

Emmanuel Macron, par sa gestion, a accru la dette extérieure du pays  de 870 milliards d’euros : elle se monte maintenant à 3.088 milliards d’euros, soit 111,7 % du PIB, et son coût va représenter dans les années qui viennent le premier poste du budget de la nation. Au plan de l’emploi, le chômage, selon la définition du BIT, est certes en baisse : il est passé de 9,5 % à 7,4 %,  mais le nombre réel des chômeurs inscrits à France-Travail (ex France-Emploi) n’en reste pas moins extrêmement élevé : 5.368.500  personnes (toutes catégories confondues). Certes, la formation professionnelle a été relancée et reformée, le CICE s’est transformé en baisse pérenne des charges, et certains éléments de notre code du travail ont été assouplis.

Le principal reproche que l’on doive faire à Emmanuel Macron est de ne pas avoir vu, en prenant en charge les destinées du pays, que la cause réelle des mauvaises performances de l’économie française provenait de la grave désindustrialisation du pays. Il avait été pourtant, précédemment, Ministre de l’Economie. Et même la crise des gilets jaunes, de 2018-2019, ne lui  pas ouvert les yeux. Elle était pourtant l’illustration même des dégâts que cause à un pays sa désindustrialisation : appauvrissement général de la population, raréfaction des emplois,  et désertification du territoire ; mais cela ne fit pas tilt. Ce n’est, finalement, que la crise de la Covid-19, qui a éclatée en mars 2020, qui lui fit prendre conscience que nous étions gravement désindustrialisés, et encore n’a-t-il perçu alors que le problème de l’insécurité de nos approvisionnements, sans voir celui de l’appauvrissement de la population.

Le secteur industriel, que Jean Fourastié dans sa théorie sur les trois secteurs de l’économie a appelé le « secteur secondaire », est celui qui, et de loin,  produit le plus de richesse, et où le progrès technique croit le plus rapidement : en France, il ne contribue plus à la formation du PIB que pour 10 % seulement, alors que dans le cas de pays prospères comme l’Allemagne ou la Suisse il s’agit de 23 % ou 24 %. La France est devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, la Grèce mise à part, et Emmanuel Macron est passé complètement à côté du problème. Ce n’est que seulement en octobre 2021 qu’il a finalement lancé le plan « France 2030 », un plan de 5 ans pour  « faire naitre des  champions » dans un certain nombre de domaines en y consacrant un budget de 30 milliards d’euros, auxquels sont venus se rajouter un reliquat de 24 milliards provenant du plan « France relance » précédent. Mais ce plan Macron est de portée limitée car il s’applique à des domaines particuliers, et son budget est très insuffisant. Nous avons, dans d’autres articles, indiqué qu’il nous faut un plan bien plus vaste, un plan de 10 ans qui couvre tous les secteurs industriels, sans discrimination entre « stratégiques » et « pas stratégiques », et qui soit  doté d‘un budget que nous  avons chiffré à 150 milliards d’euros. Il faut, en somme, un plan à la façon de ce que fait aux Etats-Unis le président Joe Biden qui a lancé un vaste programme de «  Build Back Better », c’est-à-dire de reconstruction de l’économie du pays.

Que vont donc faire les nouveaux dirigeants du pays ? Ils paraissent très éloignés du souci d’investir pour reconstituer notre secteur industriel. On  les voit annoncer de nouvelles dépenses : 100 milliards d’euros dans le cas du RN, et un peu plus de 200 milliards dans celui du Nouveau Front Populaire, selon du moins certains chiffrages rapides.  On est donc très loin du souci de redresser l’économie du pays, et la réalité ne manquera pas de les ramener à la raison : il va falloir faire, pour respecter les règles du Pacte de Croissance et de Stabilité de la zone euro, 70 à 80 milliards d‘euros d’économies d‘ici à la fin 2027 afin de ramener le déficit du budget de la nation en dessous des fameux 3%  du PIB !  L’Afep, dans un communiqué, met en garde contre « un risque majeur de décrochage durable ».Il faut espérer que l’on pourra en revenir rapidement à des règles élémentaires de bon sens.

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1 commenter

moulin juin 29, 2024 - 8:30 pm

Remarquable analyse appuyée sur des critères éclairants. Idéalement, l’auteur publierait un billet comparant comment d’autres pays, ayant perdus pied ont rétabli la situation. Fontanet a fait un livre ancien « Pourquoi pas nous? ». Une synthèse actualisée serait bienvenue.

PS: dette extérieure du pays de 870 milliards d’euros : elle se monte maintenant à 3.088 milliards d’euros, soit 111,7 % du PIB
ce n’est pas la dette extétieure mais la dette publique.

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