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Pourquoi l’Europe et l’Afrique ont-elles besoin d’un ambitieux plan de coopération ?

par Claude Sicard
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Emmanuel Macron se propose d’entrer dans une nouvelle phase dans nos relations avec les pays africains, et avant de se rendre en Afrique il a prononcé le 27 Février dernier, à Paris, un important discours pour présenter son projet. Il a donc invité dans les salons de l’Elysée un certain nombre de personnalités françaises et africaines pour les informer sur la manière dont la France propose de refonder ses relations avec l’Afrique. Il ne va plus s’agir, a-t- il dit, d’une relation France-Afrique mais d’un partenariat Afrique-France.

Son discours a été diffusé par visioconférence dans les capitales des pays africains intéressés, et ce qui est frappant, dans les propos qu’il a tenus, c’est l’insistance qu’il a mise sur le souci de placer nos nouvelles relations sur un plan d’égalité. Nous entrons dans une ère nouvelle, et il faut se départir totalement, a-t-il dit, de l’idée que l’Afrique est le pré carré de la France. Il a souligné que nous avons un destin commun, et nous allons donc constituer un axe euro-africain pour bâtir notre avenir. On va passer d’une politique d’aide à une politique d’investissement solidaire. Un très beau projet donc, mais aux allures, on peut le craindre, quelque peu irréalistes : on va créer une Fondation pour la démocratie en Afrique, nos bases militaires en Afrique vont être converties en simples académies où se formeront demain les cadres des armées africaines, nous allons restituer aux pays qui en feront la demande les œuvres d’art dont, au cours de la période coloniale, nous nous sommes emparées pour garnir nos musées, etc… Mais la réalité du terrain est toute autre.

Après avoir dégagé Bamako de l’emprise des djihadistes, en 2013, l’armée française s’est trouvée chassée du Mali, et elle l’est, maintenant, du Burkina Faso où des foules en délire ont brûlé dans les rues des drapeaux français. La France a été une grande puissance coloniale et son image dans les populations africaines est celle d’un pays qui s’était octroyé le droit exorbitant d’exercer sa domination sur les populations locales ; et on lui fait le procès d’avoir exploité à son profit les ressources naturelles de ces pays. En bref, il est reproché à la France tout ce que toutes ces populations qui ont été victimes de la colonisation ne manquent pas de reprocher aujourd’hui aux pays occidentaux qui dans les siècles passés se sont lancés dans des aventures coloniales. La France a joué un rôle majeur dans cet épisode, et aux yeux de ces populations le passif est lourd : on sait combien, aujourd’hui, les Occidentaux sont discrédités dans les pays du Sud, des pays qui ont tous été travaillés dans la seconde moitié du XXe siècle par les thèses marxistes. Il s’est donc installé dans tous ces pays une haine anti occidentale dont profitent aujourd’hui la Chine et la Russie, ainsi d’ailleurs que la Turquie, des pays qui ont entrepris maintenant de s’implanter en Afrique pour prendre la place des puissances occidentales qui en ont été chassées.

Le discours d’Emmanuel Macron fera peut être plaisir aux dirigeants africains mais il ne convaincra certainement pas les foules africaines, même si les dirigeants de ces pays prenaient la peine d’informer leur peuple du désir de l’ancienne puissance coloniale d’entrer maintenant dans une nouvelle phase de relations avec eux. Penser que de simples discours de repentance et qu’une attitude humble vont être de nature à modifier complètement les sentiments d’hostilité qui animent les populations africaines à l’égard des anciens colonisateurs c’est se bercer d’illusions. Il faut donc avoir les pieds sur terre et en venir à un peu plus de réalisme. Les populations africaines ont leur opinion, à présent, sur ce qu’ont été les anciennes puissances coloniales et les discours de calinothérapie n’y feront rien… Il faut donc être lucide pour voir ce qui est important pour nous et ce qui l’est pour nos amis africains et bâtir nos nouvelles relations sur ces réalités. On cite souvent, dans de telles circonstances, cette petite phrase du général de Gaulle : « Les Etats n’ont pas d’amis : ils n’ont que des intérêts ».

Voyons donc ce dont il s’agit. Depuis la fin de la période coloniale l’Europe voit se déverser sur elle des flux migratoires importants. La fécondité des femmes africaines reste extrêmement élevée (4,8 enfants en moyenne dans la période 2015-2020), et les démographes nous annoncent donc que la population de ce continent va doubler d’ici à 2050. Il va s’agir de l’arrivée, dans les prochaines années, d’un peu plus d’un milliard de personnes dans cette partie du monde, et la moitié de cette population aura alors moins de 25 ans.

Afrique : démographie
(en millions)
1980 476
2000 810
2020 1.340
2050 2.400
(Source IMHE, Seattle)

Avec le rythme de croissance démographique extrêmement élevé qui est le sien l’Afrique ne parvient plus à nourrir tous ses habitants et les gouvernements de ces pays ne sont pas en mesure de fournir des emplois à tous leurs ressortissants. L’Afrique doit donc importer de plus en plus de vivres, et l’on a d’ailleurs craint avec la guerre qui s’est déclenchée en Ukraine qu’il y ait des risques de famine en Afrique du fait que ce pays ne serait plus en mesure d’exporter ses céréales. Le président de la BAD, à l’occasion du 50e anniversaire de l’Institut international pour l’agriculture tropicale, a déclaré que l’Afrique dépense 35 milliards de dollars par an pour importer des vivres. Pour ce qui est du blé, par exemple, les importations se sont accrues de 68 % entre 2008 et 2018, et on prévoit qu’elles vont augmenter de 27 % d’ci à 2028. (source Bunge), On a donc affaire d’ un coté à une population africaine pauvre, qui croit à un rythme effréné, et qui rencontre sur place de plus en plus de difficultés pour vivre et se nourrir, et, de l’autre, une Europe riche, dont la démographie est vieillissante, où la population active va en se réduisant. Le risque de voir les courants migratoires se développer en direction de l’ Europe est donc bien une réalité intangible.

Il faut donc, en abordant cette nouvelle phase de nos relations avec l’Afrique, voir ce qui est le plus important pour chacune des parties en présence. Pour nous, les Européens, il s’agit avant tout de pouvoir maitriser les flux migratoires qui se déversent sur notre continent, ce que nous ne parvenons pas à faire actuellement : et cela nous parait essentiel pour sauvegarder dans l’avenir la cohésion de nos sociétés. Et, pour nos partenaires africains, la priorité est de pouvoir satisfaire les besoins de leur population, c’est-à-dire pouvoir trouver sur place des moyens d’existence et se nourrir. La réponse à donner à ces deux préoccupations majeures est la même : accélérer considérablement le développement économique de tous ces pays. Le développement économique des pays africains est donc l’enjeu majeur de ces nouvelles relations entre la France et les pays africains, et il s’agit d’un défi extrêmement difficile à relever compte tenu de la démographie de ces pays et des troubles politiques qui les agitent en permanence. La dimension du problème est telle que deux exigences s’imposent pour les pays européens : en premier, s’entendre et s’unir pour agir ensemble, c’est-à-dire cesser d’avoir chacun, comme c’est le cas actuellement, sa propre politique d’ aide publique au développement (APD) ; et, en second lieu, changer complètement nos modes d’intervention.

La politique actuelle d’Aide Publique au Développement de l’ Europe

L’Europe consacre aujourd’hui à l’APD 75,2 milliards €, chaque année (chiffre de 2019), et cette aide s’étend à l’ensemble des 79 pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) ; seulement 40 % de cette aide est consacrée aux pays africains, soit 30 milliards € par an. Et il s’agit essentiellement d’aides bilatérales, chaque pays agissant pour son compte, ce qui fait que les actions sont menées dans le plus grand désordre. L’Europe, avec le FED qui est l’instrument d’intervention de l’UE, dispose, elle aussi, d’un budget, mais il est très restreint : 30,5 milliards € pour la période 2014-2020.

Les modes d’intervention actuels sont totalement inefficaces, et il va donc falloir en changer en s’inspirant, notamment, de la façon d’opérer des Chinois en Afrique. Ceux-ci interviennent par des actions directes qui vont à l’essentiel, des actions donc qui ont un impact immédiat sur le développement économique des pays : ils réalisent eux mêmes les grands travaux d’infrastructures, et ils créent des zones d’activité où s’installent de nouvelles entreprises industrielles, généralement chinoises d’ailleurs. En échange, ils obtiennent, évidemment, des avantages qui consistent en l’autorisation d’exploiter des ressources naturelles à leur profit. Le FMI dit de l’aide chinoise qu’elle « impacte positivement la croissance des pays africains », ce qui n’est pas le cas des aides occidentales.

Pour ce qui est de la France, il s’agit d’un budget annuel de 12,4 milliards d’euros, se répartissant en une aide bilatérale de 8,0 milliards et une aide multilatérale de 4,4 milliards (Source CAD, OCDE). Cette aide s’articule en 24 programmes différents administrés par plusieurs ministères ainsi que par les collectivités territoriales, où l’on trouve 5 secteurs qualifiés de prioritaires : santé, éducation, égalité hommes/femmes, climat-environnement, et fragilités : c’est dire combien l’aide que nous apportons aux pays africains est peu efficace en matière de développement économique. Et nos aides, celle de l’Union européenne et la nôtre se situent à des montants très inférieurs aux engagements pris en 1960 par l’ensemble des pays de l’OCDE devant la communauté internationale : il s’agit de 0,39 % du RNB pour ce qui est de l’UE, et de 0,52 % du RNB pour ce qui est de la France, ceci au lieu des 0,7 % qui seraient la règle.

Pour un vaste plan d’aide à l’ Afrique, au niveau européen

Il va donc s’agir, dorénavant, de se placer au niveau de cette entité politique qu’est l’Union Européenne, la dimension des problèmes à traiter dépassant les moyens pouvant être mobilisés au niveau de chaque pays européen pris isolément. On n’en est plus aux miasmes de la Françafrique. S’agissant d’accélérer considérablement le développement économique de ces jeunes nations il faudra focaliser les actions sur les éléments qui leur permettront de se développer économiquement le plus vite possible, car il y a urgence. Et, autre élément de ce plan : il va falloir obtenir de ces pays qu’ils acceptent, car ce sera une exigence de notre côté, de rapatrier chez eux tous leurs ressortissants que nos pays, en Europe, ne sont pas en mesure d’accueillir. Les Chinois sont plus exigeants : ils demandent des concessions d’exploitation des richesses naturelles: ressources minières, pétrolières, agricoles, forestières, etc… Nous nous bornerons à ce que les pays aidés acceptent de réinstaller chez eux leurs ressortissants et à ce qu’ils s’ouvrent aux investissements étrangers.

Évidemment, l’effort financier va devoir être accru : il va s’agir de prévoir un budget de l’ordre de 100 milliards d’euros chaque année. C’est un effort financier se rapprochant du montant exigé par le Comité d’Aide de l’OCDE (CAD) selon les engagements pris en 1960 par les pays de l’OCDE, le fameux 0,7 % du RNB (Revenu National Brut). Et il faudra que ce montant d’aide soit intégralement consacré aux pays africains, et non plus dispersé, comme c’est le cas actuellement, au plan mondial. Ainsi, l’aide de l’Europe à l’Afrique se trouverait multipliée par trois. Et, autre disposition à prendre : concentrer tous les moyens financiers dans les mains de la Commission Européenne de façon à ce que les pays africains n’aient qu’un seul interlocuteur : plus d’interventions désordonnées, donc, de tous ces pays qui pratiquent des aides bilatérales. Cela sera essentiel pour pouvoir agir efficacement et être en mesure de mener avec les pays bénéficiaires les négociations permettant de résoudre les problèmes de réinstallation chez eux des migrants récalcitrants, un problème actuellement insoluble pour les pays européens, ainsi que les contentieux qui surgiront avec les entreprises qui auront investi sur place.

Cette aide publique serait consacrée aux trois objectifs suivants, et seulement à ces trois là :

1- La réalisation des infrastructures dont l’Afrique a un urgent besoin ;
2- L’alimentation d’un fonds d’assurance des investissements privés contre les risques non commerciaux, un fonds à créer au niveau européen, à l’exemple de la MIGA existant à Washington auprès de la BIRD ;
3- La réinstallation des migrants dans leur pays d’origine.

Trois axes d’action, uniquement, de manière à aller à l’essentiel.

Pour ce qui est des infrastructures, il faudra agir à la manière des Chinois, c’est-à-dire en adoptant, en accord avec les pays concernés, des procédures permettant d’agir directement avec nos entreprises de travaux publics.

Pour ce qui est de la mobilisation des entreprises européennes, pour qu’elles s’orientent vers l’Afrique, ce qui n’est pas le cas actuellement, il faudra créer un fonds de garantie au niveau européen pour assurer nos entreprises contre les risques politiques existant en Afrique, à l’image de celui qui existe a Washington auprès de la Banque Mondiale, la MIGA. L’Europe, qui gérera l’ensemble des aides à l’Afrique, aura ainsi le poids voulu pour négocier avec les pays qui pourraient être tentés de spolier nos entreprises. Les pays africains, de leur coté, devront s’ouvrir plus largement aux investissements étrangers privés, et cette condition est essentielle : il faut, en effet, être conscient du fait que l’implication des entreprises des pays développés dans le processus de développement de pays en voie de développement est un élément fondamental. Les entreprises étrangères, en effet, qui investissent sur place sont des acteurs incontournables : elles sont le moteur de la croissance dans ces jeunes pays, ce que l’on oublie trop souvent, et les Chinois l’ont bien compris. Actuellement, les IDE (Investissements Directs Étrangers) s’élèvent à quelque 800 milliards de US$ chaque année, dans le monde : 500 milliards s’orientent vers les pays asiatiques, et seulement 60 milliards vont dans les pays africains (et il s’agit essentiellement d’investissements pétroliers). Les investissements étrangers permettent aux pays bénéficiaires d’accéder aux technologies qu’ils n’ont pas, de former leur main d’œuvre, et d’exporter : les firmes étrangères, en effet, sont essentielles pour alimenter les exportations, car les entrepreneurs locaux sont incapables de pénétrer sur les marchés des pays développés. Il faut avoir conscience que tout pays qui se développe accroît à vive allure ses importations, et il est donc vital qu’il puisse développer ses exportations au même rythme afin de gagner les devises dont il a besoin pour payer ses importations. Des développements autarciques conduisent toujours à l’échec.

Troisième volet : l’aide à la réinstallation dans leur pays d’origine de tous les migrants que l’Europe ne sera pas en mesure d’accueillir : et, là, les modalités d’intervention de l’Europe seront à mettre au point avec chaque pays intéressé.

Emmanuel Macron, compte tenu de son tropisme européen, pourrait être l’artisan de ce vaste plan d’Alliance nouvelle de l’Union Européenne avec l’ensemble des pays africains. Mais sa démarche consistant a faire que la France agisse seule dans ses relations avec l’ Afrique n’est pas réaliste. Puisse donc l’annonce faite par notre Président de l’ouverture de cette nouvelle phase dans nos relation avec l’Afrique, déboucher sur le lancement d’un plan d’aide à l’ Afrique qui soit un plan européen de l’importance de celui dont nous venons de tracer les contours, un plan qui s’écarte totalement des manières d’opérer qui ont été celles, jusqu’ici, des pays européens.

L’Europe retrouverait ainsi la maîtrise de ses flux migratoires et il s’ouvrirait pour les entreprises européennes de vastes marchés en Afrique, un continent qui représentera demain plus de deux milliards d’habitants. Le coût supplémentaire pour l’Europe serait faible ; environ 30 milliards d’euros par an, seulement (la différence entre les montants à engager annuellement et le coût actuel de l’APD européenne).

Le projet d’Emmanuel Macron, tel qu’il l’a exposé dans sa conférence du 27 Février dernier, ne correspond nullement aux besoins des parties en présence : il n’est pas de nature à nous permettre de mieux maîtriser nos flux migratoires ni à donner une impulsion forte au développement économique des pays africains. Donc, un coup d’épée dans l’eau, vu que le problème est pris à l’envers. Les pays africains ont des besoins vitaux à régler, et, de notre côté, nous avons à nous préserver de flux migratoires de plus en plus importants qui constituent une menace pour l’avenir de nos sociétés, ainsi que pour notre civilisation. L’Europe doit se hisser à la hauteur des défis qui sont à relever, et faire mieux que de déléguer contre rémunération à la Turquie le soin de bloquer des migrants sur son territoire. Il est donc urgent que la Commission européenne s’empare du problème de nos relations avec l’Afrique et que se mette en place un plan d’action du type de celui que nous avons esquissé, ici.

Le temps presse, et il est temps que l’Europe se mette en action.

(Article paru le 3 Mars sur Atlantico).

 

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