On parle de choc de simplification, pourtant la règlementation continue de se complexifier au fur et à mesure que les décrets rentrent en application. C’est le cas par exemple des obligations des entreprises en termes d’informations sociales et environnementales. En parallèle, les commissions, rapports et lois de simplification se succèdent depuis 1990 mais n’apportent que des modifications marginales.
L’information nous vient d’un patron d’ETI, qui constate avec stupeur les nouvelles données sociales, environnementales et sociétales à produire pour l’exercice 2014. Ces obligations sont issues de la loi Grenelle II de 2010 et du décret d’application d’avril 2012. Avant cette date, seules les entreprises cotées étaient soumises à des contraintes de ce type. Depuis, toutes les entreprises de plus de 500 salariés ont été progressivement soumises à la production obligatoire dans leur rapport de gestion, de 42 indicateurs pour les entreprises cotées, 29 pour les non cotées.
Loin d’être une adaptation d’une directive de Bruxelles, la France est en réalité précurseur dans ce domaine. Comme on le voit ci-dessous, elle peut désormais s’enorgueillir d’être le 4ème pays au monde en termes d’obligations d’informations dites de « responsabilité sociale et environnementale »[[Responsabilité sociale et environnementale.]] :
LISTE DES INFORMATIONS À PRODUIRE
Informations sociales :
-l’effectif total et la répartition des salariés par sexe, par âge et par zone géographique ;
-les embauches et les licenciements ;
-les rémunérations et leur évolution ;
-l’organisation du temps de travail ;
-l’organisation du dialogue social, notamment les procédures d’information et de consultation du personnel et de négociation avec celui-ci ;
-le bilan des accords collectifs ;
-les conditions de santé et de sécurité au travail ;
-le bilan des accords signés avec les organisations syndicales ou les représentants du personnel en matière de santé et de sécurité au travail ;
-les politiques mises en œuvre en matière de formation ;
-le nombre total d’heures de formation ;
-les mesures prises en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ;
-les mesures prises en faveur de l’emploi et de l’insertion des personnes handicapées ;
-la politique de lutte contre les discriminations ;
Informations environnementales :
-l’organisation de la société pour prendre en compte les questions environnementales et, le cas échéant, les démarches d’évaluation ou de certification en matière d’environnement ;
-les actions de formation et d’information des salariés menées en matière de protection de l’environnement ;
-les moyens consacrés à la prévention des risques environnementaux et des pollutions ;
-les mesures de prévention, de réduction ou de réparation de rejets dans l’air, l’eau et le sol affectant gravement l’environnement ;
-les mesures de prévention, de recyclage et d’élimination des déchets ;
-la prise en compte des nuisances sonores et de toute autre forme de pollution spécifique à une activité ;
-la consommation d’eau et l’approvisionnement en eau en fonction des contraintes locales ;
-la consommation de matières premières et les mesures prises pour améliorer l’efficacité dans leur utilisation ;
-la consommation d’énergie, les mesures prises pour améliorer l’efficacité énergétique et le recours aux énergies renouvelables ;
-les rejets de gaz à effet de serre ;
-les mesures prises pour préserver ou développer la biodiversité ;
Informations relatives aux engagements sociétaux en faveur du développement durable :
-Impact territorial, économique et social de l’activité de la société : en matière d’emploi et de développement régional ;
-Impact territorial, économique et social de l’activité de la société sur les populations riveraines ou locales ;
-Relations entretenues avec les personnes ou les organisations intéressées par l’activité de la société, notamment les associations d’insertion, les établissements d’enseignement, les associations de défense de l’environnement, les associations de consommateurs et les populations riveraines : les conditions du dialogue avec ces personnes ou organisations ;
et les actions de partenariat ou de mécénat ;
-la prise en compte dans la politique d’achat des enjeux sociaux et environnementaux.
Informations supplémentaires à renseigner pour les entreprises cotées :
-Absentéisme ;
-Accidents du travail, notamment leur fréquence et leur gravité, ainsi que les maladies professionnelles ;
-Promotion et respect des stipulations des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail relatives au respect de la liberté d’association et du droit de négociation collective ; à l’élimination des discriminations en matière d’emploi et de profession ; à l’élimination du travail forcé ou obligatoire ; à l’abolition effective du travail des enfants ;
-Montant des provisions et garanties pour risques en matière d’environnement, sous réserve que cette information ne soit pas de nature à causer un préjudice sérieux à la société dans un litige en cours ;
-Utilisation des sols ;
-Adaptation aux conséquences du changement climatique ;
-Importance de la sous-traitance et la prise en compte dans les relations avec les fournisseurs et les sous-traitants de leur responsabilité sociale et environnementale ;
-Loyauté des pratiques : actions engagées pour prévenir la corruption et mesures prises en faveur de la santé et de la sécurité des consommateurs ;
-Autres actions engagées en faveur des droits de l’homme.
Si l’on ne peut qu’approuver dans son principe une volonté de diminution de la pollution et d’augmentation de l’harmonie sociale, si ces obligations peuvent éventuellement sensibiliser les chefs d’entreprise à l’environnement, la profusion des indicateurs demandés et l’hypocrisie générale qui entoure ces questions incitent fortement à penser que ce n’était pas la manière la plus intelligente de le faire. Surtout, ce dispositif envoie un signal contradictoire aux chefs d’entreprise à qui on a promis « un choc de simplification » et elles s’ajoutent à leur déjà trop nombreuses obligations administratives, dont une grande partie apparaît redondantes, disproportionnées, inadaptées, voire même carrément obscures.
La France championne de la complexité administrative
D’après les chiffres du World Economic Forum retraités par l’iFRAP, la France serait ainsi le 126ème pays sur 144 en termes de complexité administrative, donc très loin derrière ses principaux compétiteurs l’Allemagne et le Royaume-Uni (respectivement au 71ème et 72ème rang[[Chiffres 2013-2103.]]). En termes financiers, l’ « impôt papier » ou le poids administratif représente en France au moins de l’ordre de 60 milliards d’euros de charge sur les entreprises, qui s’ajoutent aux 360 milliards d’euros déjà payés en transfert monétaire direct.
Ces chiffres ne sont pas étonnants si l’on connait un peu le quotidien d’une entreprise française. À titre d’exemple, un patron en France est obligé d’envoyer 3.000 informations par an à l’administration et de fournir jusqu’à 70 fois par an les mêmes données pour remplir les déclarations exigées par les divers organismes. Pour simplifier les choses, ces derniers utilisent des définitions différentes pour la même notion, il existe par exemple au moins quatre manières différentes de définir les effectifs.
Le chef d’entreprise est également constamment sollicité pour des enquêtes de l’INSEE et autres organismes d’État, qui ne manquent pas non plus d’être redondantes, et avec menace de sanction s’il n’y répond pas. Outre cela, il est supposé respecter pas moins de 400.000 normes, dont certaines d’ailleurs qu’il ne peut ni imprimer ni télécharger sans devoir payer[[Voir rapport Warsmann sur la simplification, p.201.]].
La simplification, un serpent de mer
La complexité française ne datant pas d’hier, ainsi en est-il de la volonté politique de simplifier la vie administrative des entreprises, le « choc de simplification » appelé de ses vœux par François Hollande est donc loin d’être une idée nouvelle. En fait il est effarant de constater la multitude des comités Théodule créés dans ce but, pas moins d’une demi-douzaine depuis 1990 :
-la Commission pour la simplification des formalités (Cosiform, 1990),
-la Commission pour les simplifications administratives (COSA, 1998),
-la Délégation aux usagers et aux simplifications administratives (DUSA, 2003),
-la Direction générale de la modernisation de l’État (DGME, 2005),
-la Direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique (DIMAP, 2012).
Devant le constat d’un charabia administratif, il a même été créé un « Comité d’orientation pour la simplification du langage administratif » (COSLA, 2001), qui a publié quatre ans plus tard un Petit décodeur rassemblant pas moins de 3.000 mots ou expressions du vocabulaire administratif.
Finalement, le travail le plus pertinent et le plus complet est donc venu du député Jean-Luc Warsmann : paru en 2011 entre les deux assises de la simplification, son rapport dresse une liste détaillée (mais non exhaustive) de pas moins de 280 simplifications qu’il serait possible d’opérer à court ou moyen terme pour soulager les entreprises.
Malheureusement, pour l’instant, seule une toute petite partie de ces recommandations ont été reprises. Au vu de ce rapport extrêmement concret et réaliste, il n’est pas excessif de conclure que les quatre lois de simplifications adoptées sous Sarkozy (2007, 2009, 2011 et 2012) de même que le « choc » de François Hollande ont consisté en l’accouchement de cinq souris.
2 commentaires
La simplification, cette tartufferie
Les administrations sont-elles tenues aux mêmes obligations, chacune pour leur taille respective ?
Par exemple l’assemblée Nationale et le Sénat devraient compiler et publier toutes ces informations, y compris celles qui incombent aux sociétés cotées. Le seul sujet de l’absentéisme serait des plus intéressants à analyser !
La simplification, cette tartufferie
Trop d’obligations, tue l’obligation ! Là aussi, comme pour les impôts, trop c’est trop. Ce qui fait que peu à peu on ne déclare plus tout ce qu’il faudrait. Et ces « oublis » ne sont pas toujours faits volontairement, car il y en a dont on ignore l’existence !