La France a une économie très dégradée et les raisons qui nous sont données pour l’expliquer sont des plus variées. En matière de richesse individuelle, tel que les économistes la mesurent avec leur fameux « PIB/capita », nous venons en Europe au quatorzième rang seulement, et notre position va plutôt en se dégradant dans ce type de classement. En 1975, nous étions en onzième position en Europe avec un PIB/capita supérieur à celui de l’Allemagne, et il se situait à 60 % de celui de la Suisse. Aujourd’hui, l’Allemagne est devant nous et la Suisse a un PIB par habitant qui est plus du double du nôtre. Personne ne nous dit pourquoi notre économie est à la peine, et pourquoi nous régressons sans cesse.
Comme chacun le sait, la France a été au XVIIe siècle le pays le plus puissant d’Europe. Sa force, en ces temps reculés, tenait à la fois à sa démographie et à sa richesse agricole. Elle était, en Europe, l’unité territoriale la plus peuplée, comptant presque autant d’habitants que tous ses grands voisins réunis. On appelait son roi : « Le Roi soleil », l’économie avec Colbert se portait bien, et Vauban avait entouré le pays d’une « ceinture de fer ». C’est, ensuite, avec la naissance de l’industrie, en Angleterre, que l’économie du pays s’est transformée, mais avec peine. Il y a eu, avec l’industrie, une forte concentration des personnes dans des espaces restreints, et un rapide développement de l’urbanisation : et la sociologie des gens a changé.
Dans une civilisation rurale, les personnes vivent à la campagne, isolées les unes des autres : avec l’industrialisation, la sociologie n’est plus la même. Et l’économie est une affaire de rapports sociaux. Il existe d’ailleurs à la Sorbonne un master « Sciences Économiques et Sociales », et, à Lille, une double licence « Économie et Sociologie ». Et de grands chercheurs comme Richard Swedberg, professeur à l’Université de Cornell, aux États-Unis, expliquent les phénomènes économiques à partir d’éléments sociologiques. Il y a interpénétration entre ces deux disciplines que sont la sociologie et l’économie.
Il faut donc tenter de comprendre comment dans le cas de la France la sociologie des Français a influencé la manière dont l’économie du pays a évolué.
ll y a eu, tout d’abord, la Grande Révolution de 1789 : les Français voulurent l’abrogation des privilèges et l’égalité entre tous. Les « Sans-culottes » y jouèrent un grand rôle : issus du petit peuple parisien, ils voulaient une république égalitaire et que l’argent des plus riches soit distribué aux plus pauvres. Dans une pétition portée à la Convention, le 5 juin1793, on pouvait lire : « Il ne faut pas craindre d’encourir la haine des riches, c’est-à-dire des méchants. Il faut tout sacrifier au bonheur du peuple ».
Il y eut, ensuite, le coup d’État de Bonaparte : premier consul d’abord, puis empereur des Français ensuite. Napoléon 1er diffusa le message de la révolution française à travers toute l’Europe. On se souvient que lorsqu’il fut, très jeune, nommé général en chef de l’armée d’Italie, en 1796, il avait dit à ses soldats : « Vous n’avez ni souliers, ni habits, ni chemises, presque pas de pain, et nos magasins sont vides. Ceux de l’ennemi regorgent de tout. C’est à vous de les conquérir. Vous le voulez, vous le pouvez, partons ! ». Il y eut donc toute l’épopée napoléonienne, très glorieuse au début, mais cela se termina par Waterloo. Les historiens nous disent qu’il y eut un million de morts du coté français, et que la France est sortie plutôt affaiblie de cet épisode : Napoléon avait fini par avoir contre lui une coalition constituée par l’Angleterre, l’Autriche, l’Espagne, le Portugal, la Prusse, la Russie, la Suède, les Pays-Bas, la Saxe, et la Bavière.
Les vainqueurs imposèrent la restauration de la royauté, avec Louis XVIII d’abord, et Charles X ensuite, mais les Français voulaient que l’on changeât de société. Il y eut donc la révolution des « Trois Glorieuses », en 1830, puis celle de 1848 qui mit en place la Seconde République, avec Louis Napoléon Bonaparte ; puis, la révolution ouvrière de 1871, connue sous le nom de « La Commune ».
Dans le journal officiel de la Commune, du 21 mars 1871, on pouvait lire : « La bourgeoisie ne comprend-elle pas, aujourd’hui, que le tour de l’émancipation du prolétariat est arrivé ? ». Les historiens nous disent que la Commune de Paris a été une tentative de pouvoir prolétarien. La répression fut très sévère et il y eut près de 20.000 morts : cet épisode n’a duré que 72 jours.
Et il faut donc en venir à l’adhésion, en 1906, du syndicalisme français au marxisme. C’est, en effet, au congrès de la CGT, à Amiens, en 1906, qu’a été adoptée par les congressistes, et à la quasi-unanimité, ce qui s’est appelé la « Charte d’Amiens ». Cet événement allait être déterminant pour la nature et la qualité du « climat social » en France, pendant plus d’un siècle. On désigne par le terme « climat social » l’atmosphère dans laquelle baignent, dans un pays, les relations entre les patrons et leurs salariés, et la qualité de ces relations est déterminante pour la productivité du travail dans les entreprises.
Et c’est bien par cette charte que le syndicalisme, en France, a déterminé le type de relations qu’il entendait avoir avec la classe des patrons. En se dotant de cette Charte le syndicalisme français a opté pour une doctrine qui fixe comme objectif à la classe ouvrière rien de moins que de mener un combat permanent contre le patronat pour parvenir à « l’expropriation capitaliste », c’est à dire l’accaparement des biens de production de la nation par les classes populaires, avec comme moyen d’action la « grève générale ». Et toute l’économie française allait donc devoir souffrir, par la suite, et en permanence, de ce choix fait par le syndicalisme au début du XXe siècle, lors de ce fameux Congrès d’Amiens.
Il y aura, en 1936, le « Front Populaire », puis, en 1945, l’application du programme totalement marxiste du « Conseil National de la Résistance » (CNR), et, en 1981, l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir avec son « Programme Commun de la Gauche » et les communistes dans ses basques.
Et l’on en est toujours là, d’ailleurs, d’une manière certes atténuée, comme on le voit aujourd’hui avec, à l’Assemblée Nationale, ce mouvement politique créé par Jean Luc Mélenchon, qui, pour bien marquer son orientation, a choisi de se dénommer « Le Nouveau Front Populaire » (NFP) : il est nihiliste, il invente de nouvelles valeurs à sa mesure, et il paralyse complètement le fonctionnement de nos institutions.
Aymeric Monville, directeur des éditions Delga, dépeint Mélenchon comme : « Un mélange de trotskisme et de lambertinisme ».En fait, tout ce mouvement de révolte, en France, avait pris naissance en 1789, incarné par les fameux « sans culottes ».
Toute l’économie française s’est ressentie de ce combat permanent mené par les classes laborieuses contre le patronat et les tenants du pouvoir. Il y a chez les Français un caractère frondeur. Le mot de frondeur signifie : un homme qui lance une pierre avec une fronde. On désigne, ainsi, une personne qui critique et conteste l’autorité, l’ordre établi, le pouvoir, notamment politique. Martin du Gard nous dit : « La France est un pays de citoyens frondeurs, individualistes, jaloux de leur liberté ». Et déjà, il y avait eu « La Fronde » en 1648-1653, les Français refusant de se laisser gouverner, à la mort de Louis XIII, par une Espagnole, « Anne d’Autriche », la mère de Louis XIV. Le dauphin était encore très jeune, et les historiens nous disent que c’est, précisément, à cause de la Fronde que le jeune roi, en accédant au trône, mettra en place une monarchie absolue et très centralisatrice : sans la Fronde, on aurait eu beaucoup plus tôt, en France, une monarchie constitutionnelle.
Dans les pays du Nord, ou en Suisse, les syndicats n’ont pas été révolutionnaires mais réformateurs. En Allemagne, on en est arrivé, ainsi, à la cogestion des grandes entreprises, et en Suisse les syndicats et le patronat ont conclu, en 1937, un accord appelé « La paix dans le travail » par lequel les deux partis s’engagèrent à ce que les conflits du travail soient réglés, dorénavant, par des négociations et non plus par des grèves ou des lock-out. Il n’y a plus jamais eu, ensuite, de grève dans ce pays.
En France on en est resté à la lutte des classes et l’économie du pays en a été très vivement pénalisée. On en est arrivé à des « acquis sociaux » par trop en avance sur le degré de développement de l’économie, qui coûtent extrêmement cher au pays et obèrent la compétitivité des entreprises.
Voila donc les raisons réelles du manque de vigueur de notre économie. Les Français ont sans cesse voulu mener des luttes émancipatrices. Karl Marx disait dans « Le 18 Brumaire », paru en 1852, que « Les révolutions prolétariennes, au contraire des bourgeoises, ne tirent pas leur poésie du passé, mais de l’avenir ».
Les Français sont un peuple de gens insatisfaits.
Dans le dernier rapport de la Banque Mondiale sur le degré de satisfaction des individus, le « World Happiness Report », la France vient seulement en 33e position, alors que sont en tête, la Finlande, le Danemark, l’Islande, la Suède, et les Pays-Bas.
Dans les enquêtes du Credoc on voit que l’immense majorité des Français estiment qu’il faudrait changer de société, et un sondage Opinion Way du 12 Février 2025 nous indique que 78 % des Français jugent la situation « très grave ou assez grave » ; et quand on leur demande qui est responsable, ils indiquent :
- Le Président …………………..56 %
- Les partis politiques ………23 %
- Les Français eux-mêmes…9 %
La faute n’en revient évidemment pas aux Français eux-mêmes.
Et il faut alors s’en reporter à ce fameux livre du journaliste François de Closet intitulé « Toujours Plus », paru en 1984 : l’auteur, en quatrième de couverture, nous dit : « Les Français se proclament tous défavorisés et réclament plus d’argent, plus de droits, plus d’avantages, plus de loisirs et plus de garanties : Toujours Plus ! ».
Aussi il a été créé, en 2019, l’ « Observatoire des perspectives utopiques », avec le soutien de l’ADEME, de la BPI, de l’ESCP et de E.Leclerc, pour explorer les représentations et aspirations des Français dans des domaines très divers, et imaginer un modèle de société désirable par le plus grand nombre.
On sait que les chercheurs ont exploré, pour l’instant, trois modèles : un modèle écologique, un modèle sécuritaire, et un modèle techno-libéral. Va-t-on parvenir par ce canal à acheminer les Français vers une société idéale ? Ce serait à souhaiter.
Pour l’instant, l’État s’épuise à procéder à des dépenses de plus en plus importantes pour fournir aux Français un niveau de vie supérieur a celui que l’économie du pays est capable de leur fournir, et il s’endette pour cela chaque année un peu plus.
Mais, on arrive maintenant au terme de ce modèle. Il va falloir en trouver un autre. Tocqueville disait dans ses ouvrages que la question centrale dans les sociétés est celle des mœurs : il faut que les Français se guérissent du syndrome du « Toujours Plus » : appliqué au modèle écologique il conduit à la décroissance, appliqué au modèle sécuritaire il conduit à mettre un gendarme derrière chaque personne, et au modèle techno-libéral il le bloque complètement.
Michel Cicurel, vice-président de Rexecode, s’interroge, dans le JDD du 27 janvier 2023, en se demandant : « Se peut-il que les Français ne méritent pas la France, et qu’ils dénoncent la paille dans l’œil de leur patrie sans voir la poutre dans le leur ? ».
Les Français ont, mais personne n’osera le leur dire, l’économie qui résulte de leur sociologie.
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