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Le point sur la montée des inégalités de revenu et de patrimoine aux États-Unis

par Bernard Zimmern
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Pourquoi se centrer sur les USA et ne pas couvrir d’autres pays ? Parce que les inégalités dans un pays développé comme les USA n’ont pas grand-chose à voir à celles d’un pays en voie de développement comme la Chine où les fortunes sont en train de se construire ou comme la Russie où les relations avec le pouvoir politique en place expliquent la plupart des milliardaires.

Le seul point commun est que les inégalités croissent, parce que le centre de la toile cirée (voir conclusion) se soulève dans tous les pays et entraîne le reste. Mais les raisons de ce soulèvement sont très différentes, et plutôt condamnables dans le cas russe.
Le cas américain est en outre à étudier en priorité car c’est encore non seulement l’économie la plus importante de la planète ; mais ce qui fait la montée des inégalités y est peut-être la raison majeure du succès de l’Occident et le moteur principal du progrès.

Condamner cette montée serait alors une erreur à portée considérable car ce serait condamner nos sociétés à la décadence et au chômage par incompréhension des mécanismes de développement de nos sociétés.

INTRODUCTION

La monté de inégalités enflamme depuis plusieurs années économistes, politiques et médias. Elle serait blâmable car symbole d’une injustice sociale croissante et serait même, d’après certains économistes, l’explication du ralentissement de la croissance. Se joignent à ce concert de dénonciation toute la kyrielle des organismes publics nationaux ou internationaux : non seulement l’INSEE, mais l’OCDE, le FMI, la Banque Mondiale. Et The Economist vient d’y ajouter sa note en dénonçant les nouveaux milliardaires à l’égal des « robber barons » qui ont transformé l’Amérique d’une nation rurale en une nation industrielle à la fin du XIXème siècle.

On peut soupçonner qu’il ne s’agit pas d’un débat équilibré quand on voit le nombre d’organismes publics, qui vivent de l’argent public, s’engager dans cette croisade du XXIème siècle ; on peut se demander si ceux qui vivent de l’argent public n’ont pas intérêt à voir s’accroître la pression distributive sur les plus riches car qui dit redistribution dit augmentation de leur rôle et des transferts de richesse dont ils vivent.

Mais en sens inverse, et ceci semble voir été peu débattu, on peut se demander si cette grande campagne en faveur de plus d’égalité n’est pas en train d’en créer davantage en ciblant ceux-là même qui font la croissance, et créent des emplois, ceux qui sont devenus riches car ils ont innové et pris des risques.
On peut se demander si cette grande croisade contre les inégalités n’est pas une croisade qui tue l’essence même du développement occidental.

Certes, certains peuvent promouvoir l’ascétisme, prêcher que le bonheur ne se trouve pas dans la croissance de biens matériels mais dans le spirituel. Ceci est parfaitement défendable lorsqu’on a l’estomac plein mais on peut mettre en doute que ce soit ce qui est le plus souhaitable quand une grande partie de l’humanité ne sait pas encore comment nourrir ses enfants ; ou quand un quart des jeunes n’a pour tout horizon sur l’avenir que des subventions des états.

C’est pourquoi le débat sur l’accroissement des inégalités est un débat assez central pour notre avenir en tant que civilisation.

– La première question qu’il faut se poser est : y a-t-il vraiment un accroissement des inégalités ? Comme nous le verrons la réponse est positive même si cet accroissement est beaucoup plus faible que ne le prétendent ses dénonciateurs.

– La seconde question est : ces dénonciateurs accusent les inégalités de se produire en faveur des riches et même des très riches. Mais sont-ils toujours les mêmes ? Et là, la réponse est franchement non.

– Mais si les riches deviennent, pour certains, beaucoup plus riches, est-ce immoral ou injustifiés ? Et si les riches étaient ceux qui font la croissance ? Si en les supprimant ou en les dénonçant comme le recommandent les champions de la croisade contre les inégalités, nous supprimions le ressort même de la croissance et de l’innovation ?

I. Y A-T-IL MONTÉE DES INEGALITES ?

Thomas Piketty et Emmanuel Saez ont été parmi les premiers à dénoncer la montée des inégalités et se sont fait notamment connaître par un article « Income inequality in the United States, 1913–1998 », publié dans Quarterly Journal of Economics, vol. 118, no 1, 2003. Ils ont été depuis rejoints par toute une série d’économistes dont la concordance des thèses a fini par faire accepter par la plupart des économistes l’idée qu’il y avait montée de inégalités et que cette montée était blâmable.

Dans ce concert des égalitaristes, notons les noms les plus connus : Joseph Stiglitz, qui fut prix Nobel et président du Council of Economic Advisers sous Bill Clinton, Anthony B.Atkinson, un britannique qui a notamment coopéré avec François Bourguignon, Edward N. Wolff connu notamment pour ses travaux sur le SCF (Survey of Consumer Finances de la Fed), François Bourguignon qui a été membre du Conseil d’Analyse Economique en France, économiste en chef de la Banque Mondiale et a remplacé Thomas Piketty à la tête de l’Ecole Economique de Paris, Anthony F.Shorrocks, également économiste britannique, qui rédige notamment le rapport sur les fortunes pour le Crédit Suisse.

Les économistes ayant adopté une thèse beaucoup plus réservée ou franchement contraire sont très peu nombreux : nous ne connaissons aux USA que Richard Burkhauser, professeur à l’université Cornell, l’économiste et vice- président de la banque fédérale de Minneapolis, Terry J.Fitzgerald, et Arthur.B. Kennickell, un chercheur auprès du Conseil des Gouverneurs de la Federal Reserve Bank.


I.A. Prudence garder

Ayant nous-même évalué les affirmations de Thomas Piketty dans son manifeste « Pour une révolution fiscale »sur les prélèvements opérés en fonction du niveau de richesse, nous avions montré et publié dans un grand quotidien des chiffres issus des publications de Thomas Piketty et conclu sans grand démenti que celui-ci avait pour le moins truqué sa présentation.

Il en allait de même pour François Bourguignon, un membre du groupe, qui avait soumis au Conseil d’Analyse Economique vers 1999 un rapport concluant que les prélèvements sur le revenu aux USA étaient comparables aux prélèvements français ; rapport dont nous avions dans Les Profiteurs de l’État montré qu’il commettait des erreurs représentant 11% du PIB, une paille et avec des erreurs que ne pouvait commettre un économiste …

Plus récemment, Thomas Piketty avait prétendu que le revenu médian d’un ménage américain n’avait augmenté que de 3% entre 1979 et 2007.
Richard Burkhauser avait montré avec deux de ses collègues qu’en réalité si l’on corrige de l’inflation, du changement de la composition des ménages pendant cette période on tombait sur une croissance d’environ 35%, et Terry Fitzgerald, que certaines évaluations pouvaient même aller jusqu’à près de 60%.

I.B. Les résultats dépendent de ce que l’on mesure

La plupart des travaux sur les inégalités, notamment ceux de Piketty, s’appuient sur les revenus bruts déduits des déclarations d’impôts. N’y figurent pas ceux qui ne paient aucun impôt et qui sont estimés par différentes voies, où prévaut forcément une part d’arbitraire.
Ce sont les revenus que l’on qualifie de primaires ou de revenus du marché (« market income »).

Il nous semble plus honnête de travailler sur les revenus secondaires, après intégration, pour les revenus les plus élevés, des impôts qui atteignent par exemple aux USA un montant moyen de l’ordre de 25% du revenu, et, pour les revenus les plus faibles, des produits de la redistribution ; dans tous les pays occidentaux, ils représentent maintenant plusieurs dizaines de pourcent du PIB et sont en grande partie dirigés vers les plus pauvres, le. C’est ainsi qu’aux USA, les montants des aides directes comme « Food stamps » ou de santé comme Medicaid, dépassent les 500 milliards de dollars pour un PIB de 17 trillions et un budget fédéral de 3.600 milliards.

À la décharge de Piketty & Co, il est vrai que les revenus primaires découlant des déclarations d’impôt sont plus simples à établir et avec moins d’hypothèses sur les répartitions ; ils sont aussi plus comparables entre pays car la plupart des pays ont un impôt sur le revenu.
Mais les politiques de redistribution ayant été largement mises en place dans les pays occidentaux pour précisément limiter les inégalités, en rester avec des séries reposant seulement sur les revenus primaires est un peu dépassé.

De nombreux travaux ont permis pour les principaux pays occidentaux comme les USA d’établir l’évolution de la distribution des revenus à partir des revenus secondaires.
Mais même au sein de ces travaux, il existe de larges disparités suivant l’étendue des corrections, si l’on incorpore le produits de la redistribution en argent seulement (retraites, assurance chômage, etc.) ou aussi ceux de la redistribution en nature (enseignement gratuit, santé gratuite).

À titre d’exemple, nous reproduisons ci-dessous les résultats des diverses variations des distributions de revenus par quantile obtenus par le CBO (Congressional Budget Office) et par d’autres chercheurs. Il faut se garder de prendre chacun de ces résultats comme vérité car il y a non seulement une part d’incertitude scientifique dans chaque étude mais même une part d’idéologie. Il faut par exemple se rappeler que le CBO a été établi par un congrès Démocrate et que son directeur a toujours été choisi par les Démocrates et que ses études sont assez souvent biaisées en faveur des thèses défendues par le parti.

Ces graphiques sont issus de What if We’re Looking at Inequality the Wrong Way? , un blog publié par Thomas B. Edsall le 26 juin 2013 dans “The Opinionator”.

Le premier graphique est issu des publications du CBO.

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Le second graphique est issu des travaux de Burkhauser, professeur à Cornell, et ses collègues, en 2011 et montre des écarts de croissance beaucoup plus faibles après différentes corrections dont intégration dans le revenus de la redistribution en espèces et de la redistribution en nature dont celles issues de Medicaid (aide santé aux plus pauvres) et en tenant compte du changement dans la taille des unités servant à établir les quantiles ou centiles.

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En 2013, Burkhauser est revenu sur les chiffres de 2011 et, sur une période un peu plus récente, est parvenu à montrer une relation inverse :

Change in income by quintile and for the top 5 percent using Burkhauser’s measure of “household size-adjusted post-tax, post-transfer income plus in-kind income” plus “accrued capital gains, including housing.”

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Disons tout de suite que Richard Burkhauser est un professeur d’économie respecté même par ses adversaires et n’est pas donc pas considéré comme un fantaisiste.
Mais pour parvenir à ce résultat surprenant, il a dû intégrer dans le revenu la plus-value potentielle du patrimoine possédé.

Les égalitaristes ne peuvent protester contre cette approche car dans « Pour une révolution fiscale », dans le graphique central (page 52) montrant que les riches paient moins de prélèvements que les pauvres, T. Piketty a intégré dans les revenus des personnes les bénéfices non distribués des entreprises.
Mais cela nous paraît aller un peu loin car la période avant 2008 était celle d’une bulle immobilière qui a bénéficié particulièrement aux quantiles du 2ème au 5ème.

Il nous semble moins contestable de reprendre les résultats publiés par Richard Burkhauser dans son travail de 2009[[Burkhauser, R., 2009, « Recent Trends in Top Income Shares in the USA: Reconciling Estimates from March CPS and IRS Tax Return Data« , NBER Working Paper 15320.]] où il reprend les travaux de Piketty et Saez et trouve des résultats conformes aux leurs.

Nous savons que ces revenus sont les revenus primaires, pas les revenus secondaires après transfert sociaux, mais ils permettent de mesurer des changements et de rallier l’accord de presque tous les économistes significatifs.

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II. LA MONTÉE DES INÉGALITÉS SE FAIT PAR UNE CROISSANCE DES REVENUS LES PLUS ÉLEVÉS D’AUTANT PLUS FORTE QUE LES REVENUS SONT PLUS HAUTS

On voit des courbes ci-dessus que le pourcentage du total du revenu des ménages croît aux USA de 1967 à 2006 de 11 à 12,5% pour la population comprise entre le 90 et le 95ème centile, de 12,5 à 15,5% pour la population entre le 95 et le 99ème centile mais de 6,5 à 10 (si on enlève le saut dû à un changement statistique) pour le centile le plus haut.

C’est le point que Piketty souligne dans le Capital au XXIème siècle page 467 : « On constate que l’essentiel de la hausse provient du groupe des « 1% », dont la part dans le revenu national est passé d’environ 9% dans les années 1970 à environ 20% dans les années 2000-2010 ».

C’est ce que note le CBO qui indique que sans le dernier centile, les inégalités de revenu se seraient accrues aux USA mais pas autant. L’index de Gini pour les revenus de marché (primaires) est passé de 0,479 en 1979 à 0,590 en 2007, un accroissement de 23% mais n’aurait cru que de 0,435 à 0,495 soit une hausse de 14% si on exclut le 1% des foyers ayant le plus haut revenu.

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C’est aussi ce que passe son temps à marteler Piketty qu’il aurait été impossible de mesurer l’importance des inégalités « … en utilisant un indicateur synthétique d’inégalités tel que le coefficient de Gini… » (page 451 du Capital au XXIème siècle ).
À noter que c’est le même phénomène que l’on retrouve au niveau des patrimoines et qu’ont noté des sources aussi diverses que la revue Forbes ou la revue Challenges en France lorsqu’elle s’indigne que les patrimoines des milliardaires se soient accrus de 700% de 1996 à 2013.

Le lien entre revenu et patrimoine a été remarquablement explicité par un autre économiste Arthur B. Kennickell dans « Ponds and Streams: Wealth and Income in the U.S., 1989 to 2007 », une recherche effectuée pour le compte du Conseil des Gouverneurs de la Banque Fédérale en s’appuyant sur l’enquête triennale « Survey of Consumer Finances », SCF.

Le diagramme ci-dessous appelé copula [[Copula, a type of distribution with uniform margins. To make such a plot here, net worth and income values for each case were transformed to the equivalent percentile points of their own distributions and divided into ordered groups of 5 percent. Cases were then cross-classified by their positions in the two sets of 5-percent groups and a surface was computed over the underlying percent of all families estimated to be in each 5-by-5 group. Note that by definition,the sum of all the underlying values is 100, the sum across the income (net worth) axis for any 5-percentile group of net worth (income) is exactly 5 percent, and the maximum value for any square is 5 percent. If net worth and income were independent, each underling square would have the average mass, one-quarter percent.]] illustre bien la liaison entre revenu et patrimoine, où la surface mesure en hauteur la fréquence observée pour chaque point défini par les coordonnées X et Y décrivant le couple revenu et patrimoine.

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Ce diagramme illustre bien qu’il y a une très petite fraction de la population qui jouit à la fois d’une très grande fortune et d’un très grand revenu. Mais sont-ce toujours les mêmes ? S’il y a concurrence pour rester au sommet, cette concurrence n’est-elle pas ce qui est indispensable pour soulever la barque de tout le monde ? C’est le modèle de la toile cirée (voir conclusion) magnifiquement représenté par cette copula.

III. SONT-CE LES MÊMES QUI RESTENT AU SOMMET ? LA MOBILITÉ

De nombreuses études ont été consacrées à la question de la mobilité des revenus et/ou des patrimoines. Ce ne seraient pas les mêmes qui seraient toujours au sommet ou dans les revenus les plus faibles.
Au lieu de prendre la distribution des revenus instantanée, sans se préoccuper de qui est dans chaque centile ou décile, les chercheurs suivent les individus dans le temps pour savoir s’ils changent de classe.

L’une des plus sérieuses études est celle publiée dans le National Tax Journal par Gerald Auten & Geoffrey Gee de l’Office of Tax Analysis U.S. Department of the Treasury, Washington, à partir des revenus tirés des déclarations d’impôt et donne une bonne mesure de cette mobilité.
Cette étude note bien que le revenu du décile supérieur a progressé de 1960 à 2005 de 44,1% du total des revenus à 50,4% tandis que la part du quantile inférieur régressait de 4,2 à 3,4%.

Mais comme l’a très bien formulé l’économiste Joseph Schumpeter, ce ne sont pas les mêmes qui occupent tout le temps les mêmes d’hôtel les plus chères ou les soupentes :

– environ la moitié de ceux dans la quantile le plus bas en 1996 en étaient sortis en 2005 ;

– le revenu médian hors inflation s’était accru de 24% et le revenu médian des plus pauvres s’était accru en 2005 tandis que ceux au sommet en 1996 avaient vu le leur se réduire ;

de façon assez dramatique, seulement environ 40% de ceux qui étaient dans le top 1% au début y étaient encore à la fin, et seulement un quart de ceux qui étaient dans le top 1 pour 10.000 ;

– ces différentes mesures de la mobilité dans la période 1996-2005 sont restées très semblable à celles de la période 1987-1996 ; dans la mesure où les inégalités s’accrurent, la mobilité des revenus en valeur absolue s’est aussi accrue de sorte que la mobilité relative est restée la même en 20 ans.

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L’un des intérêts de cette enquête est qu’elle couvre encore un nombre élevé de ceux qui sont dans les revenus les plus hauts et qu’il est donc encore possible de tirer des conclusions statistiques sérieuses sur ces catégories.
Les conclusions sont donc particulièrement significatives :

– Une volatilité des revenus qui augmente avec le revenu puisqu’en 10 ans, 50% de ceux qui étaient dans le premier centile en étaient sortis mais 75% de ceux dans le premier dix millième.

– 25% de ceux dans ce dix millième dont le revenu a augmenté et 14,6% d’entre eux ont au moins doublé mais 60% d’entre eux ont aussi subi une chute de plus de moitié.

– La conclusion est que figurer dans les très hauts revenus est extraordinairement transitoire.

Les facteurs expliquant cette mobilité sont l’âge (les jeunes débutent généralement dans le quantile le plus bas mais montent avec l’âge), le statut familial (qui fait monter de 6 à 16 centiles le fait de se marier). le fait de débuter une entreprise (elle faisait monter de 3 à 5 centiles dans l’enquête 87-96 mais cette influence semble avoir disparu dans l’enquête 96-2005).

Un graphique publié par les mêmes auteurs dans un autre article illustre dramatiquement l’effet de l’âge :

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IV. LA MONTÉE DES INÉGALITÉS EST-ELLE BONNE OU MAUVAISE ?

Pour beaucoup d’économistes que l’on peut qualifier de politiques, qui appuient ou s’appuient sur des partis politiques, la montée des inégalités est mauvaise en soi.

Citons par exemple Joseph Stiglitz et son ouvrage « Le prix de l’inégalité » dans lequel il prétend démontrer que plus d’inégalité conduit à moins de croissance.
Cependant, dans un rapport récent, l’OCDE a établi une longue liste des travaux allant dans le sens de Stiglitz et d’autres allant dans le sens contraire et s’est crue obligée d’effectuer une très longue étude mathématique pour parvenir à montrer que, oui, les inégalités diminuent la croissance mais qu’un point de Gini c’est une baisse de la croissance de 3% en 5 ans ; une variation très faible à l’égard de la variabilité de tous les paramètres (que l’on pense seulement à l’arrivée du Président Reagan à la présidence des USA en 1981, de Margaret Thatcher comme Premier ministre au Royaume-Uni en 1978 ou du chancelier socialiste Gehrard Schroëder avec les lois Hartz (2003-2005) en Allemagne) qui ont bouleversé la croissance de leurs pays respectifs sans pour autant que le Gini de ces pays ait eu le temps de changer (même si leur action les a bouleversés ce qui ne semble pas avoir été étudié …).

Autre perspective : quelle est la raison pour laquelle les inégalités auraient cru ? Ceci a été aussi peu travaillé.

Piketty, cité comme le gourou économique par L’Obs, traite ce sujet de façon qu’on peut considérer comme infantile (voir annexe 1). C’est ce que Bill Gates confirme de façon polie dans son blog.

De nombreuses théories ont été consacrées à cette question : citons le remplacement de la force de travail manuelle par l’expertise provenant de l’éducation et l’intelligence, l’effet de l’âge et du vieillissement de la population, la mondialisation, l’immigration, l’augmentation des hauts revenus par le changement des lois fiscales, la baisse des bas revenus par le recul des syndicats.

Une idée assez répandue, disséminée à partir des statistiques du CBO et de Saez et Piketty est que la montée des inégalités s’expliquait par la montée des salaires des hauts cadres et hauts dirigeants.

Mais cette idée repose sur l’observation que les salaires constitueraient le poste le plus important du revenu des plus riches et, en ce qui concerne les 5% du sommet et encore plus du dernier centile, cette observation est totalement fausse : on verra notamment des études de Kennickell que dans le revenu des plus riches, la part constituée par le revenus du « business » et du capital représentent les deux tiers du revenu et les salaires moins du tiers, que le pourcentage des entrepreneurs à travers les revenus de « business » et du capital est très faible pour les déciles de revenu jusqu’au 10ème décile mais augmente ensuite rapidement lorsqu’on monte dans l’échelle des revenus ; et que ce pourcentage a augmenté dans les dernières années alors que la part des salaires régressait.

Ceci indique que l’entrepreneuriat serait le facteur déterminant derrière la montée des inégalités et que loin d’être un frein de la croissance, il en serait l’agent essentiel et qu’il serait alors absurde de lutter contre la croissance des inégalités, qu’il faudrait au contraire l’encourager et qu’en cherchant à brider cette croissance par une taxation des plus riches, les égalitaristes encourageraient la stagnation et le chômage.

C’est bien l’hypothèse qu’évoque The Economist même si la présentation de cet article est de façon apparente biaisé par l’idéologie.

La thèse de The Economist est que le monde est actuellement témoin d’une montée des très grandes fortunes associée à l’explosion technologique de l’information, et crée les « sultans du silicone » alors que la fin du XIXème siècle avait vu la transformation d’une nation agricole en une nation industrielle par une série de grands capitalistes et le magazine compare les Bill Gates, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos, etc. aux Rockefeller, Morgan, Carnegie. le biais idéologique est qu’il reprend un vieux thème de la gauche socialiste qui a été prouvé historiquement faux en les appelant les « robber barons », ceux qui, comme les pirates qui rançonnaient les bateaux sur le Rhin, vivent d’un monopole indu alors que la très grande partie de ces capitalistes ont fui l’intervention de l’État et s’inscrivaient déjà dans une philosophie voisine de celle d’Ayn Rand.

C’est pourquoi il nous a paru important pour les politiques publiques et l’avenir de nos sociétés qui en découle de développer cette recherche des causes de la montée des inégalités en regardant quelle part joue dans cette montée les entrepreneurs, ceux qui créent des entreprises et font pénétrer les bénéfices de l’innovation dans nos sociétés.

Trois séries de données portent dans ce sens :

I. La concentration des entrepreneurs dans la distribution des revenus

On a vu que la croissance des revenus était d’autant plus forte que les revenus étaient déjà plus élevés mais cette concentration est aussi celle du pourcentage d’entrepreneurs au fur et à mesure qu’on monte dans l’échelle des revenus.

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II. La source de la richesse des milliardaires de la série Forbes

Cette série qui, pour les USA, débute en 1983 permet de montrer que parmi les 400 américains ayant les patrimoines les plus élevés, 67% actuellement ont créé leur fortune par les créations d’entreprise et 90% si l’on inclut leurs parents. Ce pourcentage de 67% n’était que d’environ 50% en 1983 et on rejoint ici l’observation de The Economist que beaucoup de ces nouveaux capitalistes ont créé leur fortune en s’appuyant sur l’explosion du numérique comme les capitalistes du XIXème sur le chemin de fer, le pétrole et l’électricité.

Ces chiffres n’ont pas été contestés – la série Forbes est considérée par la plupart des spécialistes comme l’une des plus sérieuses et en fait sert à des égalitaristes comme Shorrocks pour affiner leurs calculs sur les grandes fortunes.

Mais elle est une épine dans le pied terrible pour les égalitaristes et des essais ont été menés pour tenter d’en réduire la portée.

La plus importante a été de dire que ces milliardaires ne sont pas partis de rien et qu’ils étaient déjà très riches quand ils ont débuté, par exemple les frères Koch, ou même Bill Gates, l’homme pour l’instant le plus riche du monde qui aurait démarré en informatique parce que ses parents ont pu lui payer de études dans une université de pointe où il a été mis le pied à l’étrier.

En sens inverse, une des études les plus exhaustives et les plus dévastatrices pour les égalitaristes est « Lessons from the 400 wealthiest » par Kevin W. Capehart » (2014). Elle montre que le décuplement de la fortune des 400 plus riches entre 1983 et 2013 n’est pas dû à la croissance des milliardaires déjà sur la liste au début mais par l’entrée de nouveaux arrivants comme Bill Gates ou Warren Buffet [[Decomposing the 1,807-billion-constant-dollar increase in the wealth of the 400 wealthiest Americans between 1982 and 2013 in such a manner, incumbents added about 273 billion constant dollars (of which Buffett contributed about 21 percent all by himself) and entrants added about 1,652 billion (of which Gates contributed about four percent), while decedents subtracted about 57 billion (of which Ludwig subtracted about eight percent), other dropouts besides renunciants subtracted a similar dollar amount (about 61 billion, of which Nelson Hunt subtracted about four percent), and renunciants subtracted a negligible amount (less than one billion constant dollars).]]. Ceci ajoute aux doutes que l’on pouvait avoir sur l’effet de la rente sur la croissance des patrimoines et conforterait l’idée que l’accroissement de la richesse des plus riches est essentiellement dû à leur capacité entrepreneuriale.

III. D’où vient la croissance des revenus du 1%

Si le témoignage qu’apporte les séries Forbes au rôle de entrepreneuriat dans la croissance des inégalités est important, il ne touche que 400 personnes sur près de 200 millions de foyers.

Il est donc intéressant d’aller explorer ce qui se passe pour le 1%.
Le 1% est le centile de la population dont le revenu est le plus élevé.

Une seconde acceptation est que c’est le centième des foyers dont le patrimoine est le plus élevé.

Même si comme on l’a vu (voir copula de Kennickell supra), les deux sont fortement liés, les ensembles des individus concernés ne sont pas identiquement les mêmes.

Le chercheur qui leur a consacré la documentation statistique la plus riche, près d’une trentaine de « working papers », est sans conteste Arthur. B.Kennickell, attaché au Federal Reserve Board.

Il s’appuie sur l’une des enquêtes statistiques les plus riches qu’il a suivie depuis sa création en 1983 et qui couvre patrimoine et revenus des foyers américains, le SCF (Survey of Consumer Finances).

Deux chercheurs comparent les enquêtes menées par l’IRS et celle de la Fed et montrent que, dans l’absolu, il peut y avoir des écarts considérables dans les résultats suivant ce que l’on mesure.

Celle issue de l’IRS couvre un nombre beaucoup plus considérable de foyers mais simultanément, elle est muette sur les foyers qui ne déclarent pas d’impôts, soit environ un tiers des foyers.

C’est un défaut qui touche aussi le SCF car il s’appuie pour ses enquêtes sur la base IRS, il porte sur un nombre de foyers très limité environ 4.500 ; mais il compense cette infériorité numérique par un renforcement de l’échantillon sur les plus hauts revenus et il couvre aussi un nombre de questions beaucoup plus étendu que celui auquel peut répondre l’imprimé 1040 et annexes sur lequel sont effectuées les déclarations d’impôt.

Le 1%, la bête noire des égalitaristes

Tous les égalitaristes s’en sont pris au 1%, s’indignant qu’il détienne entre 30 et 40% [[Au passage, on peut noter que le patrimoine du centile des plus hautes revenus est nettement plus faible (17 trillions de $) que le patrimoine du centile le plus riche (21,8 trillions) soit 22% de moins car les plus hauts revenus n’ont pas forcément les plus hauts patrimoines. Inversement, le centile le plus riche en 2006 a vu ses revenus à 1.603 milliards alors que le revenu du centile de revenu le plus haut était de 2.097 milliards, 23% de moins.]] de tout le patrimoine des ménages américains et reçoivent quelque 20% des revenus. Ils sont dénoncés comme des accapareurs, des profiteurs, qui ne vivent que de la rente, dont la fortune provient essentiellement au mieux de l’héritage. C’est ainsi que dans Le prix de l’inégalité, Stiglitz écrit (page 370) : « …le taux d’imposition maximal devrait être nettement supérieur à 50% et vraisemblablement à 70%. Et que ces travaux [sur les systèmes fiscaux, NDLR] n’ont pas pris en compte le degré auquel ces très hauts revenus proviennent de rente ».

Après avoir dénoncé la rente sur 900 pages dans le Capital au XXIème siècle, Thomas Piketty laisse entrevoir que la montée des inégalités du 1% proviendrait de la montée des hauts salaires et, en s’appuyant sur sa très grande divination, que cette montée est le résultat de la montée des salaires de hauts dirigeants et hauts cadres.

Les statistiques du SCF( voir tableau ci-dessous [[L’une des forces des statistiques de Kennickell est qu’il n’agglomère pas tous les revenus du plus haut décile, mais distingue les revenus ou patrimoine entre le 90ème et le 95ème centile, le 95ème et le 99ème et le centième, évitant d’alourdir le décile ou centiles par le poids du centile le plus haut.]] ) démontrent au contraire que :

– Le patrimoine du 1% le plus riche est essentiellement constitué d’actions dans une entreprise étroitement contrôlée (« closely held [[Si nous avons bien compris, avec au plus 5 actionnaires liés par un pacte.]] »).

– Que le 1% détient plus de 60% de tout le patrimoine entrepreneurial américain délimité par ces entreprises ce qui colle avec l’observation de Wolff que 75% du 1% sont des petits entrepreneurs et la complète en montrant que ces petits entrepreneurs représentent environ 40% de l’ensemble du patrimoine industriel américain en y incluant les entreprises ouvertes ou même cotées.

– Que passant du patrimoine industriel aux revenus, les revenus de cette activité entrepreneuriale représentent en 2007 environ un tiers contre un peu plus pour les salaires mais dépassent largement les salaires si l’on y ajoute les revenus découlant d’investissement industriels, dividendes, intérêts, et plus-values (même si une partie des plus-values est d’origine immobilière).

Qu’historiquement, il y a eu une montée de ces patrimoines et de ces revenus industriels depuis que le SCF existe, qui, à lui seul, explique la montée des inégalités.
En effet, le patrimoine industriel du 1% passe de 7.399 milliards en 1989 à 18.466 en 2007 soit une hausse de 11.067 milliards alors que le patrimoine du 1% passe de 8.538 à 21.864 milliards soit une hausse de 13.326 milliards.

La hausse du patrimoine industriel serait ainsi responsable de 83% de la hausse des patrimoines.

CONCLUSION : LE MODÈLE DE LA TOILE CIRÉE

Pour celui qui aborde l’étude de la répartition des revenus ou des fortunes, il est a priori assez troublant de découvrir que ceux dont les revenus ou les patrimoines sont les plus élevés sont aussi ceux dont ces revenus ou patrimoines ont grimpé le plus vite.

Les jaloux et les économistes idéologues accusent alors la loi des rendements du capital, dite loi des intérêts composés : en effet, elle permet d’envisager une croissance exponentielle des revenus. Un centime placé au taux de 5% à l’époque romaine aurait ainsi produit à ce jour un montant représentant la taille de la Terre en or pur.
Mais le troublant dans cette explication est que tout individu bénéficie de cette loi et que donc l’ensemble du monde devrait finir milliardaire.

Une première objection est que ce ne sont pas les mêmes qui sont au sommet tous les ans. Comme nous l’avons vu dans la 2ème partie à propos des milliardaires de la revue Forbes, sur les 140 milliardaires de sa première édition de 1987, en 2012, 25 ans plus tard, seulement 24 étaient restés de façon continue dans cette liste. Et surtout l’accroissement considérable de leur patrimoine est à 90% l’effet de nouveaux entrants, pas dans la montée du patrimoine de ceux déjà présents sur la liste au début.
Ceci remet à sa place la grande théorie de Thomas Piketty sur l’accumulation du capital.

Mais une autre explication nous paraît plus pertinente, que nous appelons le modèle de la toile cirée : si nous nous figurons une toile cirée, posée à plat sur une table circulaire et que nous commençons à soulever cette toile par un doigt passant au centre de la table, la toile prend la forme d’une petite montagne au centre dont les flancs, pentus vers le centre, s’adoucissent en allant vers l’extérieur. Pour ceux qui ont fait mathélem, la section est celle d’une chaînette, qui est aussi celle des flancs de la Tour Eiffel.
Cette section ou coupe représente bien la distribution statistique des revenus ou des patrimoines, sauf qu’elle n’est pas strictement une chaînette, mais une loi de Pareto.
Au centre sont les riches, à l’extérieur les plus pauvres.

La copula dessinée par Arthur Kennickell (voir 1ère partie) en est une bonne représentation.

Il est alors intuitif que, si l’on veut qu’en moyenne la surface de la toile cirée monte de x%, il faut faire monter le centre beaucoup plus. En d’autres termes, la croissance de la richesse de tous exige qu’il y ait une croissance beaucoup plus forte des plus riches.

Mais la descente sur la surface de la toile cirée est aussi beaucoup plus rapide quand on est au centre que quand on s’écarte vers la périphérie comme nous l’avons vu dans l’étude de la mobilité.

On peut se demander quelle est la force derrière le doigt qui soulève le centre.

Elle a probablement changé au cours des siècles, en commençant au Moyen Âge par la force physique et le courage qui ont permis à des châtelains d’émerger et de construire leurs châteaux au centre de la toile.

Mais depuis la révolution industrielle, il est clair que ce doigt est devenu l’entreprise, car c’est le plus souvent par leurs entreprises que les plus riches sont devenus riches, beaucoup plus rarement par leurs talents artistiques ou sportifs.

Ainsi, de 1997 à 2010 [[Nous avons pris 1997 et pas 1987, date de la première liste de Forbes, pour être sûrs que la couverture était bien mondiale.]], en 13 ans, le PIB mondial est passé de 46,9 trillions de dollars à 74,4, une augmentation juste en dessous de 60% mais le nombre des milliardaires de Forbes est passé de 486 à 1.011 et leur fortune totale de 1.200 milliards à 3.600, un triplement.

Peut-être le vingt et unième siècle apportera-t-il d’autres façons de soulever la toile. Peut-être sera-t-il démontré que la manière de devenir riche est de faire de la politique (ce dont nous doutons). Ou tout simplement qu’il n’y a plus à soulever la toile cirée car tout le monde est sorti de la misère.

Pour l’instant, avec une bonne partie de l’humanité vivant avec moins d’un dollar par jour, qui ne peut savourer Kant ou Beethoven car taraudée par le souci de manger ou de nourrir ses enfants, il semble que nous ayons encore quelques années où le slogan des communistes chinois, « enrichissez- vous », rappelé par Emmanuel Macron, ait encore toute sa validité, même si nous ne pouvons empêcher certains de prêcher le bonheur par l’ascétisme.

ANNEXE 1

La légèreté des travaux de Thomas Piketty

À priori, pour notre célèbre économiste, il est clair que l’augmentation des inégalités est injustifiée, à proscrire par elle-même. C’est à cette question qu’il va s’employer à consacrer une grande partie des quelques 960 pages de « Le capital au XXIème siècle » et va essayer de nous convaincre que le principal moteur de la croissance inégale est la rentabilité du capital.

Malgré le flot de statistiques sous lequel il essaie de noyer le lecteur (un de ses procédés favoris), sa naïveté est étonnante.

Par exemple, il s’étonne (page 626) de ce que les septuagénaires ou octogénaires puissent devenir plus riches que les quinquagénaires ou sexagénaires : « De toute évidence, cet enrichissement spectaculaire des octogénaires ne s’explique pas par le revenu de leur travail ou par leur activité entrepreneuriale : on les imagine mal créant des start-up tous les matins ». Peut-être parce qu’il n’a connu que le milieu professoral ou des chercheurs de l’EHESS, il n’imagine pas que l’on puisse continuer à travailler et travailler dur après l’âge de la retraite officielle de 65 ou 68 ans.

Il ne s’est jamais demandé pourquoi un Rupert Murdoch continue de travailler dur pour développer son empire et pourquoi un Sam Walton, qui fut un moment l’homme le plus riche du monde n’a cessé de travailler jusqu’à sa fin. Sa seule explication se trouve dans les intérêts composés qui feraient que l’on devient plus riche à 85 qu’à 60 ans (page 627).

C’est là où l’on voit le danger d’intellectuels totalement déconnectés de la réalité.

Mais il est plus intéressant de voir l’affabulateur à l’œuvre sur des questions de fond qui sont centrales au débat : pourquoi les inégalités s’accroissent ?
« Pour une large part par la montée sans précédent de l’inégalité des salaires et en particulier par l’émergence de rémunérations extrêmement élevées au sommet de la hiérarchie des salaires, notamment parmi le cadres dirigeants des grandes entreprises « (page 471). Et T. Piketty sert à l’appui de cette tirade deux graphiques 8.7 et 8.8 censés prouver son point. Les deux représentent la même évolution, l’un pour le décile supérieur, l’autre pour le centile. On y voit trois courbes s’y suivre dans leurs formes : les deux supérieures sont la part du décile (ou du centile) supérieur dans le revenu national l’une avec plus-values, l’autre sans les plus-values, la courbe la plus basse représente la part du décile (ou du centile) dans la masse salariale.

Il est clair qu’il y a un certain parallélisme mais, dans les revenus du décile ou du centile, les salaires ne représentent qu’une partie, environ le tiers (voir Kennickell) et que les revenus entrepreneuriaux y sont aussi importants, et surtout (voir Partie III) prennent une place croissante alors que la part des revenus salariaux est stationnaire. Il est à peu près certain que les revenus entrepreneuriaux ont aussi évolué comme la part du décile ou du centile dans le revenu national et que ces deux graphiques ne représentent en rien une démonstration de l’affirmation qui les précède.

L’affirmation que la montée des inégalités est due à la montée des super-cadres est répétée page 500-501 avec à l’appui des courbes montrant la part du centile supérieur dans le revenu national mais sans jamais montrer en quoi les revenus salariaux des super-cadres représentent la part prépondérante de ce revenu. Nous avons des travaux de Kennickell la preuve contraire de cette affirmation.

On voit en effet sur le graphique ci-dessous que la part des salaires (courbe en noir) dans le revenu est majeure pour les revenus jusque dans les 5 derniers centiles mais devient plus faible que les revenus du business( les entreprises dirigées par leurs propriétaires)( courbe en rouge) et surtout de la somme du business et des revenus du capital (actions notamment) (courbe en bleu).

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Les autres affirmations participent à peu près de la même légèreté :

– Page 473, la mobilité salariale est expédiée de la même manière : « en calculant les salaires moyens obtenus au niveau individuel sur de longues durées (10, 20, 30 ans). On constate que la hausse des inégalités salariales est identique quelle que soit la durée de la période de référence choisie » (page 474). On ne comprend pas très bien pourquoi prendre la hauteur moyenne des pieds d’un surfeur qui descend une vague renseigne sur le fait qu’ils soient passés par le haut de la vague et en soient descendus.

– Ce qui le dérange le plus est l’existence de listes comme celles de la revue Forbes sur les milliardaires. Il se refuse à voir qu’environ les deux tiers ont été créés par des entrepreneurs de leur vivant et non pas par héritage. Il veut absolument voir dans la croissance de la fortune de Liliane Bettencourt, héritière de l’Oréal, la preuve que le capital se nourrit de lui-même pour croître. Il aurait aussi bien pu prendre comme exemple Bill Gates dont la fortune a doublé depuis qu’il laissé les rênes de l’entreprise à Steve Ballmer. Il s’agit là encore d’une vision assez infantile car l’Oréal a dû sa croissance au choix de quelques dirigeants remarquables – et à la dynamique propre du secteur industriel où l’avait lancé le fondateur, phénomène que l’on retrouve aussi dans la poursuite de l’expansion des fortunes des octogénaires. Mais c’est loin d’être la loi, beaucoup de milliardaires ne le restant pas.

ANNEXE 2

Liste des références

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