Peu de nos concitoyens ont en mémoire la date de 1906, et pourtant elle est celle d’un évènement historique qui a déterminé la façon dont notre économie allait pouvoir évoluer tout au cours du XXe siècle. Et, sans le savoir, nous en subissons encore les conséquences, aujourd’hui. Il s’agit de la date à laquelle s’est tenu à Amiens le IXe congrès de la Confédération Générale du Travail (CGT) où a été proclamée la fameuse « Charte d’Amiens ». C’est au cours de ce congrès qu’ont été fixés le rôle et la manière d’opérer du syndicalisme en France. Il a fallu tout au cours du XXe siècle que le patronat de notre pays « fasse avec » ce type de syndicalisme, un syndicalisme qui s’est donné pour mission de transformer la société avec pour objectif « l’expropriation capitaliste», c’est-à-dire rien de moins que l’appropriation par la classe ouvrière des outils de production. Notre économie, bien évidemment, s’est fortement ressentie de la façon dont le syndicalisme, dans notre pays , a conçu son rôle
Il a fallu que le patronnat fasse avec cette charte et avec l’idéologie qu’elle a instillée dans l’esprit des salariés de notre pays, et l’état dans lequel se trouve aujourd’hui notre économie est la traduction de la façon dont le syndicalisme ouvrier a agi dans notre pays. Il y a eu le Front Populaire, en 1936, et, ensuite, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la mise en application du programme du Conseil National de la Resistance (CNR) qui a imposé la nationalisation des mines et de l’énergie, ainsi que des assurances ,des moyens de transports , des banques et de plusieurs grandes entreprises industrielles, dont Renault ! Aux élections législatives du 10 novembre 1946, on s’en souvient, le parti communiste a recueilli un peu plus de 28 % des suffrages. . Et, en 1981, il y a eu, à nouveau, l’arrivée des communistes au pouvoir avec François Mitterrand et son « programme commun de la gauche », ce qui se traduisit, une fois de plus, par un important cortège de nationalisations.
La France a donc dû vivre avec un syndicalisme ouvrier qui, avec la Charte d’Amiens dans son ADN, a été en permanence en lutte avec les patrons. Les pays nordiques et la Suisse ont su se doter d’un syndicalisme d’un tout autre genre, un syndicalisme réformateur qui a accepté de collaborer avec les partis politiques pour améliorer le sort des travailleurs. Il en est résulté que notre niveau de richesse se trouve être, aujourd’hui, considérablement inférieur à celui de bon nombre de nos voisins européens.
Dans notre pays, nos chefs d’entreprise ont été, en permanence, entravés dans leurs actions par l’hostilité des syndicats, et ils se sont trouvés avoir affaire à un Code du travail très lourd qui a bridé leur dynamisme. En Allemagne, la collaboration des syndicats avec la Sozialdemokratie a permis de déboucher sur la cogestion des entreprises, et, en Suisse, le patronnât et les syndicats ont conclu très tôt un accord qui s’est appelé « La paix du travail », un pacte qui est devenu un marqueur de l’identité des Helvètes. Avec la cogestion, les salariés, en Allemagne, participent à la gestion des entreprises, et en Suisse la paix sociale est assurée, les syndicats et le patronat ayant décidé, en 1937, de régler leurs conflits par des négociations et non plus par des grèves ou des lock-out. En France, du fait de la position adoptée par la CGT au congrès d’Amiens, on en resté à la « lutte des classes », et ce mauvais climat social a nui, en permanence, au bon fonctionnement de l’économie. Le tableau ci-dessous donne, à titre d’exemple, une indication de ce qu’est aujourd’hui le climat social dans notre pays :
Grèves |
( Jours perdus/an pour 1.000 salariés) |
France…….…..114 |
Belgique…….…91 |
Espagne……….64 |
GB……………….19 |
Suisse……….… 1 |
La Charte d’Amiens
La légalisation des syndicats remonte en France à 1884, et c’est en 1895 que la Confédération Générale du travail (CGT), a été créée, avec pour secrétaire général Victor Griffuelhes. C’est lui, nous allons le voir, qui sera l’acteur principal du Congrès d’Amiens. Et c’est en 1905 qu’est née la SFIO, la section française de l’Internationale ouvrière, avec à sa tête Jules Guesde qui sera, lui aussi, un acteur important du congrès d’Amiens.
Le Congrès d’Amiens de 1906 était le IXe congrès confédéral de la CGT. Les congressistes eurent à arbitrer entre 3 motions différentes : celle des Guedistes qui proposait de subordonner le syndicat au parti socialiste, celle d’Auguste Keufer de la fédération du Livre, qui avait un caractère strictement économique, et une troisième, celle de Victor Griffuelhes, rédigée en collaboration avec Emile Pouget, qui fixait come objectif l’expropriation capitaliste avec comme moyen d’action la grève générale. C’est la motion de Victor Griffuelhes qui triompha, avec 830 voix sur 839 votants. Ce fut donc la motion donnant au syndicalisme pour rôle de transformer la société par l’expropriation capitaliste qui l’emporta, et ceci, à la quasi-unanimité. Elle stipulait que le syndicalisme doit agir directement, en toute indépendance des partis politiques, se suffisant à lui-même, avec comme moyen d’action la grève générale. Et il était précisé dans cette motion : « le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, demain groupement de production » : l’objectif final était donc bien une société à la façon dont, plus tard, les bolcheviques l’institueront en Union soviétique.
La spécificité du syndicalisme français
Le syndicalisme français a ainsi eu, au XXe siècle, deux caractéristiques particulières : la lutte des classes avec pour objectif l’expropriation capitaliste et l’action directe plutôt qu’une collaboration avec les partis politiques. Il s’est positionné comme révolutionnaire, avec un puissant moyen d’action : la grève générale.
Un syndicalisme à caractère révolutionnaire
Au congrès d’Amiens il y a eu, avec la motion de Griffuelhes, intégration de l’anarchisme au marxisme.
Apres le congrès d’Amiens, survint très vite la première guerre mondiale, ce qui obligea la CGT, qui s’était ralliée à « l’Union sacrée », à mettre en sommeil son militantisme. Au lendemain de la guerre, le caractère révolutionnaire de la CGT a déplu à une partie des syndicalistes, et il se créa, en 1919, la « Confédération française des travailleurs chrétiens », la CFTC, en référence à l’encyclique Rerum Novarum du Pape Léon XIII ; mais il s’est agi d’un groupe très minoritaire. Survint, ensuite, la très grave crise de 1929, dérivée du krach de Wall Street, et, là, à nouveau, l’action de la CGT dut se ralentir. Ce ne fut donc, finalement, que lorsque la situation redevint normale que la CGT put agir : on eut ainsi, en 1936, le « Front Populaire », un mouvement lancé pour « rattraper le retard pris par la IIIe République ». Le mouvement se déclencha en Mai, les premières grèves ayant lieu dans l’aéronautique ; elles s’étendirent très vite au secteur de l’armement, et le mouvement se propagea, dans l’allégresse, dans toute la France, touchant même les commerces et la grande distribution.. On compta un peu plus de 12.000 grèves, dont 9.000 avec occupation d’usines. Finalement le pays se trouva complètement paralysé, et le 7 juin, à l’initiative du gouvernement, le patronat et les syndicats signèrent les « Accords Matignon »..Il y eut ainsi une forte augmentation des salaires, les premiers congés payés (15 jours), et une semaine de 40 heures au lieu de 48 h ; et on nationalisa les usines d’armement, et plaça la Banque de France sous tutelle. Il y eut, comme conséquence, une forte dévaluation du franc par Léon Blum le 17 novembre 1936 ; et la SNCF fut créée l’année suivante, en 1937. Pendant que les Français faisaient la révolution, de l’autre côté du Rhin Hitler était allé réoccuper la Rhénanie qui avait été démilitarisée, et dans un discours, le 16 mars 1936, il avait annoncé, sans que l’on s’en inquiétât, le réarmement de l’Allemagne en violation complète des clauses du traité de Versailles.
Arriva la seconde guerre mondiale, en 1939, où l’armée française fut foudroyée, en 6 semaines, par la Wehrmacht qui avait opté pour la guerre de mouvement, alors que nous en étions restés à une guerre statique, avec, au plan technologique, beaucoup de retard. Au lendemain de la guerre, on appliqua le programme du CNR, le « Conseil national de la Résistance », préparé dans la clandestinité par la CGT et la CFTC qui s’étaient réconciliées. Il prévoyait le « retour à la nation des grands moyens de production, des richesses du sous-sol, des grandes banques et des compagnies d’assurance » : un programme d’inspiration donc totalement marxiste. Il y eut, ainsi, plusieurs vagues de nationalisation : les Houillères, puis Renault, Gnôme –Rhône, la Snecma… ; ensuite, le secteur bancaire, puis les compagnies de gaz et d’électricité. Et il y eut deux grandes innovations : la Sécurité sociale et les Comités d’entreprise. Et dans ce grand élan de conquêtes sociales on inscrivit le droit de grève dans la Constitution.
Le général de Gaulle créa, en 1946, avec Jean Monnet le « Commissariat Général au Plan » : notre économie redémarra, et se modernisa, et le mouvement syndical commença à se diversifier. La CGT, néanmoins, se trouva complètement inféodée au parti communiste, ce qui renforça sa puissance. De son coté, la CFTC, en 1969, abandonna sa référence au christianisme pour devenir la CFDT (Confédération démocratique du travail) ; et d’autres syndicats ouvriers apparurent : FO, UNSA, FSU, Sud…..
Un syndicalisme optant pour l’ « action directe »
La charte d’Amiens a affirmé l’indépendance du syndicalisme à l’égard des partis politiques et des religions. Il y avait chez Victor Gruefflhes une méfiance viscérale à l’égard des politiques, considérés comme des hommes théoriques : des « bourgeois ».Les congressistes d’Amiens ont considéré que les socialistes étaient des hommes réunis par une simple opinion, et que cela valait moins pour faire une révolution que des hommes réunis par le fait qu’ils appartiennent à la même classe sociale. Le syndicalisme français a voulu une révolution par le bas, faite par des prolétaires, alors que les socialistes étaient partisans d’une transformation par le haut : on opta donc pour « l’action directe », avec comme arme la grève générale. En Allemagne, au contraire, en 1906, au congrès de la SPD (Parti Social Democrate) à Mannheim, une résolution a affirmé que « le parti et les syndicats forment un tout » ; et le syndicalisme, chez notre voisin, a ainsi préféré opérer par des conventions collectives.
Les conséquences, au plan économique
La charte d’Amiens a constitué l’ADN du syndicalisme français. L’objectif visé, « l’expropriation capitaliste », n’a pas été atteint, mais il s’en est fallu de très peu au lendemain de la dernière guerre, le général de Gaulle, par son extrême habilité étant parvenu à nous éviter le pire. La France est bien, toujours, un pays capitaliste avec une économie libérale, mais avec toutes les luttes qui ont été menées notre pays est caractérisé par des acquis sociaux considérables, et ils ont été, pour plus de sureté, inscrits dans la loi. C’est ce que montre le tableau ci-dessous :
Comparaison France-Pays nordiques-Suisse
France | Pays nordiques | Suisse | UE | |
Taux de population active | 45,1 % | 45% à 55 % | 57 % | 48,5 % |
Durée de la vie active | 35,6 ans | 41,0 ans | 42,4 ans | 36,0 ans |
Heures de travail/an | 1.402h | 1.662h | 1.831h | 1.850h |
Durée hebdo. du travail | 35h | 37-38h | 45-50h | 40,3h |
La France a un taux de population active particulièrement faible, ce qui signifie qu’il y a un nombre anormalement élevé de personnes qui ne travaillent pas, vivant donc à la charge de la collectivité nationale. On voit, également, que la durée de la vie active est bien plus courte que dans les autres pays : les gens entrent dans la vie active trop tard et partent à la retraite trop tôt. Autre acquis, la durée légale de travail hebdomadaire est inférieure à celle des autres pays, et le nombre d’heures travaillées par an est bien plus faible que chez nos voisins. Il en résulte, inévitablement, un PIB per capita inférieur à celui des pays nordiques, ou de la Suisse, comme le montre le graphique ce dessous :
Le financement de tous ces acquis sociaux a nécessité un recours constant à l’endettement, l’économie française ne produisant pas suffisamment de richesse. L’endettement du pays ne cesse donc pas d’augmenter, et la courbe suivante montre ce qu’il en est de l’endettement quand on le calcule par habitant :
Nous en sommes actuellement à une dette de 113 % du PIB, alors que pour les pays nordiques elle est de l’ordre de 40 %, et que pour la Suisse il s’agit de seulement 17 %. Aussi, la grande agence de notation américaine Standard & Poor’s vient-elle de faire à nouveau reculer notre pays d’un cran dans sa notation de la qualité de notre dette : nous en sommes, maintenant, à la note AA-.
Pour notre gouvernement qui commence enfin à s’atteler au redressement de l’économie de notre pays la tâche est extrêmement ardue car les acquis sociaux sont sacrés : politiquement, on ne peut pas y toucher. Il va falloir donc que le pays augmente considérablement sa richesse, et cela passe par la reconstitution de notre secteur industriel qui ne représente plus que 10 % du PIB, alors qu’il s’agit de 23% ou 24 % en Allemagne ou en Suisse. Il faudrait pouvoir remonter à 18 % la contribution de notre secteur industriel à la formation du PIB. Emmanuel Macron a timidement commencé à le faire avec son Plan « France 2030 » lancé en octobre 2021, un plan qui arrive bien tard et qui est très insuffisant. Il faudrait qu’il intensifie considérablement son action, mais on le sait bridé pour agir par la Commission Européenne. Mais ce n’et pas lui qui va la bousculer, compte tenu de son tropisme européen. Le temps pourtant presse de sortir le pays de sa léthargie : il est, incontestablement, temps d’agir vigoureusement, sans quoi nous allons finir par être conduits aux déboires qu’a connus la Grèce, en 2008, avec sa grave crise financière. C’est la troïka FMI-BCE-Commission Européenne qui intervint pour remettre de l’ordre, et l’on sait que ce fut très douloureux pour les Grecs.
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dans la population active il faut séparer les inertes pardon ceux qui tirent l’économie vers le bas c’est à dire 5 millions de fonctionnaires inutiles dont la moitié devraient être privés, sur les 7 millions et quelques et en tenant compte de la vie active et de la durée de travail? SANS OUBLIER les 114 journées de travail perdues pour cause de grèves
IL NE RESTERAIT PLUS QUE moins de 40 MILLIONS D’ACTIFS (et encore) !