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 L’agriculture française face à de graves problèmes de stratégie

par Claude Sicard
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Notre pays vient de se trouver agité par une grave crise agricole : il a suffi, pour la déclencher, d’une simple augmentation par l’Etat du prix du GNR qui est le gas-oil qu’ utilisent nos agriculteurs sur leurs exploitations, et elle a embrasé subitement toute la France. Tous les syndicats agricoles se sont entendus pour mobiliser leurs troupes, et des quatre coins du pays, par milliers, des tracteurs agricoles ont afflué sur Paris pour tenter de bloquer le marché de Rungis qui alimente la capitale. On n’avait jamais encore vu  une révolte d’une telle ampleur dans ce secteur : nos paysans considèrent  que leur situation n’est plus tenable, et qu’ils sont délaissés par nos gouvernants. Ils veulent donc se faire entendre, et pour cela ils ont décidé d’agir, cette fois, très vigoureusement : ils veulent mettre le gouvernement au pied du mur. Ils se plaignent de ne pas parvenir à gagner leur vie malgré tout le travail qu’ils fournissent ; leur revendication est simple : « on veut être payé pour le travail que l’on fournit ». Ils expliquent qu’ils ont des métiers très contraignants les obligeant à se lever tôt et à faire de longues journées de travail, et ils prennent très peu de vacances : ils se révoltent pour que, collectivement, l’on trouve des solutions à leurs problèmes. On a donc vu, partout, s’ériger à travers toute la France des barrages routiers, et ce à quoi fait penser cette subite révolte, si l’on fait un parallèle avec  ce que l’on voit fréquemment dans le domaine industriel, c’est le spectacle d’ouvriers qui après s’être mis en grève sans succès pour obtenir des augmentations de salaire vont occuper leur usine alors que leur entreprise est en train de déposer son bilan : on a affaire, dans un cas comme dans l’autre, à des problèmes sans solution, avec des personnes désespérées qui n’ont « plus rien à perdre ». On s’interroge donc : pourquoi notre secteur agricole  se trouve t il dans une telle situation ? 

Des chiffres alarmants :

Que s’est il donc passé ? On avait jusqu’ici le sentiment que la France était toujours une grande nation agricole, venant en numéro un au plan  européen, et les agriculteurs nous disent, maintenant, qu’ils ne parviennent pas à gagner leur vie. On les voit au bord du désespoir, et il y a, effectivement, dans cette profession, en France, de très nombreux suicides : un par jour, nous dit la Mutualité sociale agricole en consultant ses fichiers !  Il faut donc voir ce qu’il en est.

Et, tout d’abord,  un premier constat : nous avons perdu 100.000 fermes en 10 ans, et dans  beaucoup de celles qui existent encore l’exploitant ne parvient pas à se rémunérer au SMIC, la survie de l’exploitation étant assurée par des aides de l’Europe (la PAC) et par le salaire apporté par l’épouse qui a un travail à l’extérieur.

Autre constat : 20 % de ce que nous consommons quotidiennement est constitué par des produits importés : nos importations agricoles, en effet, ne cessent de croitre, et, ce, dans tous les secteurs. Nous nous approvisionnons à l’étranger, à hauteur de :

  • 50 % pour le poulet ;
  • 38 % pour la viande de porc ;
  • 30 % pour la viande de bœuf ;
  • 54 % pour le mouton ;
  • 28 %  pour les légumes ; 
  • 71 % pour les fruits (dont 30 % à 40 % seulement sont exotiques).

Notre agriculture est-elle donc à ce point incapable de pourvoir à tous nos besoins alimentaires ? Et l’on voit, par ailleurs, qu’ en matière d’exportation de produits agricoles et agroalimentaires, deux pays européens nous devancent maintenant, en Europe, alors que jusqu’ici nous étions  en tête : les Pays Bas et l’Allemagne. Un rapport du Sénat, en date du 28 Septembre 2022, tire la sonnette  d’alarme. Il fait le constat suivant : « La France est passée en 20 ans du deuxième rang au cinquième des exportateurs mondiaux de produits  agricoles et agroalimentaires » ; et le rapporteur poursuit : « L’agriculture française subit une lente érosion. La plupart des secteurs sont touchés : 70% des pertes de parts de marché s’expliquent par la perte de compétitivité de notre agriculture ». ll s’agit donc de problèmes de compétitivité, et donc de problèmes de stratégie qui n’ont pas été traités en temps voulu, dans chacun des secteurs, ni par les responsables syndicaux, ni par les pouvoirs publics.

 Des problèmes de stratégie qui n’ont pas été résolus :

Le développement de notre agriculture depuis la fin de la seconde guerre mondiale s’est effectué sans que les dirigeants des divers secteurs d’activité aient eu la moindre pensée stratégique pour guider leur action. L’agriculture française, après la seconde guerre mondiale, avait un urgent besoin de se moderniser : on a, peu à peu, augmenté la taille  des exploitations, on a mécanisé les  cultures, on a  eu recours fortement aux engrais et au produits phytosanitaires, et on a mieux formé nos agriculteurs. Notre agriculture s’est ainsi modernisée, mais elle a évolué  homothétiquement par rapport au passé, sans aucune pensée stratégique de la part des instances gouvernementales en charge de ce secteur. On a maintenant des exploitations, certes plus grandes qu’autrefois (69 Ha en moyenne), mais qui ne permettent pas aux exploitants de gagner leur vie correctement : cela a pu fonctionner ainsi grâce aux aides de l’Europe qui a  mis en place en 1962 la PAC (Politique Agricole commune) avec pour  objectif d’obtenir l’autosuffisance alimentaire de l’Union européenne. Avec ces aides nos agriculteurs ont pu survivre,  mais cela a masqué la nécessité de se poser des problèmes de stratégie. La France est le pays qui a le plus bénéficié des aides  de la PAC  (9,5 milliards d’euros en 2022),  des aides accordées au prorata des surfaces,  et l’objectif d’autosuffisance de l’ Europe a bien été atteint : mais ces aides de la PAC n’ont fait que retarder le moment où il allait être nécessaire de se poser des questions sur la façon de faire évoluer  chacune des branches de notre agriculture pour que nos productions soient concurrentielles. On ne peut rien faire de bon avec des exploitations de 69 Ha : elles sont soit trop grandes soit trop petites si  on reste  sur les manières de cultiver d’autrefois..

Nos voisins ont généralement  bien mieux résolu que nous leurs problèmes, et c’est tout spécialement le cas des Pays-Bas et du Danemark :

Les exemples hollandais et danois:

Pour illustrer notre propos nous donnerons deux exemples : la Hollande et le Danemark.

Le cas de la Hollande.

La Hollande est devenue malgré la dimension très faible de son territoire un très gros exportateur de produits agricoles et agroalimentaires. Elle a résolu le problème des petites exploitations en les équipant de serres où tous les paramètres (chaleur, lumière et humidité) sont contrôlés en permanence par des ordinateurs, et les exploitants sont intégrés verticalement dans des organismes qui assurent la commercialisation. C’est ainsi que sont équipés les maraichers et les horticulteurs. Il s’agit d’une agriculture de précision, numérique : la région du Westland, notamment, est couverte de serres équipées de lampes led, des lampes qui ont un spectre lumineux spécifique. Et la Hollande est devenue le numéro un mondial dans le domaine de l’horticulture : elle détient 60 % du commerce mondial des fleurs. Royal Flora Holland est le leader mondial de la floriculture avec plus de 10 millions de fleurs et plantes vendues chaque jour. Au plan technique, les Hollandais sont très avancés et le salon GreenTech à Amsterdam a chaque année beaucoup de succès. Dans le domaine floral, par exemple les Hollandais ont réussi à faire des roses noires, des rosiers sans épines, des roses qui ne fanent pas, etc….Dans le même temps, en France, nous avons perdu 50 % de nos exploitations horticoles en 10 ans, et 90 % en 50 ans.

Le cas du Danemark

Le Danemark a spécialisé son agriculture dans la production porcine et dans l’agrobiologie. Dans le domaine du porc, ce petit pays est devenu le second exportateur mondial de porcs, après les Etats-Unis, les exportations représentant 90 % de la production nationale. Si l’on ramène les exportations à la population du pays, on  en est à 338kg/habitant au Danemark, contre 167 Kg dans le cas de l’Allemagne qui est lui aussi un très gros exportateur de porcs, et 7 Kg pour ce qui est de la France. La qualité des porcs danois est mondialement réputée et la productivité des truies est exceptionnelle : 33,6 porcelets sevrés en moyenne par truie nous disent des revues. Aussi, DanBred, le grand spécialiste danois de la génétique porcine, vient-il de s’installer en France (à Ploufragan, en Bretagne) pour aider les producteurs bretons de porcs à améliorer leur productivité. Le porc danois est appelé « cochon à pompons » (pie-noir) :c’est un animal musclé, très rustique, et particulièrement prolifique.

Le problème français

Ce que l’on constate, dans le cas de l’agriculture de notre pays, c’est que l’on  ne s’est jamais posé la question de savoir quelle orientation il convenait de donner à chacun des grands secteurs de notre agriculture .Nos ministres, pas plus que les dirigeants de la  FNSEA qui est le principal organisme syndical des agriculteurs français n’ont pas imaginé un seul instant qu’il fallait élaborer pour chacun des grands secteurs une stratégie, c’est-à-dire faire des choix en raisonnant en stratèges. On a laissé les choses aller d’elles mêmes, et on a abouti aux résultats que l’on constate, aujourd’hui.

Une agriculture française où trop de secteurs sont dépourvus de vision stratégique

On constate que, dans l’agriculture française, deux secteurs seulement ont une stratégie précise,  et il s’agit chaque fois d’une stratégie de différenciation : la viticulture et la fromagerie. Dans ces deux secteurs, les produits sont très différenciés de leurs concurrents, et la différenciation choisie est reconnue mondialement. Les vins français sont réputés, et ils se vendent sur les marchés étrangers à de prix supérieurs à la concurrence ; quant aux fromages français, ils sont très différentiés de leurs concurrents, la façon de les produire est réglementée par la profession, et chaque terroir fait les actions de  promotion qui sont nécessaires pour en assurer la promotion..

Dans tous les autres secteurs, il n’y a pas de stratégie, ou du moins se trouve-t-on acculé à mener une stratégie de cout sans l’avoir délibérément choisie, donc le dos au mur. Et il faudra que les pouvoirs publics comprennent pourquoi. Nous donnerons deux exemples illustrant ce manque de pertinence dans la façon d’opérer.

Le secteur laitier : la norme, aujourd’hui, dans ce secteur, est à des giga-fermes de 1.000 vaches laitières, et c’est la dimension qu’il faut atteindre pour être compétitif. On est bien, là, sur des stratégies de cout. Cette manière de produire du lait de vaches est venue des Etats-Unis, pays où toutes les fermes laitières sont de cette dimension,  et parfois bien plus grandes encore. Et cette norme s’est imposée, en Europe, notamment en Allemagne. Partout, il s’agit de vaches Holstein, une race particulièrement  productive en lait et dont la mamelle est adaptée à la traite mécanique. En France, nous n’avons aucune ferme laitière de  1.000 vaches. Un industriel du bâtiment (classé 387e fortune française) Michel Ramery, a bien tenté de se lancer dans cette aventure, mais il a du finalement y renoncer : trop d’obstacles se sont dressés devant lui. Il avait voulu créer en 2011 une mega-ferme laitière de 1.000 vaches,  dans la Somme : l’administration a donné son accord, mais très vite des obstacles de tous genres ont surgi, à  commencer de la part de la Confédération Paysanne qui ne veut pas que l’on industrialise notre  agriculture. La population, localement, s’est dressée contre ce projet, et très vite les opinions publiques s’en sont mêlées, y compris Ségolène Royale ; et l’on a même vu le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll,  déclarer : « Ce projet est contraire à l’orientation du gouvernement ». Finalement, Michel Ramery qui en était arrivé à 500 ou 600 laitières, déçu et las de tous ces combats stériles, a fermé son exploitation. En France on en est donc à des fermes laitières familiales, de 80 à 100 vaches, et quelques exploitations  en sont à 250 ou 300 laitières, mais ce sont des cas rares. Il en résulte que nos couts de production sont élevés : on trouve dans le rapport de  l’European Milk  Board de 2019  les chiffres suivants : 52,54 ct/kg en France, contre 47,44 en Allemagne, 44,54 en Hollande, et 41,44 au Danemark. Et nous importons donc de plus en plus de lait, comme le note l’IDELE dans son numéro 537 de février 2023 , qui nous dit: « Les importations ont explosé en 2022 : +38 % par rapport à 2021 ».Toutefois nous restons des exportateurs importants de produis dérivés du lait. 

Le secteur de la production porcine :   L’Europe est un très gros consommateur de viande porcine, et  les deux plus gros producteurs sont l’Allemagne, avec 5,2 MT, et l’Espagne avec 4,6 MT ; la France vient en troisième position, loin derrière, avec 2,2 MT seulement. Plein-champ nous dit : « La filière porcine est structurellement déficitaire sous l‘effet d’un déséquilibre entre l’exportation de produits bruts et l’importation de produits transformés ». Nous nous approvisionnons tout spécialement en Espagne, un pays qui a fait dans le domaine  du porc un développement spectaculaire ces dernières années, et qui exporte maintenant  60 % de sa production. Nos éleveurs se sont bien sûr modernisés, et spécialisés, mais nous en sommes à une moyenne, en Bretagne (la région spécialisée dans le porc,) de 3.000 tètes/exploitation, contre 5.200 au Danemark. En Espagne, 2.000 exploitations ont même plus de 8.000 cochons, et au Danemark, 4 % des exploitations ont plus de 10.000 porcs.. On lit dans un numéro de  « viandes et Produits carnés » datant de 2012 : « La filière porcine française est à la peine : elle a un urgent besoin de stratégies concertées faisant appel à des investissements importants au niveau agricole et industriel ». Et la coopérative Cooperl nous dit : « Le manque de rentabilité porte en germe des difficultés de renouvellement des éleveurs, avec en filigrane le risque d‘une perte de production à moyen et long terme ». Certes, les opérateurs français, dans le secteur porcin, sont-ils de taille beaucoup plus petite que leurs concurrents étrangers : il y a Vion en Hollande, Danish-Crown au Danemark (22 millions de porcs/an), Campofrio en Espagne, etc….

Les enjeux, pour demain ?

On voit, donc, que l’agriculture française a  fortement besoin de se restructurer et elle doit, pour cela, s’organiser elle même  car rien n’est à attendre de Bruxelles, sinon des contraintes ; la nouvelle PAC (2023-2027)  qui n’a pas moins de 10  objectifs, divers et variés, et  très généraux, est à caractère essentiellement écologique. Bruxelles se soucie avant tout de « renforcer les actions favorables à l’environnement et au climat » : il n’y a donc rien, au plan stratégique, concernant notre  agriculture. Et ce qui va accroitre nos difficultés, qui sont déjà grandes, c’est l’arrivée de l’Ukraine à qui l’ Europe ouvre maintenant grand ses portes : il s’agit  d’un pays agricole immense qui a une SAU de 41,5 millions  d’Ha (contre 26,7 Ha pour la France), avec des terres extrêmement riches ( 60 % des surfaces sont du tchernoziom), et ce pays a hérité de la période soviétique de structures lui permettant d’être très compétitif, d’autant que la main d’œuvre est bon marché.

Quelles solutions ?

Il va donc falloir en venir, pour être compétitifs, à des « mega-fermes » pour jouer sur l’abaissement des prix par les volumes, c’est-à-dire tirer parti, chaque fois que des solutions existent, des  économies d’échelle. La sociologie des Français y est opposée, et on se heurte, de surcroit, en permanence à Greenpeace qui est très actif. Cette ONG a publié une carte des « fermes usines » en France, autant de combats, pour elle, à mener contre l’ « industrialisation » de l’agriculture. Partout, en France comme  en Europe, les écologistes veillent au grain. Il faudra donc réhabiliter les produits issus des méga-fermes dans l’esprit des Français, car ils se sont laissé convaincre que ces productions nuisent à la santé.

Sur les petites surfaces, les exploitants ont la  solution de recourir, comme l’ont fait nos voisins Hollandais, aux serres : tomates, poivrons concombres, fraises, floriculture, etc…On en est, là, à de la culture très intensive, avec des rendements extrêmement élevés, et sans aléas car on contrôle  tous les paramètres : par exemple, dans le cas de la tomate, 490 T de tomates/Ha, contre 64 T en plein air, en Italie. Et, à la manière des Hollandais, il faudra que les exploitants s’intègrent dans des structures verticales qui leur indiquent ce qu’ils doivent produire et prennent en charge la commercialisation des productions.

Pour l’élevage, tant de vaches laitières, de porcs, que de volailles, il y a la solution des « fermes-usines ». Pour le lait, la norme est à des mega-fermes de 1.000  vaches, voire  bien plus encore. Pour les volailles, les élevages intensifs sont la règle, ce qui n’exclue pas que, marginalement, certains fermiers puissent faire une stratégie de différenciation, comme c’est le cas, par exemple, avec les poulets de Bresse élevés en plein air. En Espagne, à Sinarcas (prés de Valence) s’est crée une ferme comprenant sept batteries de 12 étages qui logent 150.000 poules pondeuses, soit un million de poules, les  équipements ayant été fournis par Big Deutchman, une firme allemande de Basse-Saxe. Pour les porcs, les mega-fermes sont, là aussi, la solution : en Espagne il existe un bon nombre de « macrogranjas » de 2.200 truies et 40.000 porcelets. Et avec la Chine, qui est un très  gros consommateur de viande de porc, on en est au gigantisme. A Ezhou, par exemple, une entreprise privée (Yangseiang) a édifié la plus grande porcherie du monde : un bâtiment de 26 étages pouvant loger 650.000 porcs ; et il y a, aussi, le cas de la firme Muyuan qui a une ferme de 84.000 truies qui produit 2,1 millions de porcelets par an.

 Enfin, pour ce qui est des grandes cultures : blé, orge, avoine, maïs, colza, tournesol….elles nécessitent des exploitations de 250 Ha, et pas moins, car c’est la dimension qu’il faut pour amortir les gros matériels : tracteurs sur-puissants, moissonneuses batteuses, etc….

Que va-t-on faire ?

Notre premier ministre, pour répondre à la révolte des agriculteurs, s’est prononcé en faveur de notre « souveraineté alimentaire » : on n’en est pas là, mais, comme nous venons de le voir, les solutions existent pour avoir des prix compétitifs. Mais on se trouve alors face à un chantier colossal de restructuration de notre agriculture, et l’on s’interroge pour savoir quels pourraient bien être les acteurs de cette gigantesque révolution qui est à faire ?  On doit craindre que nous ayons trop peu d’acteurs disposant des moyens financiers voulus. Nos dirigeants, tout comme la FNSEA, paraissent complètement dépassés par l’ampleur des problèmes à  résoudre.

Notre Président a voulu prendre lui-même l’affaire en mains, alors que cette tâche reviendrait normalement à son premier ministre. Bravachement, il s’est rendu au salon de l’agriculture, qui s’est ouvert comme tous les ans, à la porte de  Versailles, à Paris. Les agriculteurs l’y attendaient, de pied ferme, criant des slogans hostiles. Il put entrer, et dans un salon particulier du premier étage, auquel on l’avait fait accéder, à l’abri de la foule, et en bras de chemise,  pendant plus de deux heures il a, selon son habitude, croisé le fer  avec des agriculteurs anonymes. Finalement, les services de sécurité lui ayant dit qu’il n’était pas possible de descendre, malgré les centaines de CRS déployés par le ministre de l’Intérieur, le Président, à la surprise générale (à commencer par celle de son ministre de l’ Agriculture qui l’accompagnait), a concédé que l’on mettrait en place un  système de prix planchers, secteur par secteur. Avec ce système, réclamé par LFI, un  système totalement antilibéral, on va mettre à l’abri de la concurrence tous les producteurs qui ne  sont pas compétitifs, et l’on va pérenniser les différents secteurs de notre agriculture  dans l‘état où ils se trouvent actuellement. C’est, donc, céder à la facilité : ne changeons rien, c’est plus simple que de se lancer dans ce colossal remu-mesnage  consistant à rendre chaque secteur compétitif : on se demande bien comment ont pu faire nos amis hollandais ou danois pour faire le  virage de la modernité ? Cela va  nécessiter simplement que l’on continue à subventionner nos agriculteurs (la PAC, dont la France est le premier bénéficiaire), et que les Français veuillent bien payer plus cher les productions de notre agriculture que les produits importés : mais ce n’est pas ce qu’ils souhaitent faire, car il se pose à eux des problèmes de pouvoir d’achat ; beaucoup, comme on le sait, ont des problèmes de « fins de mois ». Et l’on va demander à la Commission de Bruxelles de bien vouloir calmer les ardeurs écologiques de ses membres : repousser de dix ans l’interdiction d’emploi du glyphosate,  faire une pause dans l’application du Plan Ecophyto, suspendre la mesure de gel de 4 % des surfaces agricoles,  et reporter à plus tard la signature des accords avec le Mercosur, etc…. Et on demandera aux fonctionnaires de Bruxelles de bien vouloir simplifier les procédures pour la taille des haies et le curage des fossés : cela les occupera.

Claude Sicard, économiste, consultant international

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