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Pouvoir d’achat, le consensus parlementaire des « crameurs de caisse »

par Bertrand Nouel
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L’Assemblée nationale vient d’adopter la loi pouvoir d’achat ainsi que le projet de loi de finances rectificatif pour 2022.il est temps d’en faire le bilan.

Le gouvernement a évité le pire, fortement soutenu en commission et à l’Assemblée par l’activisme de la majorité parlementaire. Il paraît qu’on est passé près du retour de l’ISF et de l’imposition au barème plus-values mobilières. En tout cas, on a évité le smic à 1.500 euros, le litre de carburant à 1,50 euro le litre, le blocage généralisé des prix (sauf pour les loyers) et autres joyeusetés promises par l’opposition. Mais c’est au prix d’un nouveau développement de l’Etat-nounou, auquel le gouvernement a dû se livrer sous la pression d’une opposition de gauche forte de ses quelque 116 députés. A preuve en particulier ce à quoi il a dû consentir en matière de coût de l’énergie. Et de façon générale, seule parmi les pays qui nous entourent, la France enfonce sa tête dans le sable par incapacité de voir en face la vérité d’une crise qui nous contraint à devoir supporter les dépenses et l’appauvrissement qu’elle entraîne et à ne pas réclamer à l’Etat un pouvoir d’achat qu’il n’est pas de son ressort de nous garantir.

Pétrole et énergie

Le gouvernement avait fait l’effort de diminuer de 18 centimes « pour tous » le prix des carburants à la pompe, déjà d’ailleurs aujourd’hui en baisse et nettement inférieur à 2 euros le litre (1,83 dans l’Ouest). Il avait pris la décision de faire plus en ciblant les populations les plus modestes ou celles qui professionnellement ont l’obligation d’utiliser leur véhicule personnel. L’initiative était louable, même si cela allait se traduire inévitablement par une usine à gaz de mesures avec effets de seuil. Mais c’était utiliser un signal prix nécessaire et faire comprendre à la très grande majorité de la population que des restrictions sont inévitables, voire même pour certains indolores, et qu’il est impensable de priver les ressources publiques de plusieurs dizaines de milliards.
Las, l’insistance de l’opposition aura eu raison de cette initiative. Insistance paradoxale venant de la gauche, laquelle aurait au contraire dû applaudir une mesure de redistribution prise en faveur des plus modestes. Mais non, sachant que de telles mesures ciblées sont insuffisantes pour entraîner les masses, cette gauche populiste prend le parti des classes moyennes en leur serinant qu’elles ne doivent supporter aucune restriction de consommation. Référence évidente aux Gilets jaunes, que l’opposition rêve de ressusciter. Et vient s’ajouter le sujet de la taxation des superprofits, toute occasion étant bonne pour stigmatiser les grandes entreprises comme Total, par définition haïssables « profiteurs de guerre ». Résultat, l’Etat abandonne son plan, passe son aide à 30 centimes sur deux mois et demande à Total de baisser le prix des carburants dans ses stations une nouvelle fois – sans d’ailleurs que cela puisse être une garantie contre une taxation[[Une telle taxation, limitée d’ailleurs aux profits réalisés en France, très modestes en France pour Total, aboutirait à diminuer les investissements des entreprises concernées. Le produit de la taxe serait au contraire noyé dans les ressources de l’Etat. Croit-on que l’Etat ferait un meilleur usage de ces fonds ? Fondamentalement, il y a confusion entre illégitimité et inégalité.]]. Exit en tout cas le signal prix. Tout le monde bénéficiera donc de cette baisse – et l’on assistera à une véritable ruée sur la pompe des frontaliers étrangers, particulièrement allemands comme c’est déjà le cas, venus profiter de cette générosité française que leur pays, sage et réaliste, se garde de leur offrir.

Le consensus parlementaire des crameurs de caisse…

Les députés ont voté la loi sur le pouvoir d’achat (LPA), et dans la foulée la PLFR (la loi de finances rectificative de 2022), cette dernière autorisant le financement des mesures. Voyons ce que le gouvernement a obtenu, ou évité, ou a dû consentir, dans la catégorie des générosités en faveur des ménages.

Ce que le gouvernement a fait passer :
– Rappel : Depuis 2017, l’Etat offre aux ménages modestes un chèque énergie venant remplacer l’ancien tarif social de l’énergie.
– Depuis 2020 les entreprises peuvent verser aux salariés gagnant jusqu’à 3 smics une « prime Macron » (prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, PEPA) jusqu’à 2.000 euros pour les entreprises versant l’intéressement, 1.000 euros pour les autres. Cette prime est libre de toute taxe, cotisation et impôt et n’entre pas en compte pour le calcul du plafond de la prime d’activité. La LPA multiplie par trois cette prestation.
– Depuis 2021, le prix du gaz est bloqué, et celui de l’électricité est plafonné à +4% pour tous les ménages.
– Une indemnité inflation de 100 euros est versée aux ménages modestes.
– La revalorisation de 4% du RSA et de l’AAH (allocation adultes handicapés)
– La revalorisation de 3,5% du point d’indice des salaires des fonctionnaires (qui n’exclut pas en outre les augmentations de carrière)
– Le doublement de la prime transport de 200 à 400 euros pour les automobilistes éloignés de leur lieu de travail,
– Les entreprises peuvent racheter les RTT,
– Le plafond de défiscalisation des heures supplémentaires est rehaussé,
– La redevance TV est supprimée (3,7 milliards €, suppression compensée par le prélèvement d’une fraction de TVA dont les taux ne sont pas pour autant modifiés).
– L’Etat accorde pour tous, pour septembre et octobre une réduction de 30cts (puis 10 cts en novembre et décembre) sur le prix du litre de carburant (laquelle s’ajoute à la réduction de 12 cts prise en charge par Total sur la vente à ses stations),
– L’Etat accorde une aide aux stations de carburant rurales pour faire concurrence aux stations Total.

Ce que le gouvernement a évité :
– Le smic à 1.500 € net (NUPES),
– L’essence à 1,50€/l (LR),
– Le retour de l’ISF et du barème de droit commun pour les valeurs mobilières (NUPES)
– La taxation des superprofits (RN),
– La baisse de la TVA (RN)
– 500 millions d’euros pour les retraites (Nouveau Centre)

Ce que le gouvernement a dû concéder :
– 150M€ pour les collectivités locales en raison de l’augmentation du RSA,
– 233 M€ pour les ménages modestes se chauffant au fuel.
– Certains compromis consentis aux députés LR pour obtenir leur vote ou leur abstention, notamment la renonciation aux avantages ciblés au profit d’une réduction pour tous de 30 centimes le litre de carburant. Ou la hausse du plafond de défiscalisation des heures supplémentaires. Ou encore la promesse de revoir en fin d’année les subventions aux retraites en contrepartie de l’abandon de l’amendement Courson.

Nous assistons en fait à une surenchère extraordinaire, par tous les partis représentés à l’Assemblée nationale, des allocations offertes aux ménages. Il y a à ce propos un consensus parlementaire remarquable …pour cramer la caisse publique, consensus qui atteint même la droite, comme on le voit avec l’amendement de Charles de Courson, d’abord voté puis abandonné en deuxième lecture, pour augmenter de 500 millions les retraites.

…mais c’est bien le gouvernement qui est de loin le plus responsable

Le ministre des Finances se glorifie d’avoir réussi à faire voter avec une très confortable majorité à la fois la loi pouvoir d’achat et le PLFR conformément à son programme. Il a raison de ce point de vue. Mais c’est parce qu’il a en quelque sorte coupé l’herbe sous le pied de l’opposition, de gauche comme de droite, en se livrant dès le départ à une surenchère impressionnante. Les listes que nous avons détaillées ci-dessus le montrent bien. Nous n’avons pas le chiffrage précis des mesures, mais il semble que leur coût atteigne 20 milliards (sans compter les quelque 10 milliards que va coûter l’OPA sur EDF). En face de cela, ce que le gouvernement a dû concéder n’atteint pas 400 millions, plus le coût – modéré- des compromis avec la droite, tout en réussissant à éviter les 500 millions pour les retraites. Pour tenter d’exister, la gauche ou le RN avaient présenté des amendements très lourds financièrement pour l’économie, mais qui n’avaient aucune chance d’être adoptés.

La très inquiétante incapacité à oser la pédagogie des sacrifices nécessaires

Par crainte de mouvements sociaux comme les Gilets jaunes, la France est le seul pays à lâcher à ce point la bride sur les dépenses publiques. Comme le ministre Olivier Dussopt l’a rappelé à l’attention de la gauche, aucun autre pays n’a institué un bouclier tarifaire sur l’énergie comme la France l’a fait. Et l’organisme Rexecode a calculé que la France est encore le seul pays dont globalement le pouvoir d’achat des ménages a augmenté par rapport à 2019, alors qu’il a nettement baissé dans les principales économies européennes : – 5% en Allemagne et Espagne, – 2% en Italie. Mais la comparaison avec les autres économies est un sujet qui n’est même pas abordé dans le débat public en France, et totalement exclu au sein de la gauche.
L’évolution du pouvoir d’achat est très hétérogène parmi la population, et ce sont les foyers modestes qui sont les plus atteints en période de crise. Raison pour laquelle le gouvernement prend le parti de cibler le plus possible ses mesures, ce qui a aussi l’avantage de modérer les dépenses. Il faut l’en louer. Mais comme on l’a vu à propos de l’énergie, l’opposition, de droite comme de gauche, refuse par démagogie ce ciblage et contraint le gouvernement à adopter des mesures valables pour tous.

Conclusion

La France en vient ainsi à pratiquer la politique de l’autruche en laissant croire que l’Etat pourra toujours maintenir le pouvoir d’achat des ménages et en refusant de dire aux Français que la vérité des prix s’impose à ceux pour qui son respect ne nécessite que quelques sacrifices parfaitement supportables. Il est clair que la France ne peut pas tenir les exigences sans cesse grandissantes de sa protection sociale, dans le contexte de déficit public et extérieur qu’elle connaît, avec les dépenses d’avenir qui vont s’imposer. Mais le gouvernement se garde de le dire aux Français – lesquels paraissent d’ailleurs de moins en moins dupes de ce silence, et peut-être prêts à lui reprocher amèrement dans les urnes son absence de vision.

 

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