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Protection sociale et démographie

par Bertrand Nouel
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Nous n’avons pas encore dans nos études précédentes évoqué l’avenir de la protection sociale. Or celui-ci est, du moins pour plusieurs de ses branches, ainsi qu’en général pour son financement, très lié à l’évolution démographique du pays. Le tableau ci-dessous, établi à partir des données d’Eurostat, montre l’évolution estimée par cet organisme pour l’UE à 27 et particulièrement la France et les trois principaux pays qui l’entourent (le Royaume-Uni étant dorénavant exclu) plus la Suède.


Cet article est le 4ème de notre étude sur la protection sociale :

Protection sociale en France : relativement généreuse, mais surtout au-delà de nos moyens

Protection sociale : quand le remboursement de la dette CADES creuse le « trou de la Sécu »

Protection sociale, les impératifs de la maîtrise des dépenses et d’une réforme fondamentale

Evolution démographique pour à l’UE à 27 dont 5 pays selon Eurostat

France
2020 2030 2040 2050 2070
Population (Mio) 67,2 68,7 69,8 70 69,4
Hypot. Migration 0 (Mio) 67,1 67,8 68,1 67,3 64,4
0-19ans (%) 24 22,4 21,6 21,5 20,8
Rapport de dépendance
65 ans et plus /15-64 (%)
33,2 40 46,7 49,3 51,4
Rapport si migration 0 (%) 33,2 40,3 47,4 50,1 51,9
Allemagne
2020 2030 2040 2050 2070
Population (Mio) 83,1 83,4 83,1 82,6 81,6
Hypot. Migration 0 (Mio) 82,8 80,1 76,2 71,7 62
0-19ans (%) 18,5 19,1 18,8 18,8 19,5
Rapport de dépendance
65 ans et plus /15-64 (%)
33,7 42,1 47,7 48,3 49,7
Rapport si migration 0 (%) 33,9 44,9 54,2 58,5 65,4
Italie
2020 2030 2040 2050 2070
Population (Mio) 60,2 60 59,3 58,1 54
Hypot. Migration 0 (Mio) 60,1 57,5 54,2 50,2 40,3
0-19ans (%) 17,8 16 15,4 15,6 15,8
Rapport de dépendance
65 ans et plus /15-64 (%)
36,2 43,9 56,5 61,5 60,6
Rapport si migration 0 (%) 36,3 46 63,1 73,1 74,8
Espagne
2020 2030 2040 2050 2070
Population (Mio) 47,3 48,7 49,3 49,3 47,1
Hypot. Migration 0 (Mio) 46,8 45,6 43,8 41,3 33,4
0-19ans (%) 19,6 17,4 16,3 16,7 16,8
Rapport de dépendance
65 ans et plus /15-64 (%)
29,8 37,2 49,4 59,5 57,5
Rapport si migration 0 (%) 30 39,4 56,1 74,3 75,2
Suède
2020 2030 2040 2050 2070
Population (Mio) 10,3 11,1 11,6 12,2 13
Hypot. Migration 0 (Mio) 10,2 10,3 10,2 10,1 9,6
0-19ans (%) 23,3 22,9 21,8 21,8 20,9
Rapport de dépendance
65 ans et plus /15-64 (%)
32,2 34,4 37,3 39,1 45
Rapport si migration 0 (%) 32,4 37,1 42,9 47,1 55,4
UE 27
2020 2030 2040 2050 2070
Population (Mio) 447,6 449,1 446,7 441,2 424,3
Hypot. Migration 0 (Mio) 446,3 436,1 420,9 401 350,8
0-19ans (%) 20,3 19,3 18,4 18,5 18,5
Rapport de dépendance
65 ans et plus /15-64 (%)
32,1 39,1 46,8 52 54
Rapport si migration 0 (%) 32,1 40,4 50,3 58,3 62,9
Source : Eurostat

Lecture : En France, le rapport de dépendance (qui signifie le rapport en pourcentage des personnes de 65 ans et plus sur le nombre de personnes de 15 à 64 ans) est de 40 en 2030. Il serait de 40,3 en l’absence d’effet migratoire.
Note : Jusqu’en 2050 on peut considérer que les estimations d’Eurostat font consensus auprès des organismes de recherche, et notamment l’Insee. Après cette date, et notamment en 2070 et ultérieurement, il existe de fortes divergences d’estimation, raison pour laquelle nous ne fournissons les données de 2070 qu’avec toutes réserves sur leur fiabilité, et pas du tout les estimations au-delà de cette date.

Que nous disent les données de ce tableau ?

+L’augmentation rapide et forte du rapport de dépendance et l’explosion des coûts+

En 2030, soit à une très brève échéance de moins de 10 ans, le rapport de dépendance va augmenter de façon générale (sauf en Suède) de plus de 20%, et en 2040 ce sera de 42% environ ! Ce qui signifie qu’en 2040, 100 personnes actives (celles comprises entre 15 et 64 ans) devront constituer les retraites de 47 personnes âgées contre 33 en 2020. En 2018 les prestations vieillesse-survie ont atteint 340 milliards en France, et 42% de cette somme augmenterait les prestations de cette branche de 143 milliards (en euros constants) … Pendant le même temps, en France et en Espagne la population aura augmenté de moins de 4%, elle aura stagné en Allemagne et diminué en Italie.

La branche vieillesse n’est pas la seule concernée. Il faudra aussi compter sur l’augmentation naturelle des dépenses maladie, due à la dynamique des progrès de la médecine, qui touche toute la population (des études indiquent que la population âgée ne serait pas plus consommatrice de soins que le reste de la population), ainsi que spécifiquement sur le vieillissement de la population, qui « pose des défis très importants, auxquels il est urgent de répondre. Ainsi, compte tenu du vieillissement de la population, à périmètre inchangé, les dépenses publiques mobilisées au titre du soutien à l’autonomie des personnes âgées passeraient de 1,40 point de PIB en 2030 à 1,81 point en 2045 et 2,07 points de PIB d’ici 2060. Le besoin de financement lié aux seules évolutions démographiques est conséquent. Mais le rapport Libault a identifié des besoins supplémentaires, majorant les dépenses de plus de 9 milliards d’euros par an à l’horizon de 2030. Ces besoins correspondent principalement à des créations de postes en établissement et au titre de l’aide à domicile et à la revalorisation des rémunérations des professionnels. Dans un contexte de finances publiques des plus contraints, le gouvernement a décidé d’accroître les financements à hauteur de 2,3 milliards d’euros par an à compter de 2024. L’écart entre dépenses attendues et recettes mobilisées demeure significatif ». (Regards, 2020-1)[[Interrogée par L’Opinion sur la prise en charge des coûts des EHPAD, Sophie Boissard, patronne du groupe Korian, leader européen du secteur, déclare « Sur cette question, il y a place en effet pour un débat national. Faut-il mobiliser davantage de ressources publiques ou en réorienter certaines, pour pouvoir augmenter le taux d’encadrement en maison de retraite et continuer à revaloriser les salaires des personnels soignants ? Réduire la part restant à la charge des familles ? Jusqu’où faire appel à l’épargne ou à l’assurance individuelle ? Ce sont là des questions essentielles qu’il faudra trancher, car le défi démographique est devant nous. » En effet… mais où est le débat ?]]

+Natalité et migration, la France à l’opposé de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne+

Le tableau ci-dessus met en évidence la grande disparité existant entre la France et au moins trois des pays européens qui l’entourent concernant leur démographie : la population entre 0 et 19 ans est très nettement plus faible dans ces trois pays à toutes les époques, ce qui traduit une faible natalité, très en-dessous de ce qui serait nécessaire pour le renouvellement des générations, le pire étant enregistré en Italie (proportion de 15,4 en 2040) en Espagne (15,4) et à un moindre degré en Allemagne (18,8), contre 21,6 en France.

La compensation se réalise dès lors par l’immigration. Le gouvernement allemand est particulièrement conscient du problème, qui, devant l’insuffisance des incitations financières à la natalité a comme on le sait décidé en 2015, sous l’impulsion de la chancelière, l’immigration de 1,139 million de personnes. Pour les décennies à venir, Eurostat prévoit pour ce pays une moyenne annuelle d’environ 260.000 immigrés ! Même constatation pour l’Italie et l’Espagne, les prévisions de solde migratoire d’Eurostat se montant respectivement à 220.000 et 180.000 par an. Pendant ce temps, l’immigration annuelle en France ne dépasserait pas environ 70.000 personnes en moyenne.

Eurostat nous montre encore, en simulant ce que serait une évolution démographique sans migration, que le rapport de dépendance 65 ans et plus sur 15-64 ans augmenterait de façon catastrophique dans les trois pays considérés : en 2050, de 48,3 avec migration à 58,5 sans migration en Allemagne, de 61,5 à 73,1 en Italie et de 59,5 à 74,3 en Espagne, cependant qu’en France il resterait presque constant dans les deux cas autour de 50. L’Italie et l’Espagne sont devenus des pays d’immigration après avoir été des pays d’émigration, l’Espagne ayant même à l’époque actuelle un des plus forts taux d’immigration du monde[[Les Marocains et les Roumains étant les deux nationalités les plus représentées.]], huit fois plus élevé qu’en France, en lien avec son dynamisme économique.

Ce phénomène est susceptible d’avoir des conséquences considérables pour l’Europe ainsi que, par ricochet ou directement, pour la France. A un moment où s’ouvre la période électorale en France, qui sera indubitablement marquée par la question de l’immigration, la France va rencontrer de grandes difficultés si elle tente d’en obtenir une régulation plus stricte au niveau de l’Union. 22 pays sont membres de l’Espace Schengen à l’intérieur duquel la liberté de circulation est un principe absolu sauf restrictions d’ordre public, lequel principe s’étend aux membres étrangers de la famille du citoyen. La Cour de Justice de l’UE veille à la stricte application de cette liberté de circulation et d’établissement. Dès lors qu’un immigré ou ses descendants auront obtenu la nationalité d’un pays de l’Espace[[En Espagne par exemple, la nationalité s’acquiert après 10 ans de résidence.]], la France ne pourra rien faire pour en empêcher l’entrée sur le territoire. Et les chiffres ne sont pas faibles, Eurostat prévoyant que la population de l’Europe serait inférieure de 40 millions en 2050 et 70 millions en 2070 en l’absence d’immigration à ce qu’on peut attendre avec une immigration constante …

Beaucoup dépendra bientôt du sort des urnes, mais le risque est élevé que le consensus soit bien difficile à atteindre dans une Union où le refus de l’immigration tend à devenir un enjeu essentiel pour un membre, la France, entourée de voisins pour qui l’immigration est à l’inverse la clé incontournable du maintien de la richesse économique.

Au moment où nous écrivons ces lignes, voici que le gouvernement chinois, lui aussi confronté à la baisse drastique de sa population active, conséquence de la politique de l’enfant unique, annonce qu’il devra relever l’âge de la retraite. Une question très sensible dans ce pays où les travailleurs sont déjà astreints à une durée de travail pouvant aller dans les faits jusqu’à 12 heures par jour bien que la durée légale ne soit que de 40 heures par semaine. En Italie, Mario Draghi attire l’attention sur la situation très alarmante de la démographie.

Croissance, ou décroissance ?

Les dépenses de protection sociale n’ont aucune raison de fléchir à l’avenir, pas plus en France que dans les autres pays, mais de façon plus préoccupante en France en raison de l’importance particulière qu’y prend cette protection sociale. Toutes les branches sont en effet concernées, mais maladie et surtout vieillesse-survie en raison de l’effet démographie, ces deux branches représentant à elles seules plus des deux-tiers des dépenses. La question est alors de savoir si nous pouvons compter sur une croissance suffisante pour y faire face.

L’ensemble des indicateurs économiques ne sont pas encourageants. La population française a augmenté de 12 millions entre 1975 et 2019, de 53 à 65 millions en France métropolitaine, 66,7 millions avec l’outre-mer en 2021. Mais le retournement commence à s’affirmer. Jusqu’en 2050, Eurostat prévoit une augmentation très faible, 70 millions, soit 0,1% annuel après avoir été de 0,52% pendant le demi-siècle précédent. Après 2050, la population baisserait. Cette tendance à la stagnation existe depuis 2015, et actuellement le taux de natalité, même s’il est nettement supérieur à celui des pays qui nous entourent, n’est plus que de 1,84% alors que 2% sont nécessaires pour assurer le renouvellement des générations. Parallèlement l’arrivée à l’âge de la retraite des baby-boomers (nés entre 1945 et 1970 en France) accentue le vieillissement de la population et la nécessité d’augmenter les ressources de la branche correspondante. L’effet de ciseau est redoutable. Par ailleurs la productivité est à tendance diminuante, et l’augmentation du PIB est aussi en baisse constante depuis 1960 : de 5,9% pendant la première décennie à 1,2% depuis 2010. Enfin le PIB par habitant est faible en France en comparaison de ses voisins du Nord, comme nous l’avons vu dans nos études précédentes.

Il est difficile d’imaginer dans ces conditions que la France pourrait faire face financièrement au maintien de ses dépenses de protection sociale au niveau où elles sont actuellement. A partir de 2040-2050, lorsque le rapport de dépendance sera à son plus haut, des sacrifices importants s’imposeront. Ils seront vraisemblablement demandés à tous, et de façon assez évidente sous forme de prélèvements obligatoires.

Quelques conclusions s’imposent, que nous ne développons pas à ce stade

1. Investissements et désépargne
La réaction comportementale des Français devrait être la frilosité dans leurs investissements. Autrement dit les efforts que le gouvernement devrait réaliser pour obtenir que les Français désépargnent en investissant dans l’économie risquent d’avoir une efficacité limitée. La confiance dans l’avenir va être très difficile à retrouver, et on a plutôt l’impression de se trouver dans une période de basculement séculier, après la soixantaine d’années glorieuses, mais de moins en moins, que le monde occidental vient de connaître.

2. Travail, immigration et chômage
La France ne travaille pas assez. En témoigne le nombre d’heures annuelles travaillées. Il ne faut pas regarder la durée du travail en moyenne, qui donne un résultat faussé par le travail à temps partiel, mais la durée annuelle du travail à temps plein ainsi que la période travaillée sur la vie entière. La comparaison avec les pays européens est édifiante sur ce point. Il peut être paradoxal de demander aux Français de travailler davantage alors qu’en même temps le chômage est très élevé. Il paraît aussi paradoxal de leur dire que toujours en même temps ils ne doivent pas refuser l’immigration. Et pourtant la France n’a aucune chance d’échapper au déclin si à la fois sa population baisse et qu’elle ne travaille pas assez. Un travail considérable de pédagogie s’impose à ce sujet, qui n’est absolument pas réalisé actuellement.

3. Réformes de la protection sociale
Nombre de réformes doivent être réalisées. Compte tenu des sommes en cause, les domaines essentiels sont la santé et la vieillesse. Le gouvernement paraît décidé à remettre la réforme des retraites sur le tapis dans le peu de temps qui lui reste avant les élections, et il faut l’approuver. Là encore la pédagogie reste à faire.

On notera par ailleurs que la seule branche dont les dépenses n’augmentent pas est la famille. Quasiment la totalité de ses prestations y sont dépendantes de conditions de ressources. Les gouvernements successifs ont voulu faire des économies sur la famille, comme on le voit aussi sur l’évolution du plafonnement du quotient familial. Une tendance politique constante en France et bien regrettable, au détriment de la classe moyenne, et dont on peut se demander si elle n’est pas à l’origine de la baisse récente du taux de natalité. Une tendance qu’il faut maintenant renverser.

Accéder à la 5ème partie : Protection sociale, un financement bouleversé

 

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