La campagne est finie, vient le temps des réalisations. La multiplication des « affaires » pendant la campagne et leur impact dans l’opinion ont fait surgir l’idée d’une action d’urgence du nouveau gouvernement. Malheureusement on est resté dans la phraséologie électorale en parlant de moraliser la vie publique et dans la naïveté en imaginant traiter cette question au moyen d’une loi hâtive. En réalité cette question de fond peut se traiter efficacement en s’inspirant de ce qui se fait dans le secteur privé.
Un peu trop tard le président Macron s’est avisé que l’humanité s’occupait depuis bien des siècles de moraliser la vie tout court et qu’il fallait changer le titre de la loi. Hélas, pour en appeler à générer une vertu presque aussi exigeante : la confiance. On aurait pu plus modestement tourner la page de l’emphase électorale et se projeter dans le mode gouvernemental afin d’essayer d’apaiser la colère des citoyens en faisant disparaître de manière pragmatique les chiffons rouges, dont l’un au moins nous paraît bien fondé : comment s’assurer que les hommes politiques ne font pas passer leur intérêt personnel avant l’intérêt collectif dont ils ont la charge.
Les conflits d’intérêts : un phénomène bien connu et bien maîtrisé dans le monde des affaires
C’est un domaine abondamment labouré dans le monde des affaires, son traitement est limpide et très largement accepté. Le point de départ est de déclarer ouvertement dans l’enceinte publique ou privée correspondante que l’on se trouve en situation de conflit d’intérêts. Dans les sociétés anonymes, c’est trivialement le cas pour les mandataires sociaux et les administrateurs qui contractent directement ou indirectement à titre personnel avec la société dont ils gèrent les intérêts. Idéalement cette déclaration est le fait de la personne concernée mais il est bien admis que tous sont fondés à poser la question à propos de tous. C’est banal pour un homme d’affaires de se trouver dans une telle situation. La déclarer n’entraine aucune suspicion, aucune présomption de culpabilité, bien au contraire.
Une fois la situation explicitée, il convient que la personne se retire de toute décision risquée ou, si elle ne peut absolument pas s’en abstraire, redouble de précautions pour démontrer que sa décision n’a pas été motivée par son intérêt personnel. Certes l’application est parfois difficile car de nouvelles situations de conflits d’intérêts apparaissent – pas toujours faciles à décortiquer – en particulier dans le monde de la finance sophistiquée. En tout cas l’expérience accumulée est énorme dans un monde hypersensible à cette question.
Les conflits d’intérêts dans la vie politique : importer les comportements vertueux du monde des affaires
Le moment est venu d’ouvrir les fenêtres et d’instaurer ici des règles qui ont fait leurs preuves dans le monde des affaires depuis des décennies et qui ont inspiré le Parlement – toujours fort respectable – de la nation « de boutiquiers » d’outre-Manche. En comparaison, les hommes politiques français semblent découvrir l’existence des problèmes liés aux conflits d’intérêts.
Dans la vie publique ces situations sont pourtant encore plus fréquentes que dans les affaires pour deux raisons fondamentales : les élus tiennent leur poste de nombreux électeurs qu’ils peuvent être tentés de remercier, et les décisions publiques ont un spectre plus large que les simples transactions commerciales et affectent des intérêts de tous ordres. On touche ici du doigt la difficulté de définir concrètement l’intérêt général qui pourtant déclenche dans la bouche de tant d’orateurs des accents de violoncelle si émouvants.
La solution pour juger de l’existence d’un conflit d’intérêts consiste à prendre le problème à l’envers. Il est beaucoup moins difficile de percevoir quelles sont les décisions qui améliorent ma situation personnelle… que de démontrer que j’ai agi dans l’intérêt général.
Et bien évidemment c’est un devoir pour tout homme politique intègre de déclarer ce conflit d’intérêts et d’agir comme dans le privé.
On voit cependant tout de suite le problème dans le monde politique : avez-vous déjà entendu un homme politique français déclarer qu’il se trouve en situation de conflit d’intérêts ? Ou se retirer d’une réunion ou d’une décision pour ce motif ?
Au lieu de cela, les hommes politiques français répugnent à cette déclaration. Ils croient que cette seule déclaration suffira à coup sûr à les condamner aux yeux de l’opinion publique. A contrario ils entretiennent l’idée que leur souci de l’intérêt général les imprègne à un point tel que toutes autres considérations sont négligeables.
Comment croire un instant à cette image d’Epinal ? Qui veut faire l’ange fait la bête. Il faut pourtant mettre fin à cette obsession du déni.
On en a eu un magnifique exemple dans le vocabulaire de deux ministres démissionnaires cette semaine. Sylvie Goulard a suivi la règle que nous proposons en se retirant pour pouvoir défendre sa « bonne foi ». C’est accepter que dans une telle situation le jugement des tiers est indispensable. A l’opposé, François Bayrou s’est insurgé contre la « dénonciation » dont il a fait l’objet, et comme toujours lorsqu’on parle de dénonciation en France, il n’a pas manqué de la comparer à celles visant les Juifs sous l’occupation ! Mais non, Monsieur Bayrou, déclarer le conflit entre votre intérêt personnel et celui du Parlement européen était un devoir.
Pour apaiser la colère des citoyens sur le manque d’intégrité des hommes politiques, pas besoin d’une énième loi. Il faut tout simplement suivre l’exemple de Sylvie Goulard, c’est-à-dire déclarer tout uniment que l’on se trouve en situation de conflit d’intérêts quand c’est le cas, et se retirer de la décision ou s’expliquer de son comportement avant l’intervention du juge.
En outre, cela désencombrerait les tribunaux et réduirait les déclarations paperassières. Et avant peu si l’habitude se répand, de telles déclarations deviendraient aussi triviales que dans le monde des affaires. Avec la conséquence d’un violent choc en retour pour celui qui ferait passer son intérêt personnel avant l’intérêt collectif dont il a la charge.
On pourrait d’ailleurs commencer par une démonstration spectaculaire. Les députés qui n’ont pas démissionné de la fonction publique devraient s’abstenir au moment du vote des articles concernant leur rémunération dans la Loi de Finances. Et par la suite chaque député abstentionniste devrait pouvoir tout simplement invoquer l’existence d’un conflit d’intérêts pour expliquer son vote.
Cela remettrait aussi en question toutes les élucubrations déclenchées par la confusion actuelle, en reposant mieux les questions. Quelles professions sont-elles a priori compatibles avec une responsabilité publique ? Quel tribunal pour juger des fautes ? Quelles sanctions ?
Et cela renverserait radicalement la présomption, devenue d’innocence pour les élus.
Un peu d’air frais !
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Un premier pas pour « moraliser la vie politique »
Les députés nouvellement élus qui n’ont pas démissionné de la Fonction Publique se trouvent en conflit d’intérêts permanents.
La loi de Moralisation devrait imposer à ces députés leur démission sans retour possible de la Fonction Publique.
Car ces députés ne prennent aucun risque tout en bénéficiant de leur avancement pendant leur mandat et ils cumuleront la retraite de fonctionnaire avec celle de Député!
On a encore du chemin à faire pour progresser dans les réformes utiles et indispensables au redressement de ce pays.