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Simplifions-nous la vie !

par Yves Buchsenschutz
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Ces deux auteurs viennent de faire paraître un petit livre « rouge » concernant la simplification ! Il n’a pas vocation, comme son digne ancêtre de Mao Tsé Toung de refaire le monde, mais tout de même il pourrait participer à changer assez considérablement notre environnement.

La première partie du livre est consacrée à décrire le phénomène de complexification permanent de notre environnement de vie. Au passage les auteurs ont fait le tour de France en récoltant les témoignages et mis en place un site Web « SIMPLE » sur lequel vous pouvez décharger votre stress quand vous avez l’impression que vous voulez vous débarrasser définitivement d’une complexité de vie trop dérangeante. Quelque part une sorte de catharsis disponible et terreau fertile de leurs réflexions.
Pas de difficultés à me convaincre, je viens de vivre un épisode de ce genre avec le Pass NAVIGO : plus d’un an de démarches et téléphones pour me faire rembourser des prélèvements en double lors d’un changement de Pass. Un autre, plus inquiétant car plus général. Renouvelant un achat immobilier qui m’avait pris deux mois il y a une dizaine d’années, j’ai mis cette année près de huit mois pour finaliser un prêt à la caisse d’épargne et j’aurais dû signer pour donner une simple procuration à mon notaire un document de 28 pages ! J’ai préféré me déplacer ! Tout ceci avec des interlocuteurs qui me connaissaient depuis longtemps. Dernier exemple : j’ai reçu cette année deux fois des exploits d’huissier (que l’on voulait me facturer) pour des incidents de paiement mineurs (documents non reçus entraînant retards) alors que pendant les 75 ans précédents, j’avais allègrement ignoré cette profession. Donc le monde change. Une autre manière d’appréhender le problème est d’envisager d’équiper les enfants dès la naissance d’une prise électrique dans une oreille, et d’une clé USB dans l’autre.
Dans tous les cas, l’énergie à dépenser pour ne serait-ce que freiner la marée est considérable et certes pas à la portée de tous, ni tout le temps. Je suis à la retraite donc un peu plus disponible, comment faisais-je donc avant ? On pourrait y ajouter la multiplication infinie des recouvrements d’organismes pour traiter les sujets. Il se trouve que je suis intéressé à la fois aux chômeurs et à l’apprentissage : la seule chose que je sais après plusieurs années d’expérience c’est que je découvre encore chaque jour des procédures nouvelles d’aide ou des organismes spécialisés dont je suis bien incapable de me rappeler le nom, l’objet, et surtout le mode d’emploi en général combiné. Pour avoir ceci, vous devez déjà avoir cela etc. Les administrations par exemple on fait échouer le « guichet unique » pourtant demandé par le gouvernement et je crois même voté par l’Assemblée nationale lequel aurait permis de savoir en définitive qui avait droit à quoi et comment, ce qui aurait simplifié la vie des bénéficiaires, allégé la charge de l’administration, et par ailleurs beaucoup intéressé les contributeurs. On a l’impression d’assister à une alliance objective des administrations qui se conservent des activités, et des assujettis « malins » qui tentent de frauder.

La deuxième partie du livre est consacrée aux solutions : simplifier ! Sur ce point au moins en façade, tout le monde est d’accord. Les auteurs proposent une méthode qui vaut ce qu’elle vaut dont je suis bien incapable de juger de la qualité. En tant que consommateur, bien entendu oui à l’objectif mais je suis un peu plus interrogatif sur la méthode. Les repères disponibles sont d’ailleurs faibles : ayant eu l’occasion de travailler sur des directives européennes (90 % de notre droit paraît-il vient désormais de l’Europe), j’ai constaté à l’époque que la plupart des pays reprenaient purement et simplement le texte européen, puis abrogeaient des dispositions contradictoires dans leur droit national. En France on complétait et modifiait le droit français existant, en en rajoutant éventuellement une couche pour être « les mieux disant » ce qui avait pour conséquence en général une perte de compétitivité pour notre pays. La deuxième idée que j’avais dans ma besace c’est celle des définitions de fonction dans les relations humaines. Elles comportent traditionnellement une phrase voir deux définissant « la mission » des postes, suivies de la description détaillée des tâches accomplies. J’ai décidé un beau matin de ne m’attacher qu’à la mission. Le reste doit s’apprécier dans la réalisation. Si j’ai bien compris c’est le sens du projet de nos deux auteurs, de ce point de vue j’y adhère sans connaître par contre le détail et l’histoire des différentes tentatives.

Je ne voudrais pas terminer ce rapide tour d’horizon sans attirer l’attention sur quelque phénomènes liés à cette complexification :
– Le premier est l’irruption de la hargne dans nos échanges sociaux. À force d’expliquer aux gens qu’ils doivent être des gagnants, compétitifs, « tuff » je crois en anglais, tout le monde se croit obligé tout le temps « d’apparaître » comme un superhéros. Cela devrait se terminer par des procès : heureusement la justice française est tellement lente (et accessoirement chère) que, arrivés à cette extrémité, la plupart renoncent. J’ai essayé dans ma vie personnelle comme dans ma vie professionnelle la conciliation : c’est nettement plus efficace mais cela demande beaucoup de courage tout simplement parce que personne ne s’y attend. Faites un jour appel à un médiateur officiel : vous serez en général surpris de son bon accueil (enfin un client) et le plus souvent satisfait du résultat même si vous ne gagnez pas à tous les coups.
– Le deuxième est que cette complexification est un gisement inépuisable de justifications de l’importance et de la nécessité de l’administration et de l’Etat. Plus c’est compliqué, et plus on a besoin des fonctionnaires qui deviennent de ce fait une nécessité absolue et en nombre inexorablement croissant. Il faudrait au moins généraliser la procédure du rescrit laquelle permettrait une demande préalable à l’administration avant de se lancer dans une aventureuse démarche. Le système de l’acceptation administrative automatique sans réponse de sa part a depuis longtemps été contourné par la demande systématique d’une pièce complémentaire avant délai. Accessoirement la complexification pourrait expliquer l’imperméabilité totale de la fonction publique au concept même de productivité. Pour mémoire cette idée saugrenue, base de la totalité du progrès social entre autres, consiste bien au minimum à avoir des résultats supplémentaires avec des moyens maintenus, ou mieux, à avoir les mêmes résultats avec moins de moyens. Ayant démarré ma vie professionnelle dans l’organisation je tiens à disposition des auteurs un nombre non négligeable d’exemples si cela peut les intéresser. Mais par pitié que l’on cesse pour résoudre les problèmes de demander ou d’octroyer des « moyens supplémentaires ». C’est en général, voire toujours, un emplâtre sur une jambe de bois. Oui, il existe aujourd’hui en France des hôpitaux ou des écoles qui fonctionnent bien avec leur budget et leurs effectifs historiques normaux et qui s’améliorent chaque année car cela fait partie intégrante de la mission de la responsable.
– Le dernier point, peut-être le plus grave, que je voudrais signaler est que cette espèce d’anti productivité due à la complexification est malheureusement en train de déteindre sur l’univers « civil ». Alors que le développement des moyens numériques et de l’intelligence artificielle devrait permettre une automatisation et une simplification des démarches, c’est à qui vous demandera plus de renseignement, plus de fiches, plus de numéros, plus de codes, plus de mots de passe … plus d’archives, que personne ne consultera jamais.

C’est en tout cas aussi l’avis de mon notaire !

 

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