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Quel(le) Président(e) pour la « France d’après » ?

par Gilles Rigourex
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EPLF est apolitique et ne fait campagne pour aucun candidat(e) ni aux élections présidentielles ni aux élections législatives qui suivront. Mais EPLF ne s’interdit pas d’exposer les enjeux économiques majeurs auxquels les élu(e)s devront répondre pour remettre la France sur les bons rails.

Comme tout dirigeant avisé, il faut fonder sa politique et sa stratégie sur un diagnostic éclairé de la situation. Pour « l’entreprise France », ce diagnostic vient d’être fait par Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely dans leur ouvrage « La France sous nos yeux ».
Comme ils le disent en introduction : « ce livre a pour ambition de dresser un tableau d’ensemble de la France d’après. D’après la métamorphose qui s’est produite depuis le milieu des années 1980 jusqu’à la fin des années 2010. L’année 2020-2021, celle de la crise sanitaire, n’aura fait que révéler, accélérer et bien souvent hystériser des transformations qui s’étaient engagées de longue date ».
Ces 40 années ont vu le paysage de la France complètement chamboulé, sans que nos responsables politiques successifs, de droite ou de gauche, en aient réellement pris conscience et donc sans que les adaptations qui s’imposaient aient été encouragées voire entreprises.
Le chamboulement majeur, absolument déterminant, parfaitement argumenté avec force chiffres et exemples à l’appui, est le suivant : « Le passage d’un système économique organisé et pensé autour des activités de production à un modèle centré sur la consommation, le tourisme et les loisirs ».
Voici quelques constats, choisis parmi la multitude des analyses que contient La France dans les yeux, qui illustrent ce basculement.

+Premier constat :+

« la part du secteur industriel dans le PIB, qui étaient encore de 24% en 1980, est tombée à 10% en 2019 ». 936 usines de 50 salariés et plus ont fermé leurs portes depuis 2008.

« L’effondrement de l’activité industrielle a créé un vide béant. En l’absence de richesses générées par le tissu industriel, la dépense publique (salaires des fonctionnaires et dépenses sociales), financée par l’endettement croissant du pays, a pris le relais et mis le territoire sous perfusion. …… Avec l’effondrement de l’activité industrielle, la consommation des ménages est devenue le moteur essentiel de l’économie dans de nombreuses régions françaises. Cette dernière est puissamment stimulée par la dépense publique, les salaires des nombreux fonctionnaires et les allocations diverses versées à des publics économiquement fragilisés alimentant le chiffre d’affaires de la grande distribution, devenue un acteur économique majeur des territoires. »

+Deuxième constat :+

« la période qui court de la fin des années 1980 jusqu’à aujourd’hui a été le théâtre de la liquidation rapide et terminale des derniers pans du secteur primaire [agriculture et mines]. »

Le nombre d’exploitations agricoles est passé de 1.588.000 en 1970 à 429.000 en 2017. Faute d’être en nombre suffisant, la catégorie socioprofessionnelle « agriculteurs » n’est plus utilisée dans la constitution de l’échantillon représentatif de 1000 personnes pour les enquêtes.

+Troisième constat :

(qui découle des deux premiers)+

« Jadis, c’est l’implantation des activités industrielles qui organisait ou influençait le développement du tissu urbain. Désormais, l’activité des aires urbaines est structurée en bonne partie par la localisation des enseignes de la grande distribution et des très nombreux commerces gravitant autour d’eux ».

Le nombre d’hypermarchés est passé de 310 en 1980 à 1.832 en 2020.

« La France industrielle était irriguée par le rail, la France d’après l’est par le bitume. Et d’une certaine manière, l’entrepôt comme lieu de transit des marchandises s’est substitué au site de production qu’était l’usine, le couple camion-autoroute étant devenu la ligne de montage et d’assemblage de notre activité orientée « consommation ».

On peut en déduire que tous les efforts entrepris depuis des années par tous les gouvernements pour relancer le frêt ferroviaire, sans doute sous la pression des cheminots, était d’avance voués à l’échec. Et le resteront si l’on s’entête.

La logistique des livraisons, accentuée par le développement de l’e-commerce, est devenue dominante.

+Quatrième constat :+

Stimulé par la réduction du temps de travail sous l’effet conjugué des gains de productivité, du déclin de certaines professions qui pratiquent des horaires à rallonge (agriculteurs, artisans), et des lois Robien et Aubry, le tourisme et les loisirs se sont emparés du territoire.

« Traditionnellement, l’industrie touristique s’était structurée à partir de sites ou monuments historiques ou de paysages ou de régions remarquables. Les parcs d’attraction ont rompu avec cette logique, puisqu’ils ont été implantés ex nihilo et que leurs arrivées ont permis de faire converger un large public vers des lieux qui n’étaient pas réputés à fort potentiel touristique. »

Disneyland Paris, premier employeur monosite de France, pèse à lui seul 7% du chiffre d’affaires de l’ensemble de la filière du tourisme française. Les ¾ des Français nés depuis la création du parc en 1992 ont accompli le pèlerinage de Marne-la-Vallée.

« Dans la France d’après, le ZooParc de Beauval et ses pandas constituent donc une destination touristique plus fréquentée que le château de Chambord tout comme Disneyland Paris surclasse nettement le musée du Louvre ou le château de Versailles. »

Les ports de plaisance se sont substitués aux ports de pêche.

+Cinquième constat :+

L’industrie du luxe a résisté à la tornade, et elle est devenue notre principal produit d’exportation. Soucieuse de préserver la marque « Made in France », elle a maintenu en France une bonne partie de son outil de production.

Hermès exploite 42 sites en France, dont 7 ouverts entre 2016 et 2022, qui emploient 4.200 salariés.

Morale de l’histoire : quand on fabrique des produits à haute technologie et à forte valeur ajoutée (comme le fait l’Allemagne), la France peut rester compétitive !

+Sixième constat :+

Le passage d’une économie de production à une économie de consommation a fait éclater la classe moyenne.

Citons les auteurs :

« Le passage de l’ouvrier d’industrie au magasinier, et de l’usine à l’entrepôt, corollaire d’une longue période de désindustrialisation des territoires, est un phénomène contemporain de la baisse en gamme du niveau des emplois populaires et du surgissement du phénomène des travailleurs pauvres, quand, jusqu’à la fin du siècle précédent, c’était la situation d’exclusion du marché du travail et le chômage qui conditionnaient l’appartenance au groupe des exclus du mouvement de moyennisation de la société. »

« Nous pensons pour notre part que si les classes moyennes n’ont pas disparu, nous assistons depuis plusieurs décennies à un processus de bipolarisation à la fois par le haut et par le bas. Cet effet « sablier » est très clairement perceptible dans l’univers de la consommation et des loisirs avec, d’une part, la premiumisation des offres destinées aux classes moyennes supérieures, et, d’autre part, l’apparition d’un second marché et d’une « économie de la débrouille », illustrant le désarrimage progressif du bas des classes moyennes. »

Avec tous les effets induits de cette bipolarisation entre la classe moyenne supérieure et la classe moyenne inférieure : premiumisation des vacances d’une part, hard discount et débrouille d’autre part ; manifestations des gilets jaunes ; etc.

+Septième constat :+

Le diplôme est devenu le marqueur. Les « épiciers » sont désormais plus nombreux que les « ingénieurs ».

« L’une des plus importantes transformations qu’ait connues la société française au cours de la Grande Métamorphose réside dans l’élévation du niveau éducatif. »

Le % des bacheliers est passé de 29% en 1985 aux fameux 80% en 2019.

« La détention de ce diplôme, qui était un critère de distinction et de sélection, est devenue la norme en seulement un peu plus d’une génération.
Cette mutation très profonde de la stratification éducative ne pouvait pas ne pas avoir de répercussions sur la stratification sociale du pays. Alors que le fait de décrocher le prestigieux baccalauréat ouvrait, sauf erreur de parcours, l’accès à la classe moyenne dans les années 1980, le bac massifié ne joue plus du tout le même rôle. De même que les critères d’accès à la classe moyenne n’ont cessé d’être réhaussés en matière de standards de consommation et d’équipement du foyer, le seuil d’entrée dans le corps central de la société a été réévalué sur le plan des diplômes. On peut ainsi considérer que le ticket d’entrée dans la classe moyenne se situe désormais au niveau bac + 2. La part de la population détenant un tel diplôme a d’ailleurs significativement augmenté, en passant de 3,9% en 1982 à 14,6% en 2019. »

« La réforme LMD [licence, master, doctorat] a de facto modifié la stratification sociale. L’entrée dans la classe moyenne peut toujours se faire à bac + 2, mais tout indique qu’à terme, le seuil d’accès se situera à bac + 3. »

Dans le même temps, la forteresse enseignante s’est délitée. « Sous l’effet notamment de l’allongement des études intervenu au cours des dernières décennies, le poids des enseignants dans la constellation centrale est même demeuré déterminant puisque leurs effectifs sont passés de 808.000 en 1990 à 866.000 en 2019. Ces chiffres montrent que l’enseignement demeure l’une des professions les mieux représentées dans la France d’après. Mais si le monde enseignant a conservé tout son poids numérique dans la structure sociale, il a perdu de son homogénéïté sociologique, culturelle, syndicale et politique. Les murs de la forteresse enseignante se sont lézardés, et les professeurs ne constituent plus un bloc aussi cohérent que par le passé. »

« On notera au passage que le gonflement des effectifs a été plus spectaculaire dans les écoles de commerce que dans les écoles d’ingénieurs, et que le ratio qui, en 1980, penchait clairement en faveur des ingénieurs s’est rééquilibré au profit des écoles de commerce, qui forment désormais plus de jeunes que leurs homologues scientifiques. On a là une autre illustration de la tertiarisation de l’économie, puisque, dans la France d’avant, ces filières d’élite avaient d’abord été pensées pour former des ingénieurs qui avaient vocation à travailler dans le secteur industriel. »

+Huitième constat :

Les startupeurs, une nouvelle bourgeoisie des métropoles+

« S’ils sont moins nombreux que les patrons de PME ou que les franchisés, les entrepreneurs de la tech ont tendance à attirer la lumière et à redéfinir les paramètres du succès dans la France contemporaine. … Loin de l’ingénieur informaticien un peu taciturne … Le start-upeur est associé à la jeunesse, à l’innovation, à l’urbanité, au cosmopolitisme et à une réussite sociale qui se double de l’ambition de peser sur l’avenir du monde. »

« Depuis quelques années, des secteurs à première vue éloignés de l’innovation technologique (grande distribution, textile, restauration, banque-assurance, etc.) sont de plus en plus concernés par le nouvel ordre numérique, de sorte que l’on peut parler d’un halo de startupisation du monde du travail »

La start-up nation se déploie donc essentiellement dans la France urbaine et francilienne.

+Neuvième constat

(pas totalement anecdotique)+

Dans les 500 plus grandes fortunes françaises, entre 1998 et 2020, le secteur de l’industrie et de l’énergie est passé de 164 personnes (33% du total) à 68 (14%). Dans le même temps, le secteur de l’immobilier et de l’hôtellerie est passé de 15 (3%) à 57 (11%).

On pourrait ajouter encore à ces quelques constats une multitude de transformations intervenues depuis 40 ans : les « zones grises » dans la périphérie des grandes villes et dans les arrières-pays littoraux, l’idéal de la maison individuelle avec jardin et la nouvelle vague néo-rurale, le débat sur les thèses opposées à propos de l’évolution des classes moyennes, les métiers sexués, la micro-entreprise non pas comme une start-up mais comme de la débrouille, l’essor de la franchise, l’effondrement du catholicisme (ou comment les marches blanches ont sécularisé les processions), les changements alimentaires (les restaurants japonais et les kebabs ; le déclin de la blanquette de veau mais la frite comme « signe alimentaire de la francité »), etc.

Plongez-vous dans La France dans les yeux, c’est un grand roman d’aventure ! Tirez en les enseignements et les conclusions que vous voudrez pour orienter vos choix électoraux.

Mais surtout exigez de tous les candidats qu’ils en aient pris connaissance et qu’ils vous disent quel est leur projet pour « la France de demain ».

 

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1 commenter

Moulin mars 10, 2022 - 1:13 pm

Intéressante Recension mais ne répond pas au titre
Merci pour cette recension, mais le titre n’est pas tenu : l’auteur ne nous dit pas ce qu’il en déduit pour le meilleur président possible pour cette France.
Dont tout le monde oublie qu’elle vit au dessus de ses moyens avec des dépenses « publiques » de plusieurs % supérieures au PIB et à sa croissance . Ce qui se voit dans la balance commerciale lourdement déficitaire , même si il y a des excédents de services et de bénéfices rapatriés par les grandes entreprises.
Le Président qu’il nous faut : renverser la tendance mortifère d’endettement et de déclin.

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