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Le casse-tête des informations incohérentes sur le chômage

par Claude Sicard
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Le taux de chômage baisse enfin en France, et les pouvoirs publics ne manquent pas de faire du triomphalisme. Ainsi Bruno Le Maire interrogé le 18 février dernier par Ouest-France, a-t-il parlé avec la plus grande satisfaction d’une « grande victoire française ». On lit sur le JDN, un site d’information très suivi : « Du jamais vu depuis 2008 : le taux de chômage a atteint son plus bas niveau à 7,3 % de la population active au premier trimestre 2022 selon l’INSEE, contre 7,4 % au trimestre précédent. Le nombre de chômeurs au sens BIT (Bureau International du Travail) s’établit à 2,2 millions de personnes, soit 18.000 chômeurs en moins sur le trimestre ».

Ce chiffre de 2,2 millions de chômeurs est surprenant car on a en tête les statistiques de notre organisme public du chômage, Pôle Emploi, qui prend en charge les chômeurs, les aide à retrouver un emploi et les indemnise. En se reportant aux données de cet organisme on découvre qu’il y avait, fin mars 2022, prés de 6 millions de personnes inscrites dans ses registres, reparties en plusieurs catégories, A ,B, C pour les personnes devant accomplir « des actes positifs de recherche d’emploi », plus les catégories D et E constituées de personnes sans emploi, qui, pour diverses raisons (en formation, bénéficiaires de contrats aidés, proches de la retraite….) n’y sont pas vraiment contraintes. Les chômeurs A B C , donc les personnes effectivement contraintes de rechercher un emploi pour être indemnisées, s’élevaient à 5,2 millions de personnes à fin mars 2022, la ventilation étant la suivante :

Fin mars 2022 (en 1.000)
Chômeurs catégorie A 2.953,8
Chômeurs catégorie B 717,8
Chômeurs catégorie C 1.546,7
Total 5.218,3

Et une autre information est donnée par Pôle- emploi : fin septembre 2021, 68,6 % des demandeurs d’emploi des catégories A,B,C étaient indemnisables soit 3,6 millions de personnes.
On a donc des pouvoirs publics qui d’un coté annoncent que nous n’avons que 2,2 millions de chômeurs, et, de l’autre, ont sur leurs registres un peu plus de 5,2 millions de chômeurs qui sont officiellement en recherche active d’emploi, indemnisant, eux-mêmes, 3,6 millions de personnes au titre du chômage.

Il faut donc examiner d’où viennent ces écarts qui sont considérables.

L’approche du BIT

Chômeur : une personne âgée de plus de 15 ans, sans emploi, disponible pour travailler dans les deux semaines, qui a effectué au cours des 4 dernières semaines une démarche active de recherche d’emploi.
Population active : les personnes ayant un emploi, plus les chômeurs.

Les données sont fournies au BIT par l’INSEE qui fait des enquêtes en continu, dites « Enquêtes sur l’emploi, le chômage et l’inactivité », ces enquêtes portant sur des personnes de 15 à 89 ans vivant en logement ordinaire (France, hors Mayotte)

L’approche de Pôle Emploi

Catégorie A : Personne sans emploi devant accomplir des actes positifs de recherche d’emploi (quelque soit le contrat antérieur) ;
Catégorie B : Personne ayant exercé une activité réduite de 78 heures maximum par mois, tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi ;
Catégorie C : Personne ayant exercé une activité réduite de plus de 78 heures par mois, tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi ;
Catégorie D : Personne sans emploi qui n’est pas disponible, et pas tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi ;
Catégorie E : Personne pourvue d’un emploi qui n’est pas tenue d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi, (par exemple les bénéficiaires d’un contrat aidé).

Et l’évolution a été la suivante :

Mars 2021 Mars 2022
(en 1.000) (en 1.000)
Catégorie A 3.544,2 2.953,8
Catégorie B 744,7 717,8
Catégorie C 1.482,6 1.546,7
Catégorie D 400,3 404,6
Catégorie E 335,9 370,4
Total 6.507,7 5.993,3

Un mystère, donc, pour le grand public subsiste : les catégories A,B et C sont bien constituées par des personnes tenues d’effectuer une recherche active de travail, et on ne voit pas en quoi peut consister cette incroyable écart entre le chiffre de 2, 2 millions de chômeurs au sens BIT et celui des 5,2 millions de personnes inscrites à Pôle Emploi qui sont en « recherche active d’un emploi ».

Une étude INSEE, en date de 2019, intitulée « Les chômeurs au sens BIT et les demandeurs d’emploi de Pôle emploi : une divergence aux causes multiples » s’est penchée sur la question, et tente de nous renseigner. Elle signale, tout d’abord, que notre catégorie A est la plus proche de la définition du chômage du BIT, mais il y a néanmoins une différence de 700.000 personnes, actuellement, et l’INSEE parle ainsi d’un « halo autour du chômage ». En catégorie A il y aurait, par exemple, des personnes inscrites qui ne répondent pas aux critères du BIT, ne respectant pas soit les critères de recherche d’emploi, soit ceux de disponibilité pour prendre un travail. Mais en parcourant toute cette étude on a beaucoup de mal à élucider les raisons réelles de ces énormes divergences, le rapport soulignant par ailleurs, sans en expliquer la cause, que l’écart entre chômeurs BIT et catégorie A s’est considérablement accru entre 2013 et 2017.

On dégage de l’examen de ce rapport le sentiment d’un laxisme réel existant dans la manière d’opérer de notre organisme public. On a, en effet, d’un côté l’lNSEE, un organisme qui agit avec rigueur, par des enquêtes permanentes (EEC), en appliquant des critères internationaux précis, et de l’autre un organisme, Pôle Emploi, qui indemnise des chômeurs avec une certaine facilité . Aussi, la Cour des Comptes, dans un rapport publié en juillet 2020, en est elle venue à adresser de sévères critiques à cet organisme public, et, à propos de ce rapport, le journal Le Monde du 16 juillet 2020 a titré : « Absentéisme, primes, voitures de fonction : la Cour des Comptes étrille la gestion des ressources humaines de Pôle emploi ». Philippe Robert, dans un numéro de Capital paru un peu plus tôt, le 11décembre 2019, nous disait : « Pour gruger Pôle Emploi, les faux chômeurs ne reculent devant rien », et il donnait de nombreux exemples, et parmi ceux-ci celui de ces jeunes diplômés faisant « une gestion stratégique habile de leurs allocations de chômage ». Certes, les contrôles sont ils devenus ces dernières années beaucoup plus sévères, avec davantage de contrôleurs, des croisements de fichiers, et la possibilité qui a été donnée finalement à cet organisme d’accéder aux comptes bancaires des intéressés. Mais l’auteur de l’article cite une réponse caractéristique d’un employé qu’il interrogeait sur les fraudes : « Nous ne souhaitons pas en parler en parallèle du sujet de la fraude, car il s’agit de personnes démotivées qui ont besoin d’être accompagnées ».

Au plan financier, l’assurance chômage a coûté la somme de 55,7 milliards d’euros en 2020, une année certes exceptionnelle du fait de la crise du Covid-19, et l’UNEDIC a eu un résultat négatif important cette année là de 17,4 milliards. En 2021, le déficit a pu être ramené à 9,3 milliards, et cet organisme avait en fin d’année une dette de 63,9 milliards d’euros. Pôle Emploi, en effet, est alimentée par les cotisations versées à l’UNEDIC (le 4,05 % patronal sur les salaires) et par des contributions de l’Etat.

Il va donc être temps de voir comment les pouvoirs publics vont pouvoir ramener les un peu plus de cinq millions de chômeurs actuels des catégories A ,B et C figurant dans les registres de Pôle Emploi aux 2,2 millions officiels de chômeurs dont s’honorent triomphalement les pouvoirs publics. Certes, tous les chômeurs de ces trois catégories ne sont-ils pas indemnisés, mais 3,6 millions d’entre eux, néanmoins, le sont.

Quant au discours de nos gouvernants, il serait bien que leur parole s’accorde avec ce que font au plein jour les services publics : annoncer triomphalement que nous n’avons que 2,2 millions de chômeurs alors que, au titre du chômage, on en indemnise 3,6 n’est pas moral.

 

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