Laurent Wauquiez a été ministre des affaires européennes en 2010-2011. Il a été maire du Puy-en-Velay de 2008 à 2016, poste dans lequel il a plusieurs fois rencontré des difficultés avec Bruxelles. C’est en connaissance de cause qu’il traite de l’Europe, de sa « passion normative », de la faiblesse de sa politique d’immigration, de l’inexistence de sa politique étrangère et de défense, des raisons de ces faiblesses.
« La passion normative »
L’Union européenne interdit :
– les roulés à la cannelle danois (qui contiennent trop de cannelle) ;
– les pains contenant plus d’1 milligramme par kilo de zéaralénone (facile à contrôler par les boulangers !) ;
– le chocolat contenant moins de 43% de matière sèche de chocolat, 30% pour le chocolat au lait et 35% pour le chocolat de couverture ;
– La cuisine municipale du Puy-en-Velay doit comptabiliser séparément le temps passé à chauffer les repas étudiants (service public) de celui à chauffer les plats portés à domicile (activité concurrentielle) ;
– Les amendes anti-cartels de l’Europe s’élèvent à 3 milliards d’euros par an ;
– « La doctrine anti-concentration de la Commission européenne empêche toujours de constituer des champions européens ». (Il reconnait cependant que depuis 1989 il y a eu 3.518 concentrations autorisées, et seulement 20 interdites – toutefois les fusions Schneider-Legrand et Pechiney-Alcan ont été regrettablement bloquées par la Commission).
Immigration
« Il suffit à un Libyen de prendre un visa grec pour se rendre ensuite tout-à-fait légalement en France. Les Albanais peuvent entrer sans visa dans l’espace Schengen ».
« Pour régulariser un clandestin il faut cinq ans de présence en France, neuf mois en Italie. Depuis dix ans, l’Espagne et l’Italie ont chacune régularisé un million de clandestins et la Grèce 400.000. Le gouvernement italien informe les clandestins des « incomparables attraits du système français » et leur paie le billet de train pour la France ».
« Une directive européenne oblige les États membres à héberger les demandeurs d’asile et à leur verser 11 euros par jour. Une autre directive interdit de fixer des quotas de regroupement familial ».
Laurent Wauquiez propose de faire de l’immigration un domaine de coopération entre États (et non plus une responsabilité de la Commission), ou à défaut, de sortir de Schengen. Il prône « une politique migratoire assumant la notion de frontière ».
Politique étrangère de l’Europe
Laurent Wauquiez porte un jugement sévère sur la « Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité », c’est-à-dire la ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne : « La baronne Ashton, la meilleure garantie qu’il ne se passera rien ». Un collègue britannique lui a dit : « elle est déjà beaucoup trop compétente pour ce qu’on attend d’elle et de la politique étrangère européenne, c’est-à-dire rien ».
« L’Union européenne est le premier bailleur de fonds des Palestiniens. Pourtant, elle est priée de quitter la salle dès que des sujets sérieux sont abordés et que les Israéliens et Américains le décident ».
« Pour le réchauffement climatique, l’Union européenne s’est fixé des objectifs contraignants qui pèsent sur la compétitivité de ses entreprises. Je récuse cette forme de diplomatie sacrificielle ».
« Quand il s’agit d’apporter des tentes, de déployer des secouristes ou d’acheminer des médicaments, l’Europe sait faire. Pour le reste, il ne faut pas vraiment compter sur elle ».
« Le seul document d’ensemble dont dispose l’Europe pour définir sa vision géostratégique a été élaboré par Javier Solana en 2003… Il faut que l’on définisse enfin une politique vis-à-vis de la Russie ».
La défense européenne
« L’Europe compte 3 modèles de chasseurs, 11 de véhicules blindés, 16 chantiers navals, 23 versions de l’hélicoptère NH 90. »
« Il faut qu’un petit groupe d’États établisse une structure de défense ».
Les raisons de ces faiblesses
Il est impossible de prendre des décisions à 28. Par exemple il a fallu trente ans pour mettre en place un brevet européen, qui doit être traduit dans huit langues et dont le dépôt coûte dix fois le coût du brevet américain. Pour respecter la directive REACH sur les produits chimiques, qui concernait notamment les peintures d’avion, Airbus a dû délocaliser une partie de sa production au Maghreb.
« Il fût une époque où la Commission européenne était utile. C’était il y a longtemps… Avec 28 commissaires, on a multiplié les directions administratives pour que chaque commissaire ait sa direction. Il y a longtemps que la commission Barroso ne sait même plus que dégager un intérêt général européen fait partie de ses attributions. Pendant les négociations sur l’euro, dès que les négociations devenaient importantes, Angela Merkel demandait à Barroso de sortir de la salle. La Commission est un corps administratif replié sur lui-même, proposant tranquillement en 2011 d’augmenter les salaires de ses 55.000 fonctionnaires, pendant que des États diminuaient ceux des leurs ». Il y a à Bruxelles 2.500 bureaux de lobbying. « Pour la Commission, un gouvernement est plus suspect qu’un lobby privé ».
« Au Conseil européen, chaque délégation est invitée à s’exprimer entre trois et cinq minutes maximum, sans qu’une discussion véritable puisse s’ouvrir… On n’y dit pas que l’on est opposé à un texte, on « émet des réserves » ; quand on « prend note d’une proposition », cela signifie qu’il est absolument hors de question d’aller plus loin ; quand un texte est qualifié de « bonne base de travail », il faut comprendre que tout doit être revu de fond en comble ».
Les parlementaires européens sont inconnus de leurs électeurs, irresponsables, souvent incompétents, peu présents, certains signant leur feuille de présence en début de matinée et partant ensuite. « La seule constante du Parlement européen est sa volonté d’affirmer son pouvoir et de gagner du terrain sur les autres institutions ». « Il n’y a pas un peuple européen, et croire qu’une démocratie européenne peut naître dans le seul creuset du Parlement européen est une erreur».
« L’écart de niveau de vie entre la région la plus riche et la plus pauvre est de 1 à 10… Nous avons totalement sous-estimé les conséquences économiques et sociales de l’élargissement ». Les 10 millions de Roms vivent principalement en Roumanie et Bulgarie, qui refusent de les intégrer (la Roumanie « n’a même pas utilisé 5% des crédits européens destinés à les alphabétiser) ». Ils profitent de l’ouverture européenne pour les laisser partir… Leur part dans la délinquance sur des villes comme Paris ou Lyon est devenue une réalité ».
« En Albanie nous investissons des sommes considérables… Les missions d’expertise toutes plus coûteuses les unes que les autres se succèdent avec un manque complet d’intérêt de la part des Albanais. Ils veulent entrer dans l’Union européenne, mais uniquement pour bénéficier des fonds européens ».
« L’Europe est devenue une culture du compromis, avec une neutralisation de chaque État : on gère le consensus, on ne construit plus rien ». La France a eu onze ministres des Affaires européennes en dix ans. « La Commission se rêve en gouvernement de l’Union européenne, le Parlement européen voudrait être le Parlement de l’Europe au-dessus de tous les autres Parlements et la Cour de justice des communautés européennes a des velléités de Cour suprême ». « Le projet européen est à bout de souffle ».
« Avec le fonctionnement actuel de l’Europe nous devons refuser tout pas en avant supplémentaire… Il faut d’abord revoir de fond en comble l’édifice ».
La solution de Laurent Wauquiez
Il faut un noyau dur à 6 (les 6 d’origine moins le Luxembourg, plus l’Espagne).
« Il s’agit juste de reconnaître que, sous le ciel européen, il y a des pays différents qui n’aspirent pas aux mêmes choses ». « Prendre la zone euro pour déterminer le noyau dur supposerait d’assumer un ensemble géographique très peu cohérent avec la Finlande, les pays baltes, la Slovaquie ou encore Chypre ». Il faudrait un référendum « portant sur la question suivante : voulez-vous rester dans l’Europe à 28 ou souhaitez-vous adhérer au noyau dur des 6 ? ».
La zone euro deviendrait un deuxième cercle, et les 28 une zone de libre-échange.
« Le premier défi (du noyau dur) serait d’harmoniser rapidement nos règles sociales et fiscales, avec une fourchette pour les taux ». Pour cela, « La France doit commencer par faire le ménage dans son économie et sa dépense publique ». On voit mal en effet nos partenaires accepter d’imiter, sous prétexte d’harmonisation, le laxisme financier de notre pays.
Par ailleurs, « il faudrait un budget européen qui aurait comme vocation de financer de grands projets en matière de recherche, d’environnement et de développement industriel, de véritables stratégies industrielles destinées à reconstruire notre puissance économique… Avec une taxe carbone aux frontières ». « L’autre impératif est de soutenir l’innovation et la recherche comme nous l’avons fait avec les 35 milliards d’euros des investissements d’avenir ».
Laurent Wauquiez manifeste là ses convictions étatistes, qui apparaissent clairement dans un chapitre entier rédigé contre l’« idéologie du libre-échange » et intitulé : « Plaidoyer pour un protectionnisme européen »
Plaidoyer pour un protectionnisme européen
Laurent Wauquiez est fier d’avoir fait acheter par la mairie du Puy-en-Velay des panneaux solaires fabriqués en France. « Certes le coût final était plus élevé mais, au moins, notre investissement servait à créer de l’emploi localement ». Il approuve les États-Unis qui ont imposé une taxe de 250 % sur les panneaux chinois.
Il critique Jean Jaurès qui s’était insurgé contre l’élévation des droits de douane : « Les tarifs douaniers n’aboutiront qu’au renchérissement des produits de consommation pour l’ouvrier » disait celui-ci.
« L’absence de préférence européenne est absurde ». Il faut supprimer tout accès aux marchés publics pour les centres d’appel off-shore. Lionel Jospin n’aurait pas dû accepter que la Chine entre dans l’OMC « contre l’achat de quelques Airbus ».
Conclusion
Laurent Wauquiez décrit bien les enjeux du monde actuel : « Nous sommes face à des combats massifs de nations où chacune joue son destin pour des années. Ces affrontements sont aussi décisifs pour notre pays que les batailles d’Austerlitz, de Verdun ou la bataille de France ».
Il ajoute : « Avec la ligne Maginot, nous étions enfermés dans notre doctrine militaire défensive sans voir que le monde avait changé et que plus personne ne pratiquait les mêmes règles du jeu ».
Mais il ne voit pas que la règle du jeu économique actuel, pour tous les pays développés sauf la France, est celle de l’ouverture au monde et de la concurrence, à laquelle il faut se préparer en rendant notre administration et notre protection sociale compétitives. A l’inverse, il défend une ligne Maginot économique.
Il constate que la valeur des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) est supérieure à celle de toutes les entreprises françaises du CAC 40, mais il n’a pas compris que la liberté d’entreprendre, et non les choix des responsables politiques, en est la cause.
Il est étonnant de le voir dénoncer « la concurrence, le nouveau veau d’or de la Commission européenne », de prétendre que le manque d’aides aux entreprises « contribue à un retard de richesse accumulée dans la zone euro par rapport aux États-Unis », d’affirmer que « le gouvernement a la charge d’identifier les grands défis de demain », que « c’est une erreur de croire que les temps seraient ceux d’un libéralisme triomphant sommant l’État de se retirer ». Visiblement ses convictions étatistes sont bien ancrées.
Quand il parle ainsi de son homologue irlandais « Il était libéral, ce qui n’est pas exactement ma tendance politique », on le croit volontiers. Et on le regrette pour la France.