C’est un fait, « taxer les riches » comme s’ils ne l’étaient pas déjà suffisamment, semble s’imposer pour l’ énorme majorité des Français, et être le sésame d’une très éventuelle tentative de rapprochement avec la gauche dite modérée en vue de la formation d’un gouvernement susceptible de ne pas être immédiatement censuré.
Ce ne sera pas la taxe Zucman, du moins telle qu’elle est actuellement proposée, mais à quoi d’autre s’attendre ? A quoi travaillent le Premier ministre et Bercy ? Il y a légion d’hypothèses, mais nos remarques concerneront particulièrement la taxation des plus-values latentes des holdings.
Sur la taxe Zucman.
Les économistes et universitaires, à la seule exception de ceux dont la motivation est l’éradication des riches, sont unanimement opposés à la taxe Zucman, pour la raison essentielle est qu’elle touche la partie du patrimoine concernant l’outil de travail, et aussi parce que son taux serait confiscatoire.
A titre d’exemple, Nicolas Dufourcq, patron de BPI France, considère qu’il s’agit d’un « truc complètement absurde ». Un collectif de plusieurs dizaines d’économistes, y compris de gauche, et d’entrepreneurs, ont publié des tribunes condamnant l’initiative. Et le Premier ministre paraît bien y être fermement opposé. On peut aussi penser, sans en être cependant certain, que la taxe n’a pas plus de chance d’être adoptée si on abaissait le taux proposé de 2% à 1%, voire moins. C’est le principe qui est inacceptable, sans compter le risque que ce taux soit ultérieurement remonté, comme il est arrivé notamment à la CSG depuis son institution par Michel Rocard.
On peut s’étonner qu’une majorité écrasante de Français (86%, y compris ceux votant pour des partis de droite), se déclarent dans divers sondages favorables à la taxe Zucman. La réponse tient à la faible valeur de tels sondages. Les sondés n’ont de toute évidence pas répondu à la question précise qui leur était posée, ignorant – comme Eric Coquerel ! – la distinction à opérer entre revenus et patrimoine, et faisant l’amalgame entre taxation Zucman et taxation des riches en général.
La messe a tout lieu d’être dite lorsqu’on observe la réponse assez hallucinante faite par Gabriel Zucman à l’objection que beaucoup d’entrepreneurs, et pas seulement de fondateurs de start-ups, ne pourraient pas s’acquitter de la taxe faute de distribution de dividendes par leur entreprise, ou même faute de distribution suffisante de dividendes comme c’est le cas pour les trois champions de la cote française que sont LVMH, Hermès et L’Oréal.
Ils n’ont qu’à payer en nature en donnant à l’État leurs actions, dit-il, ajoutant que l’État les revendra au personnel ou aux investisseurs qu’il lui plaira ! On est consterné par une telle désinvolture et une telle méconnaissance du fonctionnement des sociétés capitalistes dans un marché mondialisé et du risque de la perte de majorité de contrôle par les holdings constituées par les entrepreneurs. Ajoutons que le même personnage n’ose pas suggérer que les entreprises concernées n’ont qu’à augmenter les (par ailleurs honnies) distributions de dividendes, dont profiteraient en outre tous les actionnaires !
Les alternatives envisagées.
Elles sont légion : reconduction, voire augmentation de la CDHR (contribution différentielle sur les hauts revenus), hausse de la flat tax de 30%, une imposition des patrimoines nets excluant l’outil de travail, soit une sorte d’ISF, et encore toute autre mesure supprimant des exonérations fiscales du moment qu’elles permettraient, comme le déclare Olivier Faure d’obtenir les mêmes effets que la taxe Zucman.
Mais, en pratique, aucune mesure ne peut permettre d’obtenir les 20 milliards annuels que Gabriel Zucman affiche comme objectif à la taxe dont il est l’auteur. Cette taxe elle-même ne pourrait apporter qu’environ 5 milliards comme l’ont écrit différents économistes, et ce en raison de la réaction comportementale inévitable des personnes visées. Sauf bien entendu à détruire l’économie capitaliste que nous connaissons mondialement.
A ce propos, insistons sur un argument que l’on n’entend pas suffisamment : même si l’État parvenait à lourdement taxer les entrepreneurs actuels, il tarirait à coup sûr la source des futures start up et compromettrait l’avenir de l’économie française, car très peu de bons entrepreneurs ne prendraient le risque de développer son entreprise en France avec la perspective de devoir être spolié de ses actions par l’État, par une mesure qui aurait tout d’une expropriation sans indemnité.
[ Encadré : L’expropriation pour cause d’utilité publique.
C’est une mesure étroitement encadrée par la loi et figurant dans un code à part, dont l’article 1 dispose ainsi : « L’expropriation, en tout ou partie, d’immeubles ou de droits réels immobiliers ne peut être prononcée qu’à la condition qu’elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée à la suite d’une enquête et qu’il ait été procédé, contradictoirement, à la détermination des parcelles à exproprier ainsi qu’à la recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres personnes intéressées.
Elle donne lieu à une juste et préalable indemnité. »
L’expropriation, qui n’est prévue que pour les biens immobiliers, doit répondre à une cause d’utilité publiue indépendante et constatée qui ne saurait consister à ce que l’expropriation elle même serve de juste cause (créer des ressources fiscales). Elle exige de plus une préalable et juste indemnité.]
En résumé, il n’existe aucune possibilité pour que la prétention d’Olivier Faure d’obtenir 20 milliards par une quelconque mesure fiscale soit satisfaite.
La question des exonérations fiscales et de la taxation des plus-values latentes.
Certains observent que la fiscalité actuelle conduirait à un « effacement » de la plus-value des gains acquis sur les actions lors de la transmission par voie de succession ou donation.
Lors de cette transmission en effet, le paiement du DMTG (droit de mutation à titre gratuit) a pour conséquence que les biens transmis rentrent dans le patrimoine de l’héritier pour sa valeur au jour de la transmission.
Personne n’aura donc payé la plus-value (actuellement la flat tax au taux de 30%) acquise pendant la période de possession des biens par le défunt. Cette situation se produit lorsque les profits d’une entreprise sont versés sous forme de dividendes à une société holding bénéficiant du régime fiscal mère-fille. Les profits de l’entreprise fille, après avoir été taxés à son niveau, sont distribués à la holding sans payer de droits, et ne sont taxés que si la holding les distribue. Lors de la succession d’un actionnaire, ils ne supportent que le DMTG et ne seront taxés à la plus-value qu’au moment de la cession éventuelle des actions de la holding, et seulement sur la plus value acquise après ouverture de la succession.
Cette situation choque certains quand il s’agit de fortunes très importantes, car les profits peuvent ainsi être transmis de génération en génération sans être jamais imposés autrement que par voie de DMTG, et ce jusqu’à revente de actions.
La situation n’est véritablement susceptible de choquer que parce que la législation fiscale permet par le biais des exonérations d’échapper à la taxation très lourde des héritages importants (taux de 45% en ligne directe au-delà de 1,8 million d’euros). Effectivement, les héritages des 0,1% les plus importants ne paient que 10% de droits au lieu de 45%.
Dans le but d’empêcher les plus riches d’optimiser leur situation fiscale, les organismes de gauche font appel à la suppression des exonérations permises par la législation.
A ce titre des études comme celles de Terra Nova préconisent quatre mesures :
- la suppression des avantages de la loi Dutreil (exonération, sous certaines conditions, des DMTG touchant 75% de la valeur d’une entreprise lors de la transmission aux héritiers) ;
- celle des avantages consentis aux assurances sur la vie (exonération fiscale des plus-values) ;
- la réforme des démembrements de la propriété (afin de fiscaliser la valeur de l’usufruit lors du décès du nu-propriétaire) ;
- et enfin, la taxation des plus-values latentes ;
Les trois premières mesures n’ont pas de lien direct avec le sujet de la taxation des riches (il y a par exemple 56 millions de contrats d’assurance-vie signés en France) et provoqueraient de considérables levées de bouclier si elle étaient proposées.
Quant à la dernière, voici comment la fondation Jean-Jaurès ( de tendance à gauche) la résume : « Taxer les plus-values latentes à la succession, en assimilant la transmission à titre gratuit à une cession, dispose d’une base solide juridiquement, comme le rappelle une note de Terra Nova2 . Pour éviter que l’héritier ou le donataire s’acquitte d’un impôt décorrélé de ses capacités contributives, l’État octroierait automatiquement un report d’imposition concernant le paiement du PFU sur la plus-value latente. En contrepartie, l’héritier ou le donataire s’engagerait à payer cette dette fiscale lors de la vente des actifs. Le Conseil constitutionnel a récemment admis la possibilité pour le législateur de transférer la charge d’imposition du donateur au donataire en cas de report d’imposition au prétexte que « lorsqu’il accepte la donation, le donataire a une connaissance exacte du montant et des modalités de l’imposition des plus-values placées en report qui grève les titres qu’il reçoit » (décision n°2019-775 QPC). »
La gauche n’est pas la seule à promouvoir la fiscalisation des plus-values latentes et on peut fortement s’étonner de voir François Ecalle, fondateur du site Fipeco, proposer une mesure encore plus radicale, à savoir la taxation de cette plus-value au moment du décès : « Dans le régime actuel, un bien acheté 30 par le défunt, évalué à 100 lors de sa succession et revendu 120 par l’héritier n’est imposé sur la plus-value que pour 20, et serait imposé sur 90 si cette réforme était mise en œuvre (70 au moment de la succession et 20 au moment de la vente). Cette imposition des plus-values latentes héritées pourrait rapporter de 2 à 4 Mds€ par an. C’est loin des 15 à 25 Mds € attendus de la taxe Zucman par ses promoteurs, mais cette fourchette semble exagérément élevée. En outre, l’imposition des plus-values latentes au moment du décès pourrait être complétée par la remise en cause des avantages fiscaux de l’assurance-vie, qui pourrait rapporter environ 5 Mds€. »
En réalité, les promoteurs de cette mesure, quelles qu’en soient le modalités, font complètement l’impasse sur la double imposition qui résulterait de son adoption : au titre du DMTG et à celui du PLU. Dans l’exemple cité par François Ecalle, l’héritier commencerait à payer 30% de plus value sur les titres, puis 45% de DMTG, soit 61,5 % cumulés (la question se posant de l’imputation de la première imposition sur l’assiette de la seconde).
Dans l’extrait que nous avons cité, la fondation Jean Jaurès commence de son côté par évoquer l’assimilation qu’il y a lieu de faire entre la transmission à titre gratuit et une cession. Ce qui implique, s’agissant d’une opération assimilable à une cession, que l’acquéreur ne peut pas être appelé à payer à la fois la plus-value du cédant et le coût fiscal de la transmission à titre gratuit assimilée à une cession !
Et pourquoi en serait-il autrement que dans le cas d’une succession comprenant des biens immobiliers ? Dans ce cas en effet, le DMTG payé par l’héritier « purge » la plus-value réalisée sur le bien immobilier, et la plus-value réalisée à l’occasion de la revente ultérieure par l’héritier n’est imposable que par rapport au prix déclaré dans la déclaration de succession.
Quant au fait que les plus riches réussissent à ne payer que 10% de DMTG au lieu du 45% prévu par les textes, ces riches ne font qu’utiliser les outils d’optimisation qui sont aussi prévus par la loi.
Conséquence, la seule solution existant pour les mettre à contribution plus que sous la loi actuelle, serait de changer la loi pour supprimer les outils en question (loi Dutreil, assurance-vie, démembrement de propriété), et de le faire pour tous en vertu du principe d’égalité devant la loi.
Personne ne le fera. Resterait malgré tout la possibilité, sans supprimer les exonérations pour tous, de prévoir des plafonnements financiers comme c’est le cas pour nombre de dispositions légales. Qu’en penserait le Conseil Constitutionnel ?
En tout état de cause, les rendements que l’on pourrait attendre de ces mesures ne se chiffreraient qu’en quelques milliards, bien loin des 20 à 25 milliards espérés pour la taxe Zucman, laquelle est exclue comme nous le croyons et l’espérons, et tellement loin des économies à réaliser pour ne serait-ce que stabiliser la dette publique.
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