(première partie)
Nous commençons ici la publication d’une note de synthèse sur les dépenses publiques en France, comparées à celles constatées dans l’Union européenne (UE) et dans les cinq autres pays de l’Union les plus importants sur le plan économique : Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas, Pologne.
Le présent article présente les données globales de cette comparaison, puis examine plus en détail une des pistes possibles d’explication : le poids des dépenses publiques de personnel, plus élevé en France.
Un deuxième article analysera les dépenses publiques en les décomposant par fonction, afin d’identifier les domaines où les écarts entre la France et ses voisins sont les plus importants.
Dans un troisième et dernier article, un coup de projecteur sera donné sur les dépenses de protection sociale, l’une des sources majeures du surcroît des dépenses publiques françaises.
1) Un constat qui interpelle : huit points de plus de dépenses publiques en France que dans l’Union européenne.
Les dépenses publiques pèsent très lourd en France, et cela ne date pas d’hier. Tel est le message que semblent nous dire les chiffres de ces dépenses, comparés à ceux de l’Union européenne et à ceux de ses principaux membres, nos partenaires et concurrents.
En 2023, les dépenses publiques françaises, en proportion du produit intérieur brut (PIB), excédaient de huit points celles de la moyenne des pays de l’UE. Elles dépassaient de 8,6 points celles de l’Allemagne. Depuis 2005, l’écart s’est creusé de plus d’un point, tant avec l’UE qu’avec l’Allemagne
Si le poids du secteur public est si important chez nous, à quoi cela tient-il ? Et où devrait-on intervenir s’il faut le réduire ? Il est essentiel de faire un bon diagnostic pour appliquer, s’il y a lieu, les bons remèdes.
Dépenses des administrations publiques en % du PIB
| 2005 | 2010 | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | |
|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
| UE | 47,1% | 50,5% | 48,1% | 47,4% | 46,8% | 46,6% | 46,6% | 52,9% | 51,1% | 49,2% | 49,0% |
| Allemagne | 46,9% | 48,1% | 44,5% | 44,7% | 44,6% | 44,7% | 45,6% | 51,1% | 50,7% | 49,0% | 48,4% |
| Espagne | 38,4% | 45,8% | 43,7% | 42,1% | 41,0% | 41,5% | 42,0% | 51,4% | 49,5% | 46,4% | 45,4% |
| France | 53,4% | 56,9% | 56,7% | 56,7% | 56,6% | 55,8% | 55,3% | 61,7% | 59,5% | 58,4% | 57,0% |
| Italie | 47,1% | 49,8% | 50,2% | 49,0% | 48,8% | 48,3% | 48,4% | 56,8% | 56,0% | 54,9% | 53,7% |
| Pays-Bas | 43,4% | 48,9% | 45,3% | 43,9% | 42,8% | 42,4% | 42,1% | 47,8% | 45,9% | 43,2% | 43,2% |
| Pologne | 44,1% | 46,0% | 41,5% | 41,1% | 41,1% | 41,0% | 41,4% | 47,7% | 43,6% | 43,3% | 47,0% |
2) Une explication limitée : les dépenses de personnel du secteur public.
En proportion du PIB, nos dépenses publiques de personnel sont supérieures à celles de nos partenaires européens. Toutefois, cela est loin de pouvoir rendre compte de la totalité de la différence de la proportion des dépenses publiques entre la France et ses voisins.
Dépenses de personnel des administrations (financement des pensions compris) en % du PIB
| 2005 | 2010 | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | |
|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
| UE | 10,6% | 10,9% | 10,3% | 10,3% | 10,2% | 10,1% | 10,2% | 10,9% | 10,5% | 10,0% | 10,0% |
| Allemagne | 8,2% | 8,1% | 7,8% | 7,8% | 7,8% | 7,9% | 8,1% | 8,6% | 8,4% | 8,1% | 8,1% |
| Espagne | 9,8% | 11,6% | 11,0% | 10,8% | 10,6% | 10,5% | 10,7% | 12,5% | 12,0% | 11,2% | 10,9% |
| France | 12,9% | 13,0% | 12,8% | 12,7% | 12,7% | 12,5% | 12,4% | 13,3% | 12,6% | 12,5% | 12,3% |
| Italie | 10,6% | 10,8% | 9,9% | 9,8% | 9,7% | 9,7% | 9,6% | 10,5% | 9,9% | 9,2% | 8,8% |
| Pays-Bas | 8,9% | 9,3% | 8,6% | 8,5% | 8,4% | 8,3% | 8,3% | 8,9% | 8,5% | 8,3% | 8,3% |
| Pologne | 10,9% | 11,2% | 10,3% | 10,4% | 10,2% | 10,0% | 10,2% | 10,7% | 10,3% | 9,7% | 10,3% |
Le poids de ces dépenses est plus élevé de 2,3 points de PIB en France, par rapport à la moyenne des 27 pays membres de l’UE. Depuis 2005, ce poids a diminué de 0,6 point de PIB en France, comme dans l’UE. L’écart entre la France et la moyenne de l’UE n’a donc pas varié.
Par rapport à l’Allemagne, l’excédent de dépenses de personnel des administrations publiques françaises était de 4,7 points de PIB en 2005. Il s’était réduit à 4,2 points en 2023. Pour près de la moitié, cet écart résulte d’une différence de traitement comptable des dépenses de personnel. En Allemagne, les hôpitaux, même publics, sont classés dans le secteur des entreprises non financières (privées). Leurs dépenses de personnel ne sont pas comptabilisées parmi les dépenses de personnel des administrations publiques, mais payées par ces dernières sous la forme de paiements de prestations de services. Cela se traduit par une sous-évaluation de la part des dépenses de personnel des administrations publiques dans le PIB allemand. Cette sous-évaluation était estimée en 2017 à environ deux points de PIB1, chiffre qui demeure valable aujourd’hui.
La même différence de méthode affecte également la comparaison entre la France et les Pays-Bas. Comme en Allemagne, les dépenses de personnel des hôpitaux publics -ou financés sur fonds publics- de ce pays ne sont pas comptabilisées comme des dépenses publiques de personnel. Et comme pour l’Allemagne, cela suffit à expliquer environ la moitié de l’écart apparent (quatre points de PIB) entre les dépenses publiques de personnel de la France et celles des Pays-Bas.
Si l’on corrigeait cette différence de méthode comptable, l’écart des poids relatifs des dépenses publiques de personnel entre la France et ces deux pays diminuerait d’environ deux points de PIB pour se réduire à environ deux points. Compte tenu du poids de l’Allemagne et des Pays-Bas au sein de l’UE (30,5 % du PIB total en 2023), cela se traduirait par une hausse d’environ 0,7 point de PIB de la part de ces dépenses dans toute l’Union, réduisant à 1,6 point l’écart entre la France et la moyenne européenne.
Au plus, les dépenses de personnel du secteur public ne sont susceptibles d’expliquer qu’environ 20 à 25 % de l’écart total du poids des dépenses publiques dans le PIB avec l’UE ou avec l’Allemagne.
Ce n’est évidemment pas négligeable, surtout dans les activités productrices de services publics, plutôt que dans celles où l’administration se borne à redistribuer des sommes monétaires (subventions, prestations sociales). Pour expliquer plus finement cet écart, plusieurs causes sont à envisager : la quantité d’heures travaillées des personnels publics serait plus faible en France en raison des règles statutaires ou contractuelles, ou du fait d’un absentéisme plus élevé ; l’organisation des services publics français serait moins performante ; les normes qu’ils sont chargés d’appliquer seraient plus nombreuses et plus complexes ; leurs compétences, leurs objectifs et leurs tâches seraient plus étendus qu’ailleurs ; les avantages de retraite, tels que les règles de départ anticipé des agents publics dits « actifs », seraient plus généreux. Tous ces éléments sont susceptibles d’entraîner un surcroît de dépenses publiques de personnel.
Quelles qu’en soient les causes, toutefois, ce surcroît ne peut pas, et de loin, expliquer la totalité de l’écart du poids des dépenses publiques entre la France et ses partenaires européens. Pour analyser cet écart de façon complète et convaincante, et donc poser un diagnostic correct, indispensable pour prescrire ensuite d’éventuels remèdes, il faut se tourner vers d’autres pistes. L’analyse fonctionnelle des dépenses publiques est un moyen d’y parvenir, comme nous le verrons bientôt dans un prochain article.
- Marie Aouriri, Héloïse Tournoux, « France-Germany : a lucid comparison of public sector payroll », Banque de France, 17 octobre 2017. ↩︎
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