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Minima de branche : vers une spirale prix-salaires ou un écrasement croissant de la grille ?

par Bertrand Nouel
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La spirale prix-salaires tant crainte ne s’est pas (encore) manifestée. En effet, si l’inflation s’est quant à elle fortement manifestée, c’est en raison de causes essentiellement conjoncturelles. Les salaires – mis à part le Smic – n’ont pas suivi le même rythme, et les prix sont apparemment en train de se calmer. Mais l’indexation du Smic met les entreprises en difficulté car leurs minima de branche ont beaucoup de mal à suivre le rythme effréné des augmentations de ce Smic (un total de 7 augmentations pour + 13,5% sur deux ans). Et la CFDT entend bien profiter des prochaines négociations avec l’État pour demander que des sanctions soient prises contre les entreprises des branches qui n’augmenteraient leurs minima au niveau du Smic comme elles en ont l’obligation. Avec le risque que la presque totalité des salaires devienne sujet à l’indexation sur l’inflation, qu’une spirale s’engage cette fois – ou qu’augmente encore l’écrasement de la grille des salaires.

Les minima de branche

La plupart des entreprises, surtout les plus grandes, est tenue de respecter la grille des salaires négociée par la branche professionnelle à laquelle elles appartiennent, soit que la convention collective ait été étendue par arrêté, soit qu’elles adhèrent à une organisation patronale signataire, soit encore qu’elle soit applicable volontairement. En ce qui concerne les rémunérations minimales de la grille des salaires de chaque convention collective, les branches ont l’obligation de négocier entre syndicats et patrons pour porter ces rémunérations au niveau du Smic, qui est indexé légalement, et ce dans un délai de 45 jours.
Mais ce délai n’est très souvent pas respecté, d’autant moins qu’il n’est pas sanctionné. En 2022, le gouvernement a menacé les branches qui ne respectaient pas cette obligation de les fusionner avec les branches qui la respectaient. Cette menace n’est toutefois pas efficace, car très difficilement applicable, notamment lorsque les activités respectives des branches n’ont aucun lien entre elles.

Les évolutions récentes du Smic

Depuis le retour en force de l’inflation, cet écart non régularisé entre les minima de branche et le Smic est devenu insupportable. En effet, le Smic a connu des très fortes hausses en raison de l’indexation automatique sur les prix prévue par la loi. Entre fin 2020 et mi-2023 (1er mai), le Smic a connu pas moins de 7 augmentations, qui ont porté le Smic brut (qui est une notion horaire en France) de 10,15 à 11,52 euros, soit une hausse de 13,5%, soit encore pour 151,66 heures par mois, 1.747 euros en brut et 1.383 en net. Les salaires des entreprises n’ont, quant à eux, augmenté en moyenne que de 4,5%.
Le résultat, c’est que la plupart des branches, il en existe encore plusieurs centaines, a conservé des minima inférieurs, souvent de beaucoup, au Smic. En 2022, la CGT assurait que les trois quarts des 171 branches de plus de 5.000 salariés avaient des minima inférieurs au Smic, le gouvernement évoquant plutôt une proportion de moitié. Après la dernière augmentation du 1er mai, on entend même parler de 150 branches sur 171. La branche du caoutchouc est souvent citée, car jusqu’à 11 échelons de la grille des salaires seraient rémunérés en-dessous du Smic actuel, et le salaire minimal net mensuel que mentionne la convention collective indique le chiffre de 1.610 euros, soit 8,5% en-dessous du Smic (1.747 euros).

Les exigences des syndicats

Bien entendu, les salariés au niveau du Smic ne subissent aucun désavantage de cette situation car ils sont assurés d’être rémunérés au niveau légal. Ce qui se fait notamment par l’attribution de primes plus ou moins exceptionnelles. C’est au-dessus du Smic que le problème se pose, puisque la grille des salaires devient applicable. Autrement dit, dans le cas de la branche caoutchouc, les salariés des 11 premiers échelons pourraient voir leur rémunération, au moins en théorie, bloqués au niveau du Smic du moment.
Cette situation n’est pas nouvelle, non plus que les récriminations des syndicats. En 2021, la CFDT s’en inquiétait, alors que l’inflation n’était pas encore au rendez-vous. Mais la situation a évidemment empiré depuis. On a indiqué plus haut les déclarations de la CGT. À la CFDT, Laurent Berger vient de prévenir le gouvernement que la confédération n’irait pas au rendez-vous fixé par le gouvernement sans obtenir des résultats concrets, notamment sur le point des salaires et du respect de l’obligation d’adapter les minima de branche au Smic. Sa proposition est d’adopter une sanction absolument radicale, à savoir la suppression des aides publiques – ce qui vise les exonérations de charges sociales pour les salaires au Smic et dégressives entre 1,5 et jusqu’à 2,4 Smic.

Les conséquences

L’exigence de sanction portant sur la suppression des aides sociales pour les entreprises émise par Laurent Berger est évidemment impensable, et se traduirait par une hausse considérable du coût du travail pour les bas salaires.
En revanche, le problème de l’adaptation des grilles conventionnelles est ardu. Car la France a pour originalité de prévoir légalement une indexation des salaires sur les prix au niveau du seul Smic. Depuis les réformes du tournant de la rigueur en 1983, en effet, l’indexation de l’ensemble des salaires a été abandonnée afin de maintenir la compétitivité des entreprises. Et depuis cette époque l’écart des rémunérations de l’échelle des salaires a fortement diminué jusqu’à ce que le Smic vienne à représenter environ 62% du salaire médian, rapport extrêmement élevé, créant ce qu’il est convenu d’appeler une trappe à bas salaires. Donc que se passera-t-il ?

-Soit l’ensemble des échelons de la grille font l’objet d’une même hausse, pour conserver les mêmes écarts. Dans ce cas le résultat sera une indexation générale de tous les salaires – avec une hausse jusqu’à 13,5% alors qu’elle n’a été en moyenne que de 4,5%. Ce retour à la situation antérieure à 1983 est évidemment impensable, d’autant plus que le système des cotisations sociales fait déjà peser leur charge beaucoup plus lourdement sur les hauts salaires. Le système de sécurité sociale récupérerait éventuellement sur les hauts salaires la perte de cotisations qu’il subirait au niveau des salaires compris entre 1 et 2,4 Smic (en raison de la hausse du nombre de salaires bénéficiant des exonérations), mais cela aurait un effet catastrophique sur l’emploi des entreprises et leur compétitivité. Et le risque d’entrer dans la spirale prix/salaires augmenterait alors considérablement.

-Soit à partir d’un certain niveau de l’échelle, à négocier entre les partenaires sociaux, la hausse des salaires ne suivrait plus l’inflation, ou la suivrait de façon dégressive, et on assisterait à un écrasement de la hiérarchie des salaires, encore plus fort qu’à l’heure actuelle, et au renforcement de la trappe à bas salaires et corrélativement à une démotivation des titulaires de hauts salaires.

Que faire ?

+Secteur public+

La prochaine réunion syndicats/gouvernement aura lieu le 12 juin sur le sujet de la revalorisation des salaires des 5,7 millions de fonctionnaires et agents publics et sera menée par Stanislas Guerini, ministre de la Fonction publique. Il semble que, face aux revendications syndicales, le gouvernement ait prévenu qu’il n’entend pas proposer une hausse uniforme en pourcentage, mais qu’il s’en tienne à une hausse ciblée sur les bas salaires. On se trouverait dans la seconde hypothèse évoquée ci-dessus, avec un nouvel écrasement de grille des salaires publics. Selon les syndicats, un salarié du public sur cinq serait payé au niveau minimum (équivalent au Smic), et en l’état, selon les syndicats, un nouvel embauché en catégorie C passera ses douze premières années au salaire minimum, tandis que la rémunération minimale des catégories B est de nouveau dépassée, engendrant trois ans de blocage. Cette situation est évidemment très préoccupante et à la limite du supportable.

+Secteur privé+

Le problème est fondamentalement le même, excepté que les minima des branches professionnelles paraissent plus éloignés du Smic que dans le secteur public, et que le gouvernement peut être tenté d’imposer des sanctions plus efficaces que celles existantes, comme nous l’avons vu ci-dessus. À noter que les sanctions demandées par la CFDT ne concerneraient que les agents publics soumis au régime général de sécurité sociale.
Il est très probable que le secteur privé suivra la même solution que le secteur public, en limitant la hausse des salaires au niveau du Smic ou à son voisinage. Donc là aussi écrasement de la grille des salaires, écrasement qui va devenir là aussi insupportable. La situation est à relier à la spécificité française consistant à faire peser sur les hauts salaires mais aussi les moyens salaires la charge des cotisations sociales patronales dont le Smic en totalité et une partie des bas salaires sont exonérés. On sait que les hauts salaires supportent des cotisations patronales extrêmement élevées, au point que le super brut est égal à environ 150% du brut. Il y a donc un sérieux problème dû à la conjonction de l’indexation du Smic et de la spécificité du barème des cotisations patronales.


Qu’en est-il en Europe ?
La question du Smic n’est pas spécifique à la France. En effet, les pays proches comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Espagne sont actuellement engagés dans un processus de revalorisation très rapide du salaire minimum. Selon l’OCDE, en 2005 le Smic se situait à 57% du salaire médian pendant qu’il était à 37% en Espagne et à 45% au Royaume-Uni, tandis qu’il n’existait pas encore en Allemagne ! En 2021 (avant la période d’inflation), il a baissé en France jusqu’aux alentours de 61%, mais les chiffres sont maintenant de 48% en Espagne, 57% au Royaume-Uni et 51% en Allemagne.
Le salaire minimum croît à grande vitesse dans ces pays : 12 euros de l’heure en Allemagne depuis octobre 2022 (soit une augmentation de plus de 2 euros en quelques mois), ce qui a fait passer le rapport salaire minimum/salaire médian à 62%, 10,42£ au Royaume-Uni depuis mars 2023 (actuellement 12 euros), avec promesse du Premier ministre précédent de passer à un rapport de 66% en 2024, et l’Espagne a promis elle aussi de passer à un rapport de 60% l’année prochaine. Le Smic français (horaire, attention !) est maintenant inférieur, à 11,52 euros. Les comparaisons ne sont toutefois pas significatives car le salaire minimum comprend de nombreuses exceptions en Allemagne, il est dégressif selon l’âge au RU, où les aides sociales ont diminué en contrepartie et les cotisations sont très inférieures… Néanmoins, il y a là une tendance générale impressionnante qui inquiète fortement les patronats dans ces pays.

 

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