Les industriels se plaignent depuis très longtemps du coût trop élevé du travail dans notre pays, et l’on constate, effectivement, que l’industrie française a très mal résisté à l’ouverture des frontières qu’a exigé notre entrée dans la mondialisation. Notre secteur industriel s’est considérablement affaibli, et il n’intervient plus aujourd’hui que pour 10 % seulement dans la formation du PIB, alors que la norme européenne se situe à 20 %. Et plusieurs pays, en Europe, ont en ce domaine un ratio bien plus élevé, l’Allemagne et la Suisse notamment.
Une des raisons avancées pour expliquer l’effondrement de notre secteur industriel se trouverait constituée par le coût anormalement élevé du travail en France, un handicap sérieux, certes, mais qui n’explique pas tout.
Au moment où Emmanuel Macron se propose d’alourdir encore plus le coût du travail dans notre pays avec son projet de loi sur le forfait mobilité dit « Loi d’orientation des mobilités » (LOM), il est utile d’examiner comment se situe la France en matière de coût du travail par rapport aux autres pays. Le coût du travail est-il donc réellement trop élevé, en France, comme l’indiquent en permanence les instances patronales, et dans quelle proportion ? La question se pose donc de déterminer sur quels éléments il convient de se fonder pour porter un jugement objectif sur le coût du travail dans un pays. Les différences, dans le monde, sont considérables : différences d’abord entre les pays sous-développés et les pays développées, et différences aussi entre les pays développés eux-mêmes. En Europe, par exemple, le coût horaire du travail s’échelonne entre 9,0 € dans un pays comme la Hongrie et une cinquantaine d’euros dans les pays du Nord, la Norvège en étant même à 55,8 € de coût horaire.
On ne peut pas, en examinant tous ces chiffres, s’empêcher de faire une relation entre le niveau de développement et de prospérité économique des pays et le coût du travail qui y est pratiqué. C’est le faible coût du travail qui a permis à la Chine, pays qui a eu l’intelligence d’attirer une masse phénoménale d’investissements étrangers chez lui pour combler son retard technologique, de démarrer, et de se développer très rapidement : mais, là, comme partout ailleurs, à mesure que le pays s’est développé, le coût du travail a très vite grimpé. Entre 2002 et 2011, par exemple, le coût du travail en Chine s’est trouvé multiplié par 4,5, et il a continué à croître, ensuite, en sorte que bien des industriels chinois ont sont venus, ces toutes dernières années, à délocaliser leurs fabrications dans des pays moins développés où la main d’œuvre est bon marché, l’Inde et le Vietnam notamment. En 2010, alors que le coût horaire du travail en Chine s’élevait à 1,79 €, il était de 0,70 € en Inde et de seulement 0,47 € au Vietnam. En Europe, avec l’entrée des PECO dans l’UE, l’Allemagne a largement développé sa sous-traitance de façonnage dans ces pays pour abaisser ses propres coûts de fabrication, ces nouveaux entrants dans l’UE, tout proches d’elle géographiquement, disposant de coûts horaires particulièrement avantageux.
La corrélation existant entre les PIB/tête des pays et les coûts du travail qui y sont pratiqués n’est jamais mise en évidence dans les travaux portant sur les coûts horaires du travail : on s’en réfère, habituellement, en France, dans les débats sur le coût du travail, à notre principal partenaire en Europe, l’Allemagne, en omettant de prendre en compte le fait que notre PIB/tête est inférieur à celui de notre voisin. On se rassure, finalement, en disant que les coûts horaires dans les deux pays ne sont pas très différents : 37,2 € dans le cas de la France, et 36,0 € dans celui de l’Allemagne, selon les dernières enquêtes d’Eurostat. Mais le PIB/tête des Allemands est de 44.665 US$, alors que le nôtre est de seulement 38.484 US$, soit un écart de 16 %. Nous avons donc un coût horaire moyen du travail supérieur à celui des Allemands, tout en ayant un PIB/tête bien inférieur : il y a là une anomalie inquiétante, mais, curieusement, elle n’est jamais mentionnée.
Il faut bien voir que tout le XXe siècle a été marqué, dans notre pays, par des luttes syndicales incessantes, la charte d’Amiens votée au Congrès de la CGT en 1906 ayant constitué l’ADN du syndicalisme en France. Cette charte, il faut le rappeler, prônait une transformation de la société par « l’expropriation capitaliste », et ce, en toute indépendance des partis politiques, et elle recommandait comme moyen d’action la « grève générale ». Sous la pression des syndicats, les salaires et les avantages sociaux se sont ainsi accrus, sans cesse, d’année en année, au point que le coût du travail est devenu sans que l’on s’en aperçoive, peu à peu un frein réel pour le développement de notre économie.
Nous allons voir qu’il est possible, par une approche économétrique simple, de trancher d’une façon indiscutable les conflits qui portent dans notre pays sur le coût du travail, en entendant par « coût du travail » le salaire et toutes les charges sociales et fiscales qui l’accompagnent. Les coûts du travail variant énormément d’un pays à l’autre, selon leur niveau de développement et de richesse, on peut aisément comprendre qu’il existe une relation forte, sur le plan international, entre les coûts horaires du travail dans les pays et la richesse de ces pays, celle-ci étant mesurée, comme à l’habitude, par les PIB/tête.
Le graphique ci dessous montre la corrélation existant entre ces deux variables, les données utilisées résultant des enquêtes harmonisées ECMO (Enquêtes Coût Main d’Ouvre) d’Eurostat pour 2017, complétées par les chiffres fournis par diverses revues pour les pays hors d’Europe .
La France, avec un coût horaire moyen du travail de 37,2 € en 2017, se situe très au dessus de la droite de corrélation. L’Allemagne, avec 36,0 €, se trouve très légèrement au-dessus, et la Grande-Bretagne, avec 26,8 €, est, au contraire, sensiblement en dessous. La corrélation présente un degré de confiance très élevé, et l’on peut donc s’y fier. On voit que notre pays se distingue tout particulièrement : dans cette corrélation, il se trouve être le pays le plus éloigné de « la norme », la plupart des autres pays se trouvant tout à fait conformes au modèle ainsi mis en évidence.
Avec l’équation de la droite qui exprime cette corrélation on peut chiffrer qu’avec un PIB/tête de 38.484 US$ le coût horaire du travail dans notre pays aurait dû être en 2017 de seulement 32,69 €. Cette approche, que l’on doit considérer comme tout à fait valable statistiquement, donne donc la réponse aux controverses qui animent sans cesse dans notre pays les débats sur le coût du travail : celui-ci est, manifestement, trop élevé de 12,12 %.
Un coût du travail par trop élevé nuit au bon fonctionnement de la machine économique d’un pays, et la France est, précisément, un pays qui a été dans son histoire particulièrement affecté par ce phénomène. C’est, de longue date, un pays où les luttes syndicales ont été très actives, et la révolte des gilets jaunes qui s’est déclenchée en novembre dernier est, une fois de plus, la manifestation du caractère fortement revendicatif des classes populaires dans notre pays. Elles revendiquent toujours plus de pouvoir d’achat et d’avantages divers, dont des congés de plus en plus longs et des durées de travail de plus en plus courtes. Les gilets jaunes se plaignent de ce que leurs salaires ne leur permettent pas de boucler leurs fins de mois, et ils manifestent avec violence, tous les samedis, dans le pays pour que leurs demandes soient prises en considération par le gouvernement. Ils n’ont pas réalisé que la France est un pays qui n’a pas la même richesse économique que bon nombre d’autres pays en Europe, et le niveau de vie des salariés, nécessairement, s’en ressent.
Avec le vent de révolte qui souffle dans notre pays il ne sera évidemment pas possible de baisser les coûts horaires du travail de 12 %, comme il conviendrait de le faire pour la bonne marche de notre économie. Ce serait redonner du dynamisme à notre économie, la compétitivité des entreprises se trouvant renforcée.
Il faudra donc veiller, pour le moins, à ne pas augmenter, dans les années qui viennent, le coût du travail dans notre pays, en attendant pour le faire que notre économie se développe suffisamment pour atteindre un niveau de PIB/tête qui serait sensiblement celui de la Suède aujourd’hui, un pays qui en est à 52.253 US$ par habitant. Il faudra, pour cela, au moins une génération, et les gilets jaunes devront donc patienter pour voir leur sort s’améliorer.
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Coût du travail en France
Intéressante analyse.
Mais un peu sommaire : il faut se méfier des explications mono-factorielles. On pourrait tout aussi bien analyser les relations entre coût moyen du salaire horaire et productivité moyenne de l’heure de travail.
Quelques données fournies par l’OCDE pour l’année 2017 (PIB par heure travaillée en $ US 2010 à prix constants et parité de pouvoir d’achat).
UE 48,2 Zone euro 53,5 France 59,8 Allemagne 60,5 GB 53,5 Belgique 64,8
Italie 47,8 Japon 41,9, etc.
Je vous laisse le soin d’en faire l’analyse économique.
Il faut se garder de conclusions définitives à partir d’analyses très partielles.