Page d'accueil Études et analyses Et si la cogestion à l’allemande était la concession à faire aux syndicats pour une vraie réforme du code du travail ?

Et si la cogestion à l’allemande était la concession à faire aux syndicats pour une vraie réforme du code du travail ?

par Claude Sicard
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François Fillon tout comme Emmanuel Macron qui pourrait être demain son principal concurrent, se proposent dans leurs programmes présidentiels de redynamiser fortement notre économie. Il faudra pour cela, si l’on reste en économie libérale, réformer très profondément notre code du travail. Les syndicats, et tout particulièrement bien sûr la CGT, mèneront une lutte sans merci pour que l’on ne revienne pas sur les avantages acquis. Déjà le leader de la CGT, Philippe Martinez, a promis de « mobiliser » si le projet Fillon devait voir le jour. Et même la CFDT a qualifié ce projet de « très inquiétant ». Il faudra donc que, tant François Fillon qu’Emmanuel Macron si c’était lui qui devait in fine être opposé au candidat LR, fassent d’énormes concessions aux syndicats. Nous expliquons dans cet article que la véritable concession à proposer ne peut être que la cogestion à l’allemande.

La France est un pays particulier, en Europe, un pays où la doctrine marxiste a fortement imprégné les esprits. Le marxisme est venu fournir un cadre de pensée très structuré aux héritiers de la Révolution française, cette révolution qui a mis à bas les deux ordres dirigeants qui bénéficiaient de privilèges exorbitants. On s’en souvient, Karl Marx dans son fameux Manifeste a montré que l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que celle de la lutte des classes. Cette pensée marxiste a profondément marqué la classe ouvrière française ainsi que tout le syndicalisme français. La Charte d’Amiens est restée l’ADN du syndicalisme français, contrairement à ce qui s’est produit chez nos voisins où le monde syndical et le parti socialiste se sont alliés, non pas pour faire une révolution, mais simplement pour défendre ensemble les intérêts de la classe ouvrière. La Charte d’Amiens prône l’expropriation capitaliste, indiquant dans son article 2 que son objectif est « la lutte à mener pour la disparition du capitalisme ». Les organisations syndicales françaises, à l’exception à présent de la CFDT, en sont ainsi restées à une culture de conflit.

La nécessaire réforme du code du travail, pour dynamiser notre économie

Dans les débats qui s’ouvrent pour la présidentielle de mai 2017, les programmes tant des candidats de la gauche dite « moderne » que de la droite libérale, prévoient une refonte plus ou moins profonde de notre code du travail. La gauche sociale démocrate admet aujourd’hui que ce sont, dans une société moderne, les entreprises qui créent de l’emploi, et elle convient que le code français du travail est beaucoup trop rigide. Ce code est né au fil des années de la nécessité qu’a éprouvée la puissance publique d’intervenir dans les conflits existant entre le monde du travail et celui des patrons, pour fixer en détail les règles de fonctionnement des entreprises en matière d’organisation du travail. L’État s’est ainsi fait le troisième acteur du dialogue social en France, et il a fixé finalement par toute une série de lois et de décrets les rapports entre les salariés et les dirigeants des entreprises, ce qui a donné un code monstrueux de plus de 3.500 pages, qui s’alourdit d’année en année. Il est donc temps d’alléger ce code afin que les entreprises puissent se remettre à recruter et à se développer. Chacun a pris conscience qu’il est urgent de le faire.

Dans ce contexte, on voit se profiler pour les prochaines présidentielles plusieurs candidats qui auront à s’affronter, un de droite déjà choisi avec un programme que tous les observateurs qualifient d’ultra-libéral, l’autre qui sera issu de la primaire de la gauche qui aura lieu en janvier prochain, et, entre les deux Emmanuel Macron, candidat inattendu et surprenant qui sort à présent de l’ombre et commence à faire campagne en se revendiquant ouvertement de la gauche. Et il s’y rajoute la candidate du Front national dont on ne connaît pas encore exactement le programme en matière économique.

Il s’agit de « faire gagner notre pays »

Emmanuel Macron, avec le succès qu’il a remporté dans son premier grand meeting à la porte de Versailles, à Paris, apparaît aujourd’hui comme un très sérieux concurrent pour François Fillon, le candidat qui a triomphé haut la main dans la primaire de la droite. Tous deux ont le même objectif : « Faire de la France la première puissance économique européenne en l’espace de dix ans », pour François Fillon, et « Faire entrer la France dans le XXIème siècle » et, ainsi, « Faire gagner notre pays », pour Emmanuel Macron. Et tous deux ont le même slogan : « Le candidat du travail » pour Emmanuel Macron, et « L’emploi est la mère de toutes les batailles » pour François Fillon. Ils se proposent, l’un et l’autre, de réformer de fond en comble notre code du travail pour que la France en revienne au plus vite au plein emploi. Mais les détails du programme d’Emmanuel Macron ne sont pas encore vraiment connus. Ce candidat, néanmoins, a déclaré vouloir permettre aux entreprises de fixer librement avec leurs employés la durée hebdomadaire du travail, tout en conservant la loi des 35 heures, cette butée servant au déclenchement des heures supplémentaires. Il a insisté, dans son premier grand meeting, sur le devoir qu’a l’État de former les personnes en situation de chômage, pendant une durée de trois ans s’il le faut, en échange de quoi les intéressés auront l’obligation d’accepter le travail qui leur sera proposé. Il ne sera donc plus possible à un chômeur indemnisé de refuser une offre d’emploi comme cela se fait trop souvent aujourd’hui avec Pôle Emploi.

Le programme économique de François Fillon

Le candidat officiel de la droite a détaillé et chiffré son programme. Il s’emploiera à faire prévaloir, comme par exemple en Suisse ou en Allemagne, les procédures de dialogue sur des dispositions législatives rigides et inadaptées aux besoins d’un monde qui bouge, et il ne cache pas qu’il souhaite rompre le monopole des syndicats. Il se propose, tâche extrêmement délicate dans notre pays où les syndicats s’emploient en permanence à défendre les avantages acquis, de réformer complètement notre code du travail en y introduisant beaucoup plus de flexibilité. François Fillon abandonnerait les 35 heures, laissant les entreprises fixer librement avec leurs salariés la durée hebdomadaire du travail, et il mettrait en place un contrat de travail unique à droits progressifs, contrat où les motifs de rupture seront prédéfinis. Et il rajouterait dans les causes légales de licenciement un nouveau motif : le besoin de réorganisation de l’entreprise afin de permettre aux chefs d’entreprise de réagir rapidement face à la concurrence. Une grande avancée, donc, pour améliorer la compétitivité de nos entreprises. Le programme de François Fillon prévoit également un recul de l’âge de la retraite à 65 ans, et un plafonnement des allocations de chômage à 75 %, avec la mise en place d’un système dégressif, deux avancées courageuses et nécessaires, mais qui seront difficiles à mettre en œuvre vu la sociologie des couches laborieuses du pays.

Ces deux candidats à la présidentielle que sont Emmanuel Macron et François Fillon vont donc proposer à leurs électeurs des solutions relevant de l’économie libérale, le programme de François Fillon étant sans conteste le plus libéral des deux. Et si c’était la ligne Valls qui devait l’emporter à la primaire de la gauche, on aurait affaire avec ce candidat à un programme économique social-démocrate, voire, nous disent certains, social-libéral.

Le danger de blocage des syndicats

Les programmes à caractère libéral, destinés à relancer notre machine économique, amèneront nécessairement des modifications très profondes de notre droit du travail. Elles seraient l’expression d’un type nouveau de société où l’on laisserait les entreprises et leurs salariés fixer librement, comme cela se fait un peu partout ailleurs, par le dialogue, les modes de fonctionnement des entreprises. De telles réformes ne manqueraient pas d’entraîner des troubles sociaux importants lorsque le candidat élu aura à exercer le pouvoir. On ne sait pas encore aujourd’hui comment Emmanuel Macron sera réellement perçu par les électeurs. Tout va dépendre du programme qu’il va proposer et de la façon dont les médias, qui aujourd’hui font l’opinion, accueilleront celui-ci. On ne doute pas qu’Emmanuel Macron ne manquera pas de rappeler en permanence qu’il est fidèle aux valeurs de la gauche, une « gauche du réel », dit-il, c’est-à-dire une gauche moderne.

Dans le cas de François Fillon, il n’y a aucune hésitation possible : il s’agit bien d’un candidat d’une droite libérale, un candidat se revendiquant comme catholique, pleinement soutenu donc par cet électorat, mais un électorat qui n’est plus majoritaire en France. S’agissant d’un homme de droite, et de surcroît catholique pratiquant, compte tenu de la sociologie française encore fortement imprégnée de pensée marxiste, on doit craindre que l’application de son programme conduise à des épreuves de force d’une grande violence et de durée indéfinie. On n’est plus au temps où l’on demandait à l’armée de tirer sur les grévistes. Aussi Jean-Claude Mailly, Secrétaire général de FO prédit-il dans le JDD du 18 décembre dernier qu’il y aura « un effet boomerang » : le pays pourrait se trouver bloqué dangereusement pendant de longues périodes. François Fillon compte sur le fait que son programme ayant été dévoilé en détail aux électeurs pendant sa campagne électorale, comme il a pris la précaution de le faire, il se trouvera légitimement en droit de l’appliquer intégralement, et avec vigueur. Son élection au suffrage universel tiendra lieu, en somme, de référendum. Il s’en remettra donc aux vertus démocratiques de ses concitoyens, la loi de la démocratie voulant que les choix de la majorité s’imposent à la minorité. Mais faut-il encore que ce principe démocratique soit unanimement partagé, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Les récentes manifestations des brûleurs de pneus et briseurs de vitrines s’opposant à la loi El Khomri l’ont montré, la CGT étant allée jusqu’à bloquer les raffineries pour paralyser le pays afin d’obtenir gain de cause. Et les pouvoirs publics, on le voit bien aujourd’hui, ne savent comment s’y prendre pour déloger les anarchistes qui s’opposent au projet d’un nouvel aéroport sur la ZAD[[« Zone à défendre ».]] de Notre-Dame des Landes, et, ce, malgré un référendum gagné sans contestation possible par les partisans du projet.

La réforme du code du travail sera presque impossible à faire accepter par une grande partie de la population, surtout si – comme ce serait le cas avec François Fillon – elle était doublée d’un recul à 65 ans de l’âge de la retraite et d’une réforme de l’indemnisation du chômage au détriment des salariés. Un sondage fait à propos de la loi El Khomri avait indiqué que la majorité des personnes interrogées avait estimé que ce projet de loi allait trop loin. Et il s’agit dans le programme de François Fillon d’aller beaucoup plus loin encore que la loi El Khomri.

La concession majeure à faire aux syndicats

Il faudrait donc que François Fillon prévoie de faire d’importantes concessions aux syndicats, et c’est cette contrepartie essentielle qui a été omise dans son programme économique et social. Il y a, en effet, en France un syndicalisme d’action directe, à la différence des syndicalismes allemand et scandinaves, et l’on doit tenir compte de cette réalité. Pour ce qui est d’Emmanuel Macron, on ne dispose pas encore d’informations précises sur les concessions qu’il pourrait faire aux syndicats, sinon qu’il a déclaré à Strasbourg qu’il ne voulait pas laisser les individus dans un face à face avec les chefs d’entreprises. Emmanuel Macron étant issu de la gauche, le programme qu’il présentera pourra sans doute être perçu par les catégories populaires comme acceptable.

La contrepartie que le candidat de la droite va devoir accorder au monde des salariés ne peut être que l’imposition aux entreprises françaises du système allemand de la cogestion (Mitbestimmung) des entreprises. Dans ce système, les représentants des salariés et ceux du capital siégent ensemble dans un conseil de surveillance qui contrôle le directoire, les représentants des salariés disposant des mêmes pouvoirs que les représentants des actionnaires dans la conduite des entreprises. Cela change totalement l’atmosphère du dialogue social dans un pays. Ce système fonctionne en Allemagne depuis 1951 et, généralement, les observateurs de la situation économique de l’Allemagne attribuent au système de cogestion la brillante réussite de ce pays.

Il paraîtrait donc urgent que François Fillon, s’il veut se donner les meilleures chances de battre ses concurrents, introduise dans son programme l’obligation de la cogestion à l’Allemande. C’est particulièrement vrai s’il devait être opposé à Emmanuel Macron au second tour, compte tenu de ce que les programmes de ces deux candidats pourraient paraître assez semblables. S’il introduisait cette obligation, les syndicats de salariés n’auraient alors plus aucune raison de continuer à s’ancrer dans une attitude de lutte contre les patrons. En effet, les salariés auraient des représentants participant activement à la direction des entreprises, à égalité avec les représentants des actionnaires. La crainte des salariés d’être « exploités » par les représentants du capital disparaîtrait, ipso facto.

Cet esprit ravageur de lutte des classes qui prévaut par trop encore en France disparaîtrait automatiquement, et ce serait une immense avancée qui serait réalisée ainsi, la France étant le seul pays européen où le dialogue social, jusqu’ici, n’a jamais fonctionné.

 

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2 commentaires

Anonyme janvier 9, 2017 - 2:23 pm

Et si la cogestion à l’allemande était la concession à faire aux syndicats pour une vraie réforme du code du travail ?
Mon cher Bernard,
J’ai lu attentivement votre article sur la « co-gestion » à l’Allemagne.
Il est possible que vous ouvrez une voie importante pour sortir notre « pauvre » pays du marasme dans lequel il s’enfonce depuis pratiquement une quarantaine d’années .
Mais, parce que je vois un Grand « MAIS » à votre proposition, imaginer cette co-gestion avec les principaux syndicats français (déjà la CGT et FO pour ne citer que les plus importants) me semble gravement impossible, si ce n’est dangereux…
La priorité des priorités me semble être de trouver le moyen de faire en sorte de supprimer le monopole syndical au 1er tour des élections professionnelles, en espérant faire ainsi renaître des syndicats « apolitiques » réformateurs , forces de propositions.
Faire siéger dans les conseils des entreprises des représentants des salariés est certainement une proposition intelligente et potentiellement créative, mais pour moi (qui ait eu le « privilège » de travailler pendant près de 40 ans avec les représentants de la CGT, je n’imagine pas d’avoir à « co-gerer » une entreprise avec de tels partenaires.

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JEAN-PIERRE VEROLLET janvier 9, 2017 - 4:12 pm

Et si la cogestion à l’allemande était la concession à faire aux syndicats pour une vraie réforme du code du travail ?
Une preuve de la forte rémanence du langage marxiste en France est l’utilisation fréquente de la courte expression « avantages acquis », y compris ici par vous-mêmes comme par chacun de nous.
Or les « collatéraux » de cette expression mériteraient souvent d’être développés explicitement.
1) Au plan de la façon de les acquérir: par l’affrontement brutal , la lutte des classes, … ou la négociation « paritaire » , le bon sens partagé, ou par effet naturel des progrès technologiques ou autres ou … ?
2) Au détriment de quels intérêts plus vastes ces avantages pour une minorité ont-ils été acquis? Dans le cas de la Fonction Publique ou des Entreprises Publiques, ont-ils été acquis au détriment de la Nation, du Peuple tout entier … , en tout cas pas au détriment des patrons du Privé, des actionnaires ou du « capitalisme »? Dans le cas du Privé, l’équilibre donnant/donnant peut souvent avoir été respecté car les partenaires sont représentés à la table de négociation à moins que l’Etat ne s’invite et prenne partie pour les uns ou les autres sous prétexte de l’introuvable (par les négociateurs locaux) intérêt général. Dans le cas des Elus, …
Tous mes voeux de bonne santé et de réussite

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