Pourquoi l’économie française est-elle en panne ? Et quelle principale solution instaurer ?
Tous les indicateurs de l’activité économique du pays nous indiquent que notre économie peine à fonctionner au rythme des autres pays européens, et tout particulièrement des pays les plus dynamiques. Le taux moyen de croissance du PIB est constamment plus faible que celui de nos voisins : 1,2 % par exemple en 2016 contre 1,8 % pour l’Union européenne à 15, et 2,0% en 2017 contre 2,5 % pour l’ensemble de nos partenaires de la zone euro. Le revenu par tête, estimé en parité de pouvoir d’achat comme le fait la BIRD[[Banque internationale pour la reconstruction et le développement, une organisation de la Banque mondiale.]], a cru en France de 28% seulement entre 1990 et 2016, alors que la progression a été de 54% dans l’ensemble des pays de l’Union européenne.
Et surtout notre pays ne parvient pas à résoudre ses problèmes de chômage : le taux de chômage se maintient depuis de très nombreuses années à un niveau très élevé, aux alentours de 10%, alors que, dans tout pays ayant une économie qui fonctionne à plein régime, il est de l’ordre de 3,5% à 4% tout au plus. Et tous les clignotants, à présent, sont au rouge : la dette publique qui s’est régulièrement accrue, d’année en année, se monte à présent à 98% du PIB, alors qu’en Allemagne, on en est à 75%, et aux Pays-Bas à seulement 69%.
La balance de notre commerce extérieur est devenue très fortement déficitaire, atteignant maintenant le chiffre de 62 milliards d’euros, en sorte que notre pays ne gagne pas toutes les devises dont il a besoin pour payer ses importations, un phénomène qui est masqué par notre appartenance à la zone euro. Et l’État ne parvient pas à équilibrer ses comptes, les gouvernements successifs se faisant chaque année tancer par les autorités de Bruxelles qui exigent que les déficits publics soient maintenus sous la barre des 3% du PIB, conformément aux accords européens.
Les économistes s’entendent sur les constats, mais ils ne s’accordent pas sur les causes du mal dont souffre l’économie française. Ils incriminent, généralement, la très lourde fiscalité française, une fiscalité qui plombe le dynamisme des acteurs économiques. L’État, en effet, veut que notre pays, malgré ses difficultés économiques, conserve des niveaux de vie « sociaux » élevés. Les dépenses de santé par habitant, par exemple, sont supérieures à ce que permet normalement le niveau de développement économique du pays : elles se montent en moyenne à 4.959 euros par personne, alors que si l’on se réfère à la droite de régression qui lie les dépenses de santé par habitant au revenu per capita dans les principaux pays du monde, on devrait se situer à 4.400 euros, soit des dépenses excessives de santé, en France, de l’ordre de 36 milliards d’euros chaque année.
On note que les dépenses sociales, dans notre pays, sont extrêmement importantes : elles représentent 31,5% du PIB, ce qui est énorme, notre pays se situant au tout premier rang dans le monde en ce domaine. L’Allemagne en est à 25%, et la moyenne des pays de l’OCDE se situe à 21%.
Prélèvements obligatoires : chaque année, une différence de 160 milliards d’euros avec la moyenne de l’UE !
Autre élément préoccupant du diagnostic : le pays est suradministré. Plusieurs candidats aux dernières élections présidentielles n’ont pas manqué, d’ailleurs, de promettre de s’attaquer à ce problème. François Fillon avait prévu dans son programme 500.000 suppressions de postes, et Emmanuel Macron 120.000. Et l’on se souvient que Nicolas Sarkozy, quand il était aux affaires, avait mentionné le chiffre de 300.000. Cette suradministration du pays engendre des coûts et elle est cause de lourdeurs administratives : trop de réglementations et de contrôles paralysants entravent l’action des chefs d’entreprise.
Toutes ces dérives ont amené les pouvoirs publics à effectuer pour se financer des prélèvements fiscaux croissants sur la collectivité, que les économistes appellent des « prélèvements obligatoires ». En 2016, la France en était, en matière de prélèvements obligatoires, à un taux de 47,6% du PIB, alors que la moyenne de l’Union européenne se situe à 40%. En 1974, il faut le rappeler, il ne s’agissait que de 33% seulement. Le secteur productif n’échappe évidemment pas à cette recherche obstinée de recettes qui est celle des fonctionnaires de Bercy, en sorte que l’Institut Coe-Rexecode a estimé à 71 milliards d’euros l’écart des charges fiscales existant, en 2016, entre les entreprises françaises et leurs homologues allemandes.
On doit donc s’interroger pour savoir si ce sont bien la fiscalité et la lourdeur de l’État qui sont la source du mal dont souffre l’économie française, ou bien s’il en existe d’autres, moins visibles, mais plus déterminantes encore, et si oui, lesquelles ?
C’est précisément le cas, comme nous allons le voir. Le diagnostic qui est généralement fait est incomplet. Les causes du déclin de notre économie sont plus profondes. Ce sont les deux suivantes :
– Un taux d’activité de la population tout à fait insuffisant ;
– Une grave désindustrialisation du pays.
Il s’agit, là, des deux forces motrices qui tirent toute économie vers le haut, des forces qui, dans le cas de la France, se sont considérablement affaiblies.
Un taux d’activité de la population insuffisant
La France se caractérise par un taux anormalement bas de population active, c’est-à-dire de personnes au travail dans la population. Les chiffres sont les suivants :
France | 43,6 % |
Allemagne | 52,4 % |
Pays Bas | 53,3 % |
UE | 47,7 % |
France | 63,0% |
Allemagne | 75,2 % |
Pays Bas | 78,4 % |
UE | 73,4 % |
Les jeunes entrent trop tardivement dans la vie active, et les salariés, en fin de carrière, partent trop tôt à la retraite. Les chiffres sont les suivants :
France | 62 ans |
Allemagne | 65 |
Pays Bas | 65 |
Suède | 67 |
Cette insuffisance de population engagée dans la vie active se trouve aggravée par des durées du travail inférieures, pour les salariés, en France, à ce qu’elles sont dans les autres pays. On a, en effet, selon une étude de Coe-Rexecode portant sur l’année 2015, les chiffres suivants, pour les salariés à temps plein, en Europe :
France | 1.646 h |
Italie | 1.776 h |
Allemagne | 1.845 h |
Grande Bretagne | 1.874 h |
(Source Eurostat) |
Dans cette étude, on notait que la France se classe bonne dernière en Europe.
Se combinent donc un taux relativement bas de population au travail dans la population française, et des durées annuelles de travail plus courtes que dans les autres pays : ces deux éléments constituent un premier handicap pour un bon fonctionnement de notre économie, d’autant qu’en matière de robotisation, la France accuse un réel retard, comme le montrent les chiffres suivants :
Corée | 631 |
Japon | 303 |
Allemagne | 309 |
Suède | 223 |
Italie | 185 |
France | 132 |
(Source : IFR 2016) |
Autre élément négatif à prendre en compte : la forte propension des salariés français à déclencher des grèves pour asseoir leurs revendications :
France | 132 |
Finlande | 71 |
Norvège | 55 |
Allemagne | 15 |
États-Unis | 8 |
(Source : Fondation Hans Böckler) |
Une grave désindustrialisation du pays
Seconde cause de l’atonie de l’économie française : une très grave désindustrialisation du pays. Depuis la fin des trente glorieuses, avec l’entrée de la France dans la mondialisation, l’industrie française s’est trouvée très atteinte, et ses effectifs ont fondu à vive allure. On est passé de 5,9 millions de personnes en 1975 à 2,8 millions en 2016, et le secteur industriel ne contribue plus que pour 11,0 % à la formation du PIB.
Allemagne | 23,0 % |
Italie | 15,8 % |
Espagne | 14,2 % |
France | 11,0 % |
UE (28) | 16,0 % |
ZE | 17,0 % |
En 1995, l’industrie représentait 16,2% du PIB en France. Ce phénomène de désindustrialisation s’est certes produit dans tous les pays développés, mais dans le cas de la France il a été beaucoup plus sévère qu’ailleurs. Les économistes ne s’en sont pas aperçu, et n’ont donc pas tiré la sonnette d’alarme, considérant que c’était, là, un phénomène tout à fait normal, selon la fameuse loi d’évolution des trois secteurs de l’économie qu’a établi l’économiste français Jean Fourastié, dans son fameux ouvrage : «Le grand espoir du XXe siècle » paru en 1949.
Une loi qu’il eût fallu manier avec précaution, car un pays comme l’Allemagne, par exemple, qui en était à 22,9% du PIB en 1995, a toujours un secteur industriel au même niveau. Et il en est de même, sensiblement, en Suisse. Souvent les économistes ont indiqué au gouvernement qu’il n’y avait pas, véritablement, déclin de l’industrie, mettant sur le compte des externalisations de certaines fonctions les réductions d’effectifs constatées : maintenance, comptabilité, gardiennage… Mais ces externalisations de fonctions se sont aussi produites chez nos voisins. Une attention insuffisante a malheureusement été attachée aux comparaisons internationales, des comparaisons, certes, pas toujours aisées du fait de l’imperfection des statistiques existantes.
A quoi est due cette désindustrialisation tout à fait anormale de la France ? A des problèmes de manque de compétitivité, certes, en raison de charges fiscales trop lourdes pesant sur l’appareil de production, mais aussi, et on ne le mentionne pas suffisamment, à la lourdeur du code du travail, un code très contraignant pour les chefs d’entreprise. On a sous-estimé le frein représenté par ce code du travail, un code bien plus contraignant que ceux des autres pays. Cette législation du travail française a empêché les entreprises, et tout particulièrement les petites et moyennes entreprises, de se développer, et elle a rendu très difficile leur adaptation à la concurrence.
Il existe une troisième raison, jamais évoquée : le manque de capacité qu’ont eu bon nombre de chefs d’entreprise, notamment dans les entreprises de taille intermédiaire, à s’adapter au nouveau monde concurrentiel qui se mettait en place, ce que les anglo-saxons ont appelé la « globalization ». Les pays émergents, grâce à la mondialisation qui a joué en leur faveur, ont mis sur le marché un grand nombre de biens produits à bas coûts, et les entreprises des pays développés ont dû s’orienter alors vers des stratégies de différenciation, des stratégies où les firmes ne cherchent plus à battre leurs concurrents par les prix, mais en dotant leur offre d’avantages spécifiques particuliers.
C’est la raison pour laquelle les rapports d’experts parlent, aujourd’hui, du problème pour les entreprises française de la « montée en gamme », terme employé pour parler de ce que, en matière de stratégie d’entreprise, on appelle des stratégies de différenciation. D’une façon générale, il semblerait bien que se soient posés, en France, à bon nombre de nos entreprises, dans le secteur industriel, des problèmes de stratégie, les exemples des échecs des firmes françaises dans les secteurs du machinisme agricole et de la machine-outil étant particulièrement illustratifs. Et il en est bien d’autres.
La Suisse, pays dont l’économie est très prospère, nous paraît être, en matière industrielle, un bon exemple dont il faudrait s’inspirer. Elle est à un taux d’industrialisation d’un peu plus de 20% du PIB. C’est l’objectif, nous semble-t-il, qu’il conviendrait de se fixer pour redresser l’économie française. On aurait alors environ 1,2 million de travailleurs de plus dans le secteur industriel, et, le coefficient d’induction sur le secteur des services étant de l’ordre de 2 à 3, on aurait près de 3 millions d’emplois créés par induction dans le secteur tertiaire, soit, au total, environ 4 millions d’emplois marchands venant enrichir l’économie française. Le problème du chômage se trouverait ipso facto réglé, les comptes de l’État seraient équilibrés, et la balance commerciale du pays serait à nouveau positive. La France aurait ainsi un taux de population active sur la population totale de presque 50%, ce qui serait un ratio normal.
Malheureusement, les économistes ont beaucoup tardé à attirer l’attention des pouvoirs publics sur cette cruciale question de la désindustrialisation de la France. Citons parmi ceux qui ont eu la lucidité de s’attaquer à ces problèmes très tôt, Elie Cohen et Christian Saint-Etienne. Elie Cohen a publié de nombreux ouvrages, notamment, en 1992, « Le Colbertisme high-tech », et, en 2014, « Le décrochage industriel ». De son côté, Christian Saint-Etienne, titulaire de la chaire d’économie industrielle au Conservatoire des Arts et Métiers, n’a cessé, lui aussi, de traiter de ces problèmes dans des articles et ouvrages divers, dont « Relever la France » paru en 2016. Il convient de citer aussi, parmi les observateurs avisés , un grand chef d’entreprise, Jean-Louis Beffa, ancien président de Saint-Gobain, qui dans son courageux ouvrage « La France doit choisir », paru en 2012, a recommandé à nos dirigeants d’en revenir au modèle économique qui avait fait le succès de la période des trente glorieuses, le modèle « industrialo-commercial », où l’État intervient fortement dans l’économie en jouant un rôle de stratège.
Que faut-il faire ?
Il va s’agir de tout mettre en œuvre pour renforcer considérablement, et au plus vite, notre secteur industriel, un secteur qui, de par ses effets induits sur le secteur tertiaire, provoque de nombreuses créations d’emplois, un secteur qui alimenterait à 75% les exportations, et un secteur qui permettrait de consolider/améliorer l’aménagement du territoire. Toutes les mesures de redressement de la France doivent être centrées sur cet objectif, en s’attachant à favoriser avant tout les entreprises naissantes et les PME du secteur industriel qui ont besoin de croître au même rythme que leurs homologues allemandes, suisses, scandinaves, anglaises ou américaines. Depuis quelques années, les mesures prises par le gouvernement vont dans le bon sens : il y a eu la création de ces 71 pôles de compétitivité, en 2005, le CIR (crédit d’impôt recherche), puis le CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi). Ensuite les lois El Khomri, et, à présent, sous la présidence d’Emmanuel Macron, les réformes importantes qui ont été faites en matière de droit du travail.
Tout cela reste insuffisant, car insuffisamment focalisé sur les entreprises naissantes et les petites et moyennes entreprises. Il faut davantage encore faciliter les créations d’entreprises dans le domaine industriel, et prendre toutes les dispositions pour que les jeunes pousses qui connaissent un parcours très difficile entre la phase de naissance et le moment où elles atteignent un stade de développement suffisant pour intéresser les sociétés de capital-risque (ce que certains spécialistes appellent « la vallée de la mort ») trouvent les capitaux dont elles ont besoin pour se développer. Ce sont ces entreprises qui créeront demain des emplois et assureront l’avenir du pays. Pour que ces jeunes pousses puissent se développer le plus rapidement possible, il faut que des business angels viennent leur apporter les capitaux dont elles ont besoin.
La fiscalité actuelle ne le permet pas réellement : la réforme de l’ISF, à partir du premier janvier 2018, va dans le bon sens, mais il reste à réformer la fiscalité pour que les investisseurs privés qui disposent de capitaux soient incités à se mettre en action. Et, du côté des entreprises, la lourdeur du code du travail demeure un réel frein : il faut aller plus loin dans la réforme du code du travail, et sans doute avoir l’audace de concevoir une législation du travail spécifique aux entreprises naissantes et aux petites et moyennes entreprises du pays. Une toute jeune entreprise vit dans la plus grande incertitude pendant ses premières années d’existence, et il lui faut donc un droit du travail différent de celui applicable aux grandes entreprises. Tout reste à faire, en ce domaine.
Dernier point : les dépenses de recherche de la nation. Il serait indispensable qu’elles puissent être considérablement renforcées. Elles sont actuellement insuffisantes, comme l’indiquent les chiffres suivants :
Israël | 4,27 % |
Corée | 4,23 % |
Japon | 3,28 % |
Suède | 3,26 % |
Danemark | 3,01 % |
Finlande | 2,90 % |
Allemagne | 2,88 % |
France | 2,23 % |
En matière de création d’entreprise, tout particulièrement dans le domaine industriel, l’innovation a une importance déterminante. La Chine et les États-Unis dominent le monde en ce domaine, avec des budgets de recherche considérables, et des effectifs énormes de chercheurs : environ 1,4 million de chercheurs, aujourd’hui, dans chaque cas. La dynamique mondiale de l’innovation s’est déplacée vers l’Asie : cette zone représente aujourd’hui 40% des dépenses mondiales de recherche, alors qu’il ne s’agissait que de 25% en 2000. Il serait donc judicieux, qu’à l’exemple d’Israël, les dépenses de recherche de notre pays soient portées à 4% du PIB. Cela signifie un besoin de recrutement de 200.000 chercheurs durant le quinquennat actuel.
Ces indications ne sont que quelques lignes directrices générales. Il faut en retenir la nécessité de focaliser les mesures sur le secteur industriel, ce qui n’a pas été fait jusqu’ici, et en mettant au point des dispositifs particuliers pour les entreprises naissantes et, pour celles déjà existantes, qui sont dans leur phase de développement, en facilitant leur montée en puissance.
Comment ? En aménageant les effets désastreux des seuils « tueurs d’embauches », à savoir ceux de 10 et de 50 salariés. Il est absolument nécessaire d’alléger, ou de supprimer, la plupart des entraves sociales, fiscales, administratives, juridiques et réglementaires qui s’ajoutent, ou qui « s’empilent » devrait-on dire, tout au long du parcours allant de 1 à 250 salariés. Le graphique ci-dessous illustre bien le Graal que recherche tous les gouvernements des pays de l’OCDE : dans un pays libéral, qui crée davantage de « vrais » emplois qu’il n’en supprime, et ceci dans la durée (40 ans pour ce qui est de notre graphique) ?
Réponse : uniquement les entreprises naissantes du secteur marchand.
Claude SICARD, docteur en économie, ancien président de OCS Consultants
Article publié initialement sous le titre « Pourquoi l’économie française est-elle en panne ? Et quelle principale solution instaurer ? » sur la synthesonline.fr le 24 mars 2018
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la recette du succès ne peut-être que secrète
dans la guerre industrielle qui se mène trop parler tue, la racaille est aux aguets y compris l’étatique.