Au terme d’un rapport de forces joué le jour de Noël avec un parfait cynisme par les 7.000 contrôleurs chefs de bord de la SNCF, l’entreprise, sous la pression conjointe du gouvernement et des syndicats, a dû s’incliner et accepter les revendications des contrôleurs. Ils pourraient tenter de demander leur part des bénéfices annoncés.
En effet, certains médias croient pouvoir annoncer – ce qui n’est pas confirmé par l’entreprise, que l’exercice 2022 se solderait par un bénéfice de 2,2 milliards d’euros. Il n’en faut pas plus pour que les contrôleurs remontent au créneau et regrettent de ne pas avoir été encore plus exigeants dans leurs revendications. En réalité, cette prétention repose sur un raisonnement tout à fait inacceptable, qui consiste à considérer à la fois que la SNCF n’est pas une entreprise commerciale car elle n’a pas de coûts à mettre en rapport avec ses ventes, tout en en étant une lorsqu’il s’agit de partager des bénéfices artificiels. Ou encore que le financement de la SNCF, quel qu’en soit le coût, doit reposer sur le contribuable et non l’usager. Compte tenu du déficit persistant des budgets publics, ce financement vient donc accroître la dette publique, déjà monstrueuse.
Les comptes de la SNCF
Nous extrayons les chiffres qui vont suivre de l’étude très complète du site FIPECO mis à jour au 23 novembre 2022[[Etude no. 8 « Le coût de la SNCF pour le contribuable ».]] sur les comptes 2021. Bien entendu les comptes 2022 ne seront disponibles qu’au courant de 2023.
Chiffre d’affaires mondial | 35 | |
Chiffre d’affaires domestique | 23 | |
Bénéfice domestique (au % du CA domestique) | 1 | |
Coûts de fonctionnement domestique | 22 | |
Financement | ||
Billets voyageurs et fret (= CA commercial facturé) | 12,6 (57%) | |
Subventions publiques de fonctionnement | 9,4 (43%)* | |
Subventions d’investissement | 5,1** | |
Charge d’intérêts de la dette reprise par l’Etat | 0,7*** | |
Subvention d’équilibre du régime spécial de retraite | 3,3**** | |
Total des coûts de la SNCF pour les contribuables | 18,5 |
* Il s’agit des « la vente de prestations de services ferroviaires » par SNCF Voyageurs aux « autorités organisatrices » des transports régionaux, à savoir les régions (3,6 Md€) et Ile-de-France Mobilités (3,2 Md€). Plus 2,6 Md€ par l’État.
** Il s’agit de « subventions d’investissements reçus par la SNCF qui s’élèvent en 2020 à 2,5 Md€ pour SNCF Voyageurs (surtout des subventions des autorités organisatrices régionales pour acheter des matériels roulants) et à 2,6 Md€ pour SNCF Réseau.
*** A fin 2019, la dette de SNCF s’élevait à plus de 60 Mds. L’Etat a repris 25 Mds en 2020, et encore 10 Mds début 2022. La dette s’élevait à 36,3 Mds fin 2021.
**** Soit 64% des pensions versées.
Ce que signifient ces comptes : des bénéfices totalement artificiels
La SNCF est devenue depuis 2020 un groupe de sociétés anonymes à capitaux entièrement publics et incessibles. C’est donc un groupe de sociétés commerciales respectant les règles comptables de ces sociétés. Un tiers de ses activités se déroulent (avec succès) sur la scène mondiale, et nous ne nous en occupons pas dans le cadre de ce billet.
Les chiffres ci-dessus montrent que les ventes (billets et fret), ne couvrent que 57% des coûts, le reste étant comblé par des subventions publiques, et qu’au total les subventions atteignent 18,5 milliards pour permettre un bénéfice d’1 milliard, étant rappelé que les années 2019 et précédentes se sont soldées par d’importantes pertes dont les contrôleurs se gardent bien de tenir compte. Dans ces conditions, tout bénéfice est artificiel et ne dépend que du montant des subventions publiques « obtenues ».
Notons aussi dans cet ordre d’idées que FIPECO a comparé le montant des subventions et coûts pour le contribuable en 2016 et 2021. Comparaison édifiante : on est passé de 13,7 (chiffre retenu par le rapport Spinetta) à 18,5 milliards sur 5 ans, soit une augmentation de 35%, très supérieure à l’inflation.
Entendons-nous bien : il n’est pas question de pénaliser les salariés de SNCF du fait que l’État actionnaire impose à l’entreprise, pour des raisons purement politiques, d’appliquer des tarifs ne permettant pas d’assurer l’équilibre des comptes. Ces salariés doivent être traités comme dans n’importe quelle autre entreprise. Mais prétendre justifier leurs revendications par des bénéfices artificiels qui dépendent surtout du montant des subventions reçues de l’État, n’a aucune légitimité.
Comparaisons défavorables avec les entreprises ferroviaires des pays voisins
Puisque nous venons de dire que les décisions politiques ne peuvent servir à justifier les rémunérations au sein de la SNCF, posons-nous la question de savoir ce qu’il en est dans les pays voisins, qui sont confrontés aux mêmes problèmes. Le rapport Spinetta de 2018 sur les comptes 2016 a provoqué l’ire syndicale. Mais trois comparaisons sont néanmoins significatives :
– Au plan des subventions publiques, la France se situe à un niveau plus élevé que l’Allemagne (pour la Deutsche Bahn) et les Pays-Bas, et beaucoup plus élevé que l’Italie pour la FSI et l’Espagne pour la Renfe.
– Le chiffre d’affaires par personne employée est inférieur de 6% à celui de l’Allemagne, et de 25% à celui de l’Espagne.
– La performance qualitative du service est très médiocre et surtout en dégradation régulière[[Ainsi s’exprime le Professeur Belloc : « Une des grandes sources des problèmes de la SNCF est la faible productivité. Et le statut des cheminots n’est pas loin si l’on cherche des explications. Mais l’État porte aussi sa part de responsabilité car pendant des décennies, la justification de la subvention de service public n’a jamais été réévaluée sérieusement, et le périmètre du service public n’a jamais été sérieusement redéfini malgré les évolutions fantastiques de l’habitat et des habitudes en matière de transport depuis trente ans. Et tout ceci a conduit à une accumulation vertigineuse de la dette. Et je ne parle pas du désastre du fret ferroviaire en France…La dégradation des comptes de la SNCF n’est pas nouvelle, et la séparation réseau-exploitation fut une rigolade, uniquement destinée à porter différemment le fardeau de la dette, sans aucun vrai changement structurel. Mais tout ceci étant dit, on est au bout du bout et c’est la survie du rail en France qui est maintenant en jeu. »]].
Conclusion
Dans ces conditions, on ne peut trouver aucune légitimité aux nouvelles revendications des contrôleurs, et encore moins à l’exploitation éhontée de la « rente » injustifiée qu’ils détiennent sous forme de capacité de nuire, en faisant grève le jour de Noël. Nous avons bien ici une spécificité française. « Paix au travail », disent les Suisses…Et les Italiens interdisent la grève certains jours de l’année, dont Noël bien entendu. Les cocoricos médiatiques généralisés qui ont accompagné cette annonce des prétendus « bénéfices » sont un prototype parfait d’une fake news syndicale amplifiée par les médias (complices ?).
6 commentaires
SNCF : le cancer qui va tuer la tuer
malgré les soins prodigués grâce à notre argent et ce, en pure perte !
SNCF : Usagers ou Clients ?
La SNCF étant une société commerciale et non une administration, elle délivre ses prestations à des « clients » et non à des « usagers ».
Mais depuis toujours, même si les choses changent un peu, bon nombre de ses employés, notamment les syndicalisés, considèrent qu’il s’agit d’usagers qui doivent s’estimer heureux de bénéficier d’un « service public » qui n’en est pas un.
Rappelez les PTT (téléphone) qui furent dans la même situation. La privatisation y a bien changé les choses, au plus grand profit des clients !
SNCF : des bénéfices fictifs qui augmentent la dette et nos impôts
Merci Bertrand our cette analyse lucide et percutante sur la réalité économique de la SNCF, société virtuellement en faillite (donc non privatisable …), dont les salariés continuent d’imposer leur rapport de force de quasi monopole, malgré un début timide de concurrence avec des opérateurs TGV allemands et italiens.
Il y a longtemps que le chiffre d’affaires domestique de la SNCF ne couvre pas la seule masse salariale (sans parler des retraites) : je l’avais découvert en novembre 1995 en analysant les comptes, au début du mouvement social initié par les cheminots de Rouen.
Et pourtant, on impérativement besoin du transport ferroviaire pour faire des gains d’efficacité énergétique et décarboner les transports, en s’affranchissant d’une partie des files de camions qui colonisent la voie de droite des autoroutes !!
SNCF : des bénéfices fictifs qui augmentent la dette et nos impôts
Bravo pour cet article qui met les pendules à l’heure (sans allusion aux retards des trains…)quant aux soit disant bénéfices de la SNCF ,laquelle n’en a jamais faits depuis sa création !!!!!
Je suis scandalisé que la presse dite sérieuse ait pu colporter cette fable que des syndicalistes bien intentionnés se sont bien sûr empressés de reprendre pour justifier le chantage de Noël…..
pour négocier, il faut d’abord se construire des alternatives
pour négocier, il faut d’abord se construire des alternatives. Oui le train a des avantages multiples . Mais comme il existe des alternatives techniques, un gouvernement qui voudrait recadrer le contrat du pays avec ce monopole, devrait se construire des alternatives telles que le pays et ses habitants puissent fonctionner malgré une grève longue. Macron a fait sauter l’interdiction de 1945 contre les services de cars. Bon début. C’est bon marché mais c’est « lent » L’offre Blabla car reste limitée. Ce qui manque c’est une offre de petits cars de 15 -20 places et qui pourraient être conduits par des passagers-personnes un peu validées, et « non payées » . Et accorder à ces entreprises des avantages fiscaux coûtant moitié ou tiers des surcoûts SNCF. Un peut Thatcherien.?
SNCF: pas de bénéfices fictifs pour des cheminots grévistes
En effet il faut créer plus de concurrence , avec des offres sur les lignes TGV comme celle de Trainitalia sur Paris-Lyon-Milan et on attend l.offre Renfe sur le sud ouest. Il y a énormément de chemin à parcourir cependant pour que une grève SNCF ne paralyse pas le pays ! Pourquoi les gouvernants n’osent ils pas???
Très bon article Bertrand qui souligne la mauvaise fois et l’incompétence des médias mainstream