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Quel tableau de bord pour notre prochain premier ministre ?

par Claude Sicard
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Dans cette période d’attente d’un nouveau premier ministre les avis les plus divers se manifestent pour indiquer quelles sont les priorités des actions à mener par le futur chef du gouvernement. Mais est-ce à la vindicte populaire de déterminer les actions à mener par un gouvernement en matière économique, tout particulièrement lorsque l’on se trouve dans une situation d’urgence ? Certes, nous sommes en démocratie, mais il n’est pas certain que la vox populi ait, dans le domaine très complexe qu’est l’économie, toutes les compétences voulues pour dicter à un gouvernement sa conduite.

La France est un pays qui depuis 1976 s’endette, chaque année, pour boucler son budget, et nous sommes parvenus à une dette qui dépasse maintenant le montant du PIB : elle nous coûte de plus en plus cher, et il va s’agir bientôt du premier poste du budget de la nation. Il devient urgent de mettre fin à cette situation et nous sommes, d’ailleurs, rappelés à l’ordre par les autorités de Bruxelles qui exigent que nous respections scrupuleusement les règles de la zone monétaire à laquelle nous appartenons. Depuis des années, nous les enfreignons, et l’on nous considère, en Europe, comme  le mauvais élève de la classe. Notre Président les avait déclarées « obsolètes », mais il n’a pas été suivi pour en changer: chaque pays membre doit, on nous le rappelle, avoir un déficit du budget inférieur à 3 % du PIB, et une dette publique ne dépassant pas 60 %  de celui-ci. Et la  Commission Européenne à Bruxelles nous donne trois ans pour remettre nos comptes en ordre.

Il faut donc s’interroger pour savoir quelles sont les priorités, en matière économique, pour le chef de gouvernement qui va se mettre en place.  

Un premier constat :tous les clignotants de l’économie sont au rouge :

Il est naturel, pour la personne qui va être en charge de la conduite du gouvernement, de procéder à un état des lieux, et il faudra, pour être crédible, qu’il soit effectué par des experts indépendants, par exemple du FMI, ou de l’OCDE. On sait très bien ce qui va en ressortir : tous les clignotants de l’économie sont au rouge. La France est un pays qui pour faire fonctionner son économie s’endette chaque année, et cela dure depuis une cinquantaine d’années maintenant. On se souvient que Raymond Barre avait  déclaré  en présentant son plan d’action aux  Français (le Plan Barre) : « La France vit au-dessus de ses moyens : il faut que nous remettions l’économie française en ordre ». De même, Thierry Breton, en 2005, quand il avait été ministre de l’Économie et des Finances dans le gouvernement Raffarin, avait tenu à tirer, à son tour, la sonnette d’alarme, en présentant son  Projet de loi, disant aux Français : « La France vit au-dessus de ses moyens » ; et il avait rajouté : « La croissance passe par le fait de travailler plus, et plus longtemps ». Ce recours systématique à de l’endettement pour boucler le budget traduit un dysfonctionnement grave dont il va falloir trouver la cause, et auquel il va falloir remédier :

Dette publique de la France
(En % du PIB)
1974…………..20 %
2000….………60 %
2016………….96 %
2024………111 %

Notre dette croit donc, chaque année, et elle nous coûte de plus en plus cher : cela ne va pas pouvoir durer indéfiniment. On en est, exactement, à 110,7 %  du PIB,  et les marchés s’inquiètent, d’autant plus que les grandes agences de notation font baisser notre note. Cette  année, le coût de la dette va s’élever à 46,3 milliards d’euros,  et Bercy indique qu’en 2027 il s’agira de 72 ,3 milliards d’euros, c’est-à-dire le poste le plus important du budget de la nation. Les autres pays européens ne sont pas du tout dans la même situation, à l’exception de l’Italie et de la Grèce :

Endettement public des pays européens

(En % du PIB)

Danemark29,3
Suède29,7
Suisse38,3
Pays Bas46,5
Allemagne63,6
France110,7
Italie137,3
Grèce161,9

Il va donc falloir comprendre pourquoi nous nous endettons, et prendre les dispositions voulues pour sortir, le plus rapidement possible, de cet engrenage.

C’est là, un premier constat. Et l’on verra que tous les autres clignotants sont, eux aussi, au rouge : des dépenses publiques et des dépenses sociales bien plus élevées, en proportion du PIB, que partout ailleurs, des prélèvements obligatoires records, un déficit constant de la balance commerciale, et un taux de chômage constamment plus élevé que dans les autres pays de l’UE.

Comment remettre notre machine économique en route ?

L’économie du pays est atone et apathique. Les Nations Unies  ont  publié en 2018 une étude montrant comment ont évolué les économies des pays sur une longue période. Il s’agit, là, d’une approche destinée à éclairer les dirigeants des pays  sur la manière dont se comporte réellement leur économie. Les statisticiens de l’ONU ont examiné, tout simplement, comment ont évolué les PIB/capita des pays dans la période 1980-2017, et nous indiquons, ci-dessous, les résultats de cette étude pour un certain nombre de pays européens, en prolongeant les séries, et en rajoutant le cas d’Israël qui est tout  à fait remarquable :

PIB/tête  (US dollars  courants )

1980200020172021Multiplicateur  
Israël6.39321.99042.45252.1708,0
Espagne6.14114.55628.35630.104,9
Suisse18.87937.93780.10191.9904,9
Danemark13.88130.73457.53368.0074,9
Allemagne12.09123.92944.97651.2034,2
Pays-Bas13.79420.14848.75457.7674,2
France12.66922.16138.41543.6593,4
(Source : ONU, Statistics Division)

On voit que les performances de l’économie française, dans toute cette période, ont été très inférieures à celles des autres pays européens. Il faut donc comprendre pourquoi la France a une économie qui stagne. Il y a deux causes qui se sont conjuguées : des conquêtes sociales par trop en avance sur ce que peut supporter l’économie du pays, et la très grave désindustrialisation de la France.

a) Une France à remettre au travail

Le tableau  ci-dessous fait ressortir l’importance du facteur travail dans le succès de l’économie des pays :

Comparaison  France-Pays nordiques -Suisse

FranceAllemagneDanemark Suisse
Taux de  pop. active46,7 %53,4 %53,0 %55,7 %
Durée vie active35,6 ans38,4 ans36,9 ans42,4 ans
Heures travail/an1.490 h1.850 h1.750 h1.831 h
Durée  hebdo. travail35 h37 h37 h45-50 h
PIB /capita   (US$)44.46052.74567.96299.994

On voit qu’il manque à la France, comparativement à la Suisse par exemple, environ 6 millions de personnes  au travail,  ce qui ferait un PIB majoré de 300 milliards d’euros si elles étaient dans la vie active  : actuellement, elles sont à la charge de la collectivité (5.112.700 personnes sont inscrites aujourd’hui à France-Travail, l’ancien Pôle-Emploi). De même, le PIB de la France se trouve amputé chaque année des différences importantes existant avec les autres pays dans le nombre des heures travaillées par an: 1831 h/an dans le cas de la  Suisse, contre 1.490 h dans le cas de la France.

Il s’en suit, comme le montre la dernière ligne du tableau ci-dessus, que notre PIB/capita est bien inférieur à celui de nos voisins : nous en sommes à 65% du PIB/tête du Danemark, et même pas à la moitié de celui de la Suisse !

b) Une France à réindustrialiser

Les dirigeants du pays se sont laissé abuser par l’idée qui s’est  installée dans nos  sociétés occidentales, dans les années 1970, selon laquelle une économie moderne n’est plus constituée que par des activités de service. De grands sociologues, comme  Alain Touraine en France, ou Daniel Bell aux États-Unis, ont lancé le concept de « société post-industrielle » pour caractériser des sociétés très avancées au plan économique, faisant une très mauvaise interprétation de la loi des trois secteurs de l’économie de Jean Fourastié. On a ainsi reporté sur les pays en voie de développement, qui disposent d’une main d’œuvre abondante, pas chère, et corvéable à merci, nos activités industrielles. Cela a donné la Chine d’aujourd’hui qui nous inonde, maintenant, de voitures électriques et rivalise avec nos pays  aux plans scientifique et technique. Et la France est devenue, ainsi, le pays  qui, en Europe, est le plus désindustrialisé, la Grèce exceptée : l’industrie n’y représente plus que 10 % du PIB. Or,  le secteur industriel est, des trois secteurs qui composent une économie, celui qui génère le plus de richesse : en Allemagne et en Suisse, il s’agit de 23 % ou 24 % du PIB. Il va donc s’agir, maintenant, de réindustrialiser le pays, et pour y parvenir nous avons le plus grand besoin des firmes étrangères car les entreprises françaises, à elles seules, n’y suffiront pas.

Il s’agit de ne surtout pas gâcher nos chances

On doit considérer qu’il y a  deux urgences, et elles s’imposent, d’elles-mêmes.

a) Faire 80 milliards d’économies d’ici à 2027 :

La Commission  Européenne a ouvert le 19 juin dernier une procédure contre 7 pays européens pour déficit excessif, et notre pays est de ceux-là. Nous avons à présenter à Bruxelles, avant le 20 septembre prochain, un plan  de réduction de notre dette. En 2023, notre déficit a été de 5,5 % du PIB, et en 2024 il serait de 5,1 % : il faut en arriver à 3%, à la fin de l’année 2027, et pour cela il va être nécessaire de procéder à 80-100 milliards d’euros d’économies.

Nous avons montré, dans d’autres articles, que ces économies sont à faire essentiellement sur les dépenses sociales. En 2022, nous en étions à  850 milliards d’euros, soit 32,2 % du PIB, alors qu’il s’agit de 27,0 % , en moyenne, dans les pays de l’UE, et de 21,1 % seulement pour l’ensemble des pays de l’OCDE. Si nous en étions au taux de l’UE,  il s’agirait de 712 milliards d’euros, soit un excès de dépenses sociales de 138 milliards,  un montant supérieur au chiffre des économies qui sont à réaliser d’ici à 2027.

En fait, ces dépenses sociales alimentent un niveau de vie des Français supérieur à la capacité qu’a l’économie  du pays à leur procurer. C’est ce que l’on voit avec les données que fournit l’INSEE sur les niveaux de vie en Europe. Si l’on établit une corrélation avec les PIB/capita des pays européens, on voit que l’on est à 17,6 %  au dessus de ce qu’autorise le niveau de développement économique de notre pays. Avec le PIB/capita qui est le nôtre, l’équation de la droite de corrélation indique que nous devrions n’avoir que 19.602 euros  de niveau de vie, alors que nous en sommes à 23.056 euros.

b) Lancer un vaste plan de réindustrialisassions du pays

Le pays doit se réindustrialiser, et dans le contexte actuel ce sera difficile : le coût de l’énergie est très élevé en Europe, il y a la guerre en Ukraine qui crée des inquiétudes, et les États-Unis avec l’IRA et la politique menée par le Président Joe Biden ont mis en place une politique qui séduit beaucoup les investisseurs.

Nous avons montré, dans d’autres articles, qu’il faudrait lancer, pour reconstituer notre secteur industriel, un plan d’investissement de 350 milliards d’euros, et si l’on se donnait pour objectif de redresser l’économie du pays en 10 ans, cela signifierait un rythme d’investissement de 35 milliards d’euros par an, dont 20 du côté français, et 15 espéré d’investisseurs étrangers. On a enregistré, au dernier « Choose-France », qui a été un succès, l’annonce, précisément, de 15 milliards d’euros d’IDE  (Investissements Directs Étrangers), ce qui montre que la France est  redevenue un pays attractif.  Il va donc s’agir de poursuivre, maintenant, sur ce rythme, en allant bien plus loin que ne le permet le plan « France-2030 ». Il nous faut un plan de 10 ans, avec davantage d’aides de l’État, et des aides accordées à tous projets industriels sans que l’on n’ait à distinguer entre «  stratégiques » et « non-stratégiques ».

Il faut donc tout faire pour que notre pays reste très attractif pour les investissements étrangers, car c’est une nécessité vitale. Ce n’est donc pas le moment d’augmenter tous les salaires, d’autant que le coût du travail dans notre pays est le plus élevé d’Europe, ni d’augmenter la fiscalité sur les entreprises, et encore moins de taxer le capital. Les demandes de relèvement du SMIC sont donc à rejeter, car relever le SMIC pousse vers le haut tous les autres salaires, et il faut en rester aux mesures fiscales qu’avait réussi à mettre en place Emmanuel Macron : réduction des impôts de production, conserver la flat tax, et maintenir l’IFI substitué à l’ISF.

La menace d’une crise financière :

Nicolas Sarkozy, dans le Figaro du 31 Août dernier, nous dit : « La France est vraiment au bord d’un précipice ». Et il nous interroge : « A-t-on vraiment pris conscience de la gravité de la situation de notre pays ? ». Il craint que des attaques sur la dette de la France puissent se produire.

Réindustrialiser à vive allure le pays serait le signe le plus certain du redressement qui s’opère de l’économie de la France. En s’engageant avec détermination dans la voie que nous suggérons, on redonnerait, immanquablement, confiance à nos bailleurs de fonds, et on verrait s’éloigner le risque de crise financière dont nous parle, avec anxiété, notre ancien président de la république. Le plan d’action que nous proposons n’a aucune coloration politique, et il devrait donc pouvoir être accepté par chacun des blocs qui composent actuellement notre Assemblée Nationale.  

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4 commentaires

Yves Montenay septembre 7, 2024 - 4:34 pm

Comme dit dans l’article, mais peut-être sans insister suffisamment, notre problème est celui des ressources humaines. D’un point de vuepPurement
il faut soit travailler plus de 35 heures, soit avoir moins de cinq semaines de vacances, soit travailler jusqu’à 67 ans comme nos voisin., Soit accepter une immigration de travail massive

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Yves Montenay septembre 7, 2024 - 4:36 pm

Faute de frappe à rectifier SVP : d’un point de vue purement mathématique

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mathieu septembre 8, 2024 - 11:12 am

Subventions supplémentaires à l’industrie= impôts supplémentaires. Ce n’est pas ce qu’il faut faire.
Nous avons 3,2 M de fonctionnaires de plus que l’Allemagne (à population égale). Nos hôpitaux, écoles publiques, police, collectivités locales, ont deux à trois fois plus d’administratifs que l’étranger. Il faut les réduire, pour pouvoir rendre nos entreprises plus compétitives.

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moulin septembre 9, 2024 - 8:47 am

L,’auteur, l’Irdeme et ses lecteurs font de bons diagnostics (qu’ils font depuis longtemps) : la France vit au dessus de ses moyens et emprunte plus chaque année qu’elle ne réussit à faire croître son économie. Le niveau de vie des français est fictif et a baissé si on déduit l’endettement, et baissera tant que l’on continuera à emprunter. La priorité est de mieux dépenser en investissant dans les entreprises en croissance du fait qu’elles ont une supériorité sur leurs concurrents français et européens, en cessant de soutenir les entreprises au ras ou sous l’eau, et en recirculant les ressources humaines vers les entreprises en croissance. Priorité pour France Emploi. Mon expérience me dit que les personnels des entreprises en croissance ne rechignent pas à travailler. Notre problème de productivité est dans les entreprises qui stagnent ou périclitent et où l’ambiance est morose. Idem dans les administrations, arc boutées au niveau des personnels, des syndicats et des directeurs contre tout ce qui ferait apparaître des excédents ou des tâches inutiles ou sabotées. Priorité immédiate : ne remplacer que la moitié des partants et redonner un vrai pouvoir d’arbitrage aux collectivités locales vs le centralisme parisien.

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