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Prix du gaz : que peut-on faire sans démagogie électoraliste ?

par François Henimann
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Les prix de l’énergie sont au cœur des débats électoraux sur le pouvoir d’achat : engagement de stopper la hausse du prix du gaz annoncée de 12 % au 1er juillet, baisse de la TVA à 5,5 % sur les carburants, l’électricité, le gaz et le fioul, sortie de la tarification du marché européen de l’électricité pour le Rassemblement National,  blocage des prix des biens de première nécessité, dont l’énergie et les carburants pour le Nouveau Front Populaire, engagement de baisse des prix de l’électricité de 10 à 15 % au 1er février 2025 par le Ministre de l’Economie, etc …

Cet article a pour objet d’analyser les marges de manœuvre possibles pour le prix du gaz, au-delà des mesures telles que la baisse de la TVA, qui ne pourraient être financées qu’au prix d’un endettement et d’un déficit des comptes publics encore croissant, alors que l’état des comptes publics est déjà alarmant.

Aucune marge de manoeuvre significative, en-dehors des taxes (TVA et taxe carbone) :

La facture de gaz comporte 4 composantes : le coût de la fourniture de gaz, celui de son acheminement au point de consommation, les coûts commerciaux, et les taxes.

Le coût de la fourniture du gaz

Le gaz naturel fossile consommé en France est intégralement importé, depuis l’épuisement du gisement de Lacq et le renoncement à l’évaluation de potentielles réserves en gaz de schiste pour des raisons environnementales.

Les fournisseurs de gaz s’approvisionnent auprès de producteurs par des contrats à long terme (prix indexé sur celui du pétrole), et sur le marché de gros, le gaz provenant principalement de Norvège et d’Algérie par gazoducs, et des USA, du Qatar et du Nigeria sous forme de GNL (Gaz Naturel Liquéfié), la fourniture de gaz russe en France ne subsistant que sous forme de GNL depuis la guerre en Ukraine, pour environ 10 % de la consommation.

Le graphique ci-dessous montre que le prix du gaz sur le marché de gros, qui oscillait autour de 20 €/MWh avant 2021, a brutalement progressé à partir de septembre 2021 pour atteindre plus de 100 €/MWh fin 2021. Il est resté au-dessus de cette valeur pendant l’année 2022, avec des pointes spéculatives dues à la crise russe, avant de revenir au printemps 2023 dans une fourchette située entre 30 et 50 €/MWh.

Sur la période récente, dans ses publications mensuelles sur le prix repère du gaz naturel1, faisant suite à la fin du tarif réglementé fin juin 2023, la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) a retenu comme coût d’approvisionnement du MWh 49 € en décembre 2023, 45,6 € en janvier 2024, 28 € en juin 2024, et 32,2 € pour juillet 2024 : on voit donc la persistance d’une volatilité importante du coût d’approvisionnement, qui est de façon incontournable subie par les consommateurs français, même si elle n’atteint pas les sommets spéculatifs de l’année 2022.

Le gaz vert (biométhane)

Depuis quelques années se développe la production de biométhane (Energie Renouvelable Thermique), principalement à partir de déchets agricoles dans des méthaniseurs , qui est en grande partie injectée dans le réseau de distribution : la capacité installée est de l’ordre de 12 TWh /an2, ce qui représente 5 % de la consommation de l’ordre de 240 TWh. Elle pourrait dépasser 10 % de la consommation en 2030.

Ce développement s’inscrit dans la politique de décarbonation de l’économie et contribue à la gestion des déchets, la création d’emplois et la souveraineté énergétique, mais a un coût : le prix de rachat est de l’ordre de 90 €/MWh3 , ce qui nécessite une subvention qui se retrouve sous forme de taxe sur la facture (la TICGN, qui est passée de 8,4 à 16,4 €/MWh en janvier 2024), et sous forme d’investissements sur le réseau de distribution, rémunérés par le tarif d’acheminement du gaz.

Le coût d’acheminement du gaz

Il s’agit des coûts de transport et de stockage, et du coût des réseaux de distribution, qui sont des activités régulées, principalement assurées respectivement par GRT Gaz, Storengy et GRDF (filiales de ENGIE), ainsi que Terega pour le transport dans le SO.

Le coût moyen du transport et du stockage va passer au 1er juillet 2024 de 10,8 à 12,3 €/MWh, soit une augmentation de 14 %, alors que celui de la distribution va passer de 20,5 à 26,1 €/MWh (pour un client chauffage consommant 12 MWh/an), soit une augmentation de 27%.

Au total, le coût d’acheminement va augmenter de 31,3 à 38,4 €/MWh pour un client type chauffage, soit une augmentation de 23%.

La CRE détaille le calcul du tarif d’acheminement distribution dans sa délibération du 15 février 20244. Ce tarif est amené à augmenter de façon structurelle, au-delà de la prise en compte de l’inflation, pour les raisons suivantes :

  • La consommation, donc le volume acheminé, a diminué de 257 TWh en 2020 à 241 TWh en 2023, et devrait continuer à diminuer de 2 % par an, avec un nombre de consommateurs diminuant de 1,5 % par an.
  • L’infrastructure est stable, donc son coût de maintenance et d’exploitation aussi, et il faut investir pour raccorder les méthaniseurs (gaz vert)

Les coûts commerciaux

Pour le calcul du prix repère du gaz naturel5 , la CRE prend en compte un montant fixe annuel de 43,5 €/MWh, plus une part variable de 13,3 €/MWh, comprenant en particulier 6,5 €/MWh destinés à financer les Certificats d’Economie d’Energie CEE), correspondant aux aides financières que les fournisseurs d’énergie s’engagent à verser aux clients pour les aider à réaliser des travaux d’isolation ou de chauffage performant dans leur logement.

Au total, pour un client type chauffage (consommant 12 MWh par an), ces coûts commerciaux représentent 16,9 €/MWh, le coût des CEE étant en augmentation de 0,8 €/MWh au 1er juillet 2024.

Les taxes

La CTA (contribution tarifaire d’acheminement), contribuant au financement des retraites des anciens salariés des IEG, s’élève à 43,5 €/an pour un client type chauffage.

La TVA, au taux réduit de 5,5 % pour la part fixe de la facture (y compris la CTA), et au taux normal de 20 % pour la part variable (y compris sur la TICGN).

La TICGN (Taxe Intérieure sur la Consommation de Gaz Naturel)6 , qui regroupe la Contribution Climat-Energie (taxe carbone), le financement des chèques énergie pour les personnes en précarité énergétique, et le subventionnement du biométhane. Evolution depuis 2014 :

Année20142106201820232024
Montant1,274,348,458,3716,37

Les deux augmentations de 2018 et 2024 sont essentiellement dues à la Contribution Climat Energie (taxe carbone), et, dans une moindre mesure à la montée en charge du subventionnement du biométhane.

Son produit est de l’ordre de 4 Md€, auquel s’ajoute environ 1 Md€ de TVA à 20 %.

Synthèse

Décomposition de la facture d’un client type chauffage (consommation 12 MWh/an), au 1er juin et au 1er juillet 2024  :

En €/MWh01/06/202401/07/2024% sur total TTCCommentaires
Fourniture du gaz28,032,226 %45,6 €/MWh au 01/01/2024
Coûts commerciaux16,116,913 %Dont 6,5 €/MWh pour  CEE
Acheminement31,338,430 %
Total HT75,487,5
CTA3,63,63 %
TVA16,718,315 %
TICGN16,416,413 %8,4 €/MWh jusque fin 2023
s/total taxes36,738,3
Total TTC111,8125,7Augmentation 12,4 %

L’augmentation de 12 % de la facture TTC au 1er juillet est due à 57 % au tarif d’acheminement, à 36 % au coût d’approvisionnement, et à 7 % au coût des CEE.

Il n’y a pas de marge de manœuvre possible pour diminuer et contrôler la facture de gaz HT, en-dehors du coût des CEE, qui correspond à 7 % du montant de la facture HT.

Le développement du biométhane nécessite une subvention d’environ 700 M€ /an, qui est appelée à continuer à augmenter sensiblement, mais cela est loin d’expliquer le doublement de la TICGN au 1er janvier 2024, qui est dorénavant proche du montant de la TVA : c’est en fait une augmentation sans bruit de la taxe carbone pour les particuliers, qui avait été gelée à 39 €/tCO2 au moment des gilets jaunes, puis du bouclier tarifaire. Il est possible de reconsidérer l’augmentation de cette taxe, qui est une décision purement politique liée à la politique de transition écologique, en redéfinissant les objectifs très contraignants du pacte vert, avec notammentuneéradication à marche forcée des passoires énergétiques et la pénalisation des logements DPE F et G à court terme.

Globalement, plus de 20 % de la facture de gaz est consacrée à la transition énergétique.

Une diminution de la TVA à 5,5 % sur la part variable, pour 240 TWh de consommation, correspondrait à un déficit de recettes pour l’Etat de 3 Md€ / an.

Par contre, par souci de clarté dans les politiques conduites et la fiscalité associée, renoncer à appliquer la TVA sur les taxes énergétiques serait utile.

  1. Référence de coûts d’approvisionnement du gaz | CRE ↩︎
  2. Le biométhane, c’est quoi ? Définitions, principe de fonctionnement et chiffres clés | GRDF Cegibat ↩︎
  3. Arrêté du 10 juin 2023 fixant les conditions d’achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel – Légifrance (legifrance.gouv.fr) ↩︎
  4. 240215_2024-40_ATRD7_Post_CSE.pdf (cre.fr) ↩︎
  5. Construction du Prix Repère de vente de gaz de la CRE | CRE ↩︎
  6. La TICGN : quelle évolution en 2021 ? (engie.fr) ↩︎

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3 commentaires

Eplf IRDEME juin 28, 2024 - 7:06 pm

Avec des capacités de stockage, certains pourraient remplir quand c’est bas et acheter moins que la consommation quand c’est haut. Coûts du stockage?

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moulin juin 29, 2024 - 8:37 pm

Question intéressante : il y a le coût long terme du gaz dont nous avons besoin pour suppléer aux ENR intermittentes de façon aléatoire et nous chauffer en attendant les 30 centrales nucléaires nécessaires pour diminuer les fossiles importés, et le coût court terme, manifestement très variable. Que coûte le stockage du gaz pendant un an? Quand on veut optimiser les stocks sur une chaîne, il faut que les moyens de stockage aient comme point moyen d’être remplis à moitié : quand le gaz est bon marché on achète, quand il est cher on déstocke. Pour que la France puisse jouer ce facteur, il faut donc deux ans de stockage et non pas un seul, rempli à ras bord avant l’automne, sans pouvoir optimiser les coûts d’achats.

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FRANCOIS HENIMANN juillet 1, 2024 - 4:12 pm

La capacité de stockage de la France est de 130 TWh sur 11 sites, soit 1/3 de la consommation annuelle. Le principal opérateur est Storengy (90 %), filiale régulée de ENGIE, et le revenu annuel autorisé par la CRE des opérateurs est de l’ordre de 800 M€ par commercialisation directe auprès des fournisseurs, soit environ 460 M€, et le solde par un terme tarifaire de compensation calculé par la CRE. Les fournisseurs ont l’obligation légale de remplir à au moins 85 % au 1er novembre les capacités qu’ils ont souscrites, la consommation de gaz étant très saisonnière en raison de l’usage primordial du gaz pour le chauffage. voir pour plus de détails : https://www.cre.fr/actualites/toute-lactualite/le-stockage-de-gaz-en-france.html et https://www.cre.fr/fileadmin/Documents/Deliberations/import/240305_2024-51_TTS_1er_avril_2024.pdf
Dans le prix repère du gaz publié par la CRE pour un client chauffage, le coût du stockage est intégré dans le tarif d’acheminement transport, à hauteur d’environ 5 €/MWh, pour un coût d’acheminement transport total de l’ordre de 12 €/MWh.
Compte-tenu de la perspective de décroissance de la consommation de gaz dans les années à venir, il parait peu probable que de nouveaux investissements dans des capacités de stockage puissent trouver leur équilibre économique.

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