PLUS DE MOYENS

par Yves Buchsenschutz
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Il y a quelques jours j’ai eu l’occasion de vous entretenir du cri unanime de la population et des corps constitués sur la nécessité absolue et immédiate de se voir attribuer plus de moyens ! J’ai reçu quelques commentaires et réactions qui m’ont donné à réfléchir encore un peu plus loin.

Un certain nombre de points semblent acquis : par exemple que donner plus de moyens sans demander plus de résultats, non seulement en volume mais également en efficacité, c’est s’engager délibérément sur la voie de l’appauvrissement, qu’il serait bon que chacun comprenne bien ce qu’est la productivité et quelles sont ses conséquences plus que positives, que la productivité relative est un facteur majeur de la compétitivité des entreprises…

Plusieurs remarques toutefois on fait « tilt » dans ma tête :

La première est que la productivité ne peut se définir qu’avec un numérateur et un dénominateur. C’est le rapport entre la production utilisable commercialisable et les intrants nécessaires à cette production. Pour neutraliser les interactions entre intervenants successifs, on utilise en fait la valeur ajoutée pour construire le PIB. Mais le système ne fonctionne vraiment bien que si l’on peut disposer non seulement des intrants (i.e. les coûts) mais aussi des prix de vente. Or dans le cas de l’administration et des services publics, la plupart du temps les services ne sont pas facturés. Il n’existe donc pas, par construction, de chiffre d’affaires ou de valeur ajoutée de l’administration. Par contre il existe bien des coûts. Mais le rapport traditionnel de la productivité qui est celui du produit des ventes rapporté au coût, n’existe pas ou n’est pas facilement disponible. Il peut être remplacé par d’autres indicateurs : le nombre d’élèves formés, de patients reçus et soignés, de passeports distribués … mais tout cela n’est que des approximations et ne donne pas en lecture directe la productivité et surtout son évolution. D’ailleurs quand il s’agit d’évaluer la valeur des productions de l’administration dans le PIB, au lieu de prendre un chiffre d’affaires, on le remplace directement par les coûts de production.

Ceci est non seulement inexact mais à quelques effets pervers : plus mon administration coûte, plus mon chiffre d’affaires et mon importance augmentent. Non seulement il n’y a pas d’incitation à l’amélioration de l’efficacité, mais il y a une incitation sous-jacente à diminuer la productivité ! Cas limite, si je transforme une activité privée de ramassage des ordures en régie, j’augmente le PIB puisque je remplace une simple plus-value en une somme totale de coûts. Et plus cela coûtera cher, plus je serai quelque part performant. Le phénomène est amplifié de plus par les ressources non affectées. Je peux avoir une idée du coût du ramassage des ordures si j’ai un impôt dédié. Si cela est noyé dans un budget général, il devient quasiment impossible de s’y retrouver.

J’ai compris cela quand j’ai constaté que les exemples qui me venaient spontanément à l’esprit étaient la plupart du temps dans l’administration. Il est vrai que les entreprises sont confrontées tous les jours à la productivité, mais il est vrai aussi qu’elles disposent des outils pour la suivre ainsi qu’une double motivation permanente : la concurrence et la survie.

Il n’y a au fond rien que de naturel à ce que l’administration aie du mal à intégrer cette notion au demeurant assez contraignante : elle n’a, à disposition, ni la motivation, (pas de chiffre d’affaires) ni les incitations (pas de concurrence) ni les conséquences néfastes (faillite ou perte de marché).

En bonne logique, surtout dans un pays comme la France qui a confié à l’état non seulement des fonctions régaliennes mais également de larges pans de son activité économique réalisée en d’autres lieux par un système privé, il faudrait trouver le moyen de réintroduire ces différents paramètres pour que le système aie une chance de se réguler.

À noter qu’il existe au moins deux domaines où le paramètre concurrence (bien encadrée il est vrai) existe : l’enseignement et la santé. Il serait certainement instructif de laisser la partie privée et concurrentielle de ces activités se développer naturellement pour observer comment le système évoluerait. Compte tenu des tarifs pratiqués inférieurs dans le privé par rapport au public dans ces deux domaines, cela coûterait moins cher en tout état de cause à la collectivité. Reste à savoir si la qualité se maintiendrait. A nos frontières nous avons deux états qui ont suivi des chemins opposés : la Grande-Bretagne a quasiment nationalisé la totalité de sa santé mais les citoyens semblent s’en plaindre, l’Allemagne au contraire a privatisé beaucoup d’hôpitaux et cela a plutôt l’air de fonctionner. Ce serait à vérifier.

Accessoirement puisque ces deux activités en France semblent noyées sous « l’administratif » il ne devrait pas être trop compliqué de travailler la productivité de cette partie des systèmes. (L’Allemagne considérée comme performante parce que ne consacrant à la santé que 25 % du personnel dans l’administratif, surprend tout de même par ce chiffre. Il y a peu de sociétés privées qui consacrent 25 % de leur personnel par exemple au siège social !)

Puisque j’en suis là, regardons de plus près également une autre antienne : l’intérêt général. Dès que l’on attaque ses problèmes de productivité on vous explique que tout ce qui dépend de l’état a pour vocation sous-jacente évidente l’intérêt général. Par curiosité j’ai souvent creusé sous cet intérêt général et j’ai malheureusement en général trouvé une somme d’intérêts particuliers. (sécurité de l’emploi, avancement à l’’ancienneté, pantouflage, titres et honneurs etc … Je n’ai pas de raison de le reprocher cela aux fonctionnaires : en cela pour finir ils sont comme tout le monde : ils essayent de survivre le mieux possible. Mais leur toge virginale recouvre le costume-cravate de Monsieur ou Madame tout le monde, avec en général tout de même un peu moins de contraintes dues aux résultats.

À ce propos, le dossier des entreprises « sociales et solidaires » n’est pas franchement meilleur. Il peut paraître plus vertueux de créer une banque dont les clients sont sociétaires comme la Caisse d’Epargne que de s’adresser à la BNPP. Mais il faudrait que les clients constatent une différence ! Je ne sais pas si par hasard vous avez eu l’occasion de comparer mais c’est très simple : il n’y en a pas ! À se demander où passe l’argent récupéré sous forme de dividendes par les actionnaires dans les banques traditionnelles ? Le service dépend en fait de chaque banque, voire de chaque succursale et se révèle parfois exécrable ou satisfaisant dans les deux cas.

Ne voilà pas tout de même que ces braves personnes ont récemment inventé, ou plutôt importé des États-Unis la RSE ou responsabilité sociale des entreprises dont la définition suit « La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est définie par la commission européenne comme l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties … » ce qui serait bien c’est que l’on précise déjà pour commencer qu’une entreprise doit remplir correctement son activité commerciale c’est-à-dire fournir un produit ou un service à un consommateur qui en a besoin dans des bonnes conditions de qualité de disponibilité, de prix…tout en permettant aux différentes parties qui la composent de vivre correctement (le bien-être des stake holders ou parties prenantes).

Pour être un tant soit peu objectif, parmi les entreprises qui ont choisi de tenter d’intégrer ce régime, beaucoup ont choisi des responsabilités pour le moins évanescentes[[« Développer une meilleure mobilité pour tous, durablement » « s’engager sur des pratiques responsables . »]], ce qui est dommage car une entreprise qui sait où elle va augmente considérablement ses chances de survie (et en général de profitabilité).

Surtout, avant de demander aux « loups » de se dissimuler derrière un objectif politiquement correct, on pourrait demander aux administrations (les agneaux) de faire un exercice similaire, lequel consisterait à préciser leur mission dans le cadre du sacro-saint « intérêt général », fourre-tout. À défaut de chiffre d’affaires ou de valeur ajoutée mesurable, on aurait au moins une fonction de chaque entité définie et susceptible de faire l’objet de quelques mesures dont a priori au moins un indice de satisfaction des « usagers ». Nos amis les Anglais, lesquels n’ont pas très bonne presse dans notre pays actuellement, ont tout de même inventé une sorte d’examen de passage de chaque administration à intervalles définis (trois ans il me semble) pendant laquelle cette dernière doit justifier devant des parlementaires de la qualité et du coût du service rendu.[[cela s’appelle je crois le NAO National Audit Office]] Nous avons bien la Cour des Comptes, laquelle fait plutôt bien son travail d’analyse, mais celle-ci a toujours refusé que ses avis dépassent la valeur d’observations pertinentes pour devenir des actions concrètes ou « obligatoires ».

 

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