La promesse
Les actions du gouvernement produisent des résultats opposés à la principale promesse électorale du candidat Macron. On a assez ironisé pendant la campagne électorale sur le paradoxal « En même temps ». Mais EM a continué pendant de longs mois à annoncer sa volonté – et sa capacité – à trouver des compromis politiques qui satisferaient à la fois les électeurs « de gauche » et « de droite » ou, plus spécifiquement sur le plan économique, les consommateurs, les investisseurs et les producteurs. Cette vision a joué un rôle clé dans son élection comme élément positif le plus moteur en sa faveur quand les partis traditionnels de gouvernement étaient soit embarrassés par leur candidat, à droite, soit incapables d’articuler des politiques remédiant à l’impuissance réformatrice des gouvernements passés. Car on ne devrait pas prendre les Français pour des autruches incapables de percevoir la sous-performance du pays que les dirigeants passés avaient tenté de masquer en développant les mesures démagogiques, l’endettement, l’enfumage, et en recherchant des donnant-donnant plus ou moins transparents en dehors de l’arène politique avec les acteurs sociaux. Il était bien naturel d’être attiré par l’idée de rafraîchir puissamment des politiques générales confuses, voire ésotériques en visant des résultats économiques et sociaux tangibles correspondant à des attentes majeures des citoyens.
Où en est-on ?
A mi-mandat, au lieu de la convergence attendue vers des progrès économiques et sociaux, c’est la désagrégation qui prévaut. L’insatisfaction des électeurs de droite et de gauche persiste, tout juste retenue par l’incapacité des leaders de chaque tendance à formuler une offre politique audible. Les extrêmes peuvent se contenter de proférer sans énergie excessive leurs vieux slogans réduits à leur plus simple expression. De nouveaux extrémistes ont surgi, hurlant spontanément leur frustration, degré zéro de l’action politique. En même temps le gouvernement, au lieu de s’attaquer avec sang-froid aux faiblesses archiconnues du pays, se croit habile en allumant de nouvelles braises qu’il n’a pas les moyens d’éteindre, ni économiquement ni sur le plan idéologique (écologisme radical, progressisme sociétal, égalitarisme tous azimuts, assistanat prioritaire, etc.)
Un facteur clé
Un tel décalage entre la promesse et les résultats ne saurait être minimisé comme tentent de le faire le président et le gouvernement. On en appelle à la pédagogie pour éclairer des citoyens ignorants et égarés que les bons maîtres vont ramener dans le droit chemin.
Alors que ce sont eux, les ignorants et les aveugles.
Ils continuent de penser qu’ils sont capables de trouver, seuls, dans leur grande compétence technocratique, les compromis où chacun trouvera son compte, peut-être pas complètement mais au moins dans un donnant-donnant compréhensible. C’est ainsi que fonctionnent toutes les démocraties qui nous environnent. C’est ainsi que l’Europe a réussi une convergence inimaginable il y a 50 ans.
On a imprégné des bons esprits de l’idée que l’Etat est seul capable de trouver le point d’équilibre optimal. Le tout arrosé de bonapartisme plus ou moins explicite.
Dans le mur en klaxonnant
Le pire n’est pas encore advenu. On se souvient du « bon mot » ciblant tel ministre qui fonçait « dans le mur » vers un échec assuré « en klaxonnant ». Nous y sommes presque, avec la réforme des retraites. Bien malin qui a compris l’objectif prioritaire visé. Justice ? Pérennité ? Modernisation ? Seule certitude, le nombre de mécontents sera bien supérieur à celui des ravis.
C’est persévérer dans l’erreur du début du quinquennat, et élargir le gouffre entre les décideurs du compromis et ceux qui en supporteront les effets. Alerte !
Mais la centralisation et la hiérarchisation inflexible du système français de gouvernement fait craindre pire encore. Faute de séduire, le parti présidentiel croit pouvoir gagner la prochaine élection présidentielle en renouvelant son duel avec le parti lepéniste. Surenchère hasardeuse comme le montrent les premiers sondages. Mais surtout, terrible aveu d’échec par rapport à sa stratégie de modernisation de 2017 qui accroîtra substantiellement les chances de succès de Marine Le Pen ou d’un substitut. Pour se faire réélire, il devrait coincer les électeurs devant une alternative indigne. Et un tel mépris séduirait ?
Sortir de l’impasse
Pourtant, rétablir la situation n’est pas impossible. Il suffit de rejouer la séquence initiale du quinquennat en évitant de tomber dans les mêmes pièges.
D’abord poser devant l’opinion publique le diagnostic des faiblesses du pays en le comparant à nos voisins et non plus aux échecs de nos gouvernements précédents. Le truc a marché une fois. Il ne suffira plus en 2022, de comparer des impuissances plus ou moins caractérisées.
Surtout, il faut rompre avec la fabrication technocratique de politiques publiques pour remédier à ces faiblesses. Le moment est venu d’ouvrir un débat compréhensible pour les citoyens sur les mesures clés dont on les a soigneusement tenus à l’écart : durées du travail, financement des retraites, distorsion de concurrence en faveur des services publics d’enseignement ou de santé, clarté des responsabilités des échelons de l’administration locale, etc. Il s’agit bel et bien de comparer la réforme et le statu quo du point de vue des citoyens de la façon la plus claire possible. Et de demander aux élus ou aux candidats à l’élection, de proposer le menu des compromis acceptables par les électeurs et capables de diminuer l’emprise étatiste sur nos destins individuels. Il faut bien constater que la délégation à l’Etat du choix des dépenses et aussi des revenus des citoyens, a conduit à une croissance régulière de l’asservissement des citoyens, et cela dans des proportions inconnues ailleurs. Plus de 48% de prélèvements obligatoires ; nous ne sommes libres qu’à moitié. Sans aller jusqu’à une révolution libérale (qui sera pourtant peut-être inévitable dans un avenir prochain), il faut aboutir à une correction du curseur en baissant les prélèvements obligatoires et en reconnaissant l’importance de la responsabilité individuelle.
Il s’agit donc de renouveler radicalement le débat démocratique dans notre pays en nous éloignant des stéréotypes et de l’idéologie pour mettre l’Etat au service des aspirations des citoyens, à l’inverse de la situation actuelle. Incontestablement, si Emmanuel Macron mettait au service de cette ambition authentiquement réformatrice, sa virtuosité technocratique, les chances de succès de la France seraient fortement accrues. Ainsi que sa place dans l’Histoire aujourd’hui gravement compromise. Si toutefois il ne relevait pas ce défi, il n’est pas interdit d’espérer que des audacieux s’empareraient de cette ambition de reconnexion avec les Français.
2 commentaires
La clairvoyance et le courage lui manque
Excellente analyse…en conclusion il faut parler « vrai » comme Rocard savait le faire!
Et avec un peu de courage EM pourrait sortir de l’Impasse!
Peut-on raisonnablement penser que le débat démocratique permettra de sortir de l’impasse ?
Je suis d’accord avec le diagnostic, et notamment sur le risque que prend Macron en misant tout sur l’opposition avec Le Pen; je crains malheureusement que le remède pour sortir de l’impasse relève d’un optimisme un peu béat. J’engage à lire l’essai de Jérôme Sainte Marie « Bloc contre contre bloc. La dynamique du macronisme », où l’auteur (interviewé dans la Figaro magazine du 8 novembre), explique que le chef de l’Etat a recréé une lutte des classes d’un genre particulier (non marxiste), où s’opposent un bloc « élitaire » et un bloc « populaire ». Je doute fortement que le premier puisse manier la pédagogie efficacement et « renouveler le débat démocratique ».
J’ai été frappé par un récent documentaire télévisuel (« la fabrique de la révolte ») montrant la réaction des habitants du Puy lors de la visite impromptue de Macron après la mise à sac de la Préfecture. Visite écourtée sous les huées des habitants traitant Macron d' »ordure », « enculé », criant « démission » et « à mort ». Une réaction absolument spontanée de la population ! Même si casseurs et Gilets jaunes ne constituent pas une même population, il n’en reste pas moins que chacune a besoin de l’autre pour exister, voire pour s’encourager mutuellement, ce qui n’augure pas bien des futures manifestations. Je ne crois pas que le feu ait été éteint par les milliards jetés pour seulement l’étouffer provisoirement.
Autrement dit on constate une fracture sociale nouvelle, certes inattendue, auquel Macron ne peut pas grand-chose, et dont le fondement est une intolérance aux inégalités, elle-même causée par le sentiment d’un déclin inéluctable, ou tout au moins d’un arrêt du progrès social et d’une absence de la mobilité sociale, que l’on peut dater de 2008 après plus d’un demi-siècle d’une progression remarquable dont la France entière a pu profiter. Mais lorsque cette progression fait place – au mieux – à la stagnation, ce n’est plus pareil. Et la prise de conscience populaire de la stagnation s’accompagne, comme le relève Jacques Attali, de la conviction que les riches, eux, s’en sortiront toujours, quelles que soient les difficultés à venir.
Emmanuel Macron paie le prix de décennies d’absences de réformes de fond, que la croissance aurait pu rendre possibles. Maintenant que la conjoncture s’est retournée et que l’incertitude gagne partout (que va-t-il en être de la transition énergétique dont on n’entend plus parler ?), les Français sont d’autant moins disposés à entendre vanter la nécessité de réformes qui feront inéluctablement des perdants. Le discours élitaire est certainement raisonnable, mais il risque fort d’être inaudible. Le 5 décembre se rapproche, ce sera une épreuve de force bien plus qu’une démarche vers un consensus.