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Les depenses publiques en France (2ème partie)

par Philippe Baccou
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Nous avons vu, dans l’article précédent, que le surcroît important (environ 8 points de PIB) des dépenses publiques en France par rapport à nos partenaires de l’Union européenne ne s’explique que très partiellement par le poids des dépenses de personnel public.

L’analyse des dépenses publiques par fonction, plus globale et plus complète, fournit de meilleurs éléments d’analyse. Le surcroît de dépenses publiques de la France, faible ou peu significatif pour certaines fonctions, est important pour d’autres. En approfondissant cet examen, on voit apparaître quelques surprises, notamment en ce qui concerne la comparaison France-Allemagne.

3) D’une fonction à l’autre, des disparités variables entre la France et ses voisins.

Les statistiques des comptes nationaux disponibles sur Eurostat permettent de comparer, entre la France et ses partenaires de l’UE, les dépenses publiques par fonction. Ces dépenses sont présentées selon la nomenclature internationale dite COFOG (Classification Of the Fonctions Of Government, « Classification des fonctions des administrations publiques »). Des conclusions ne doivent être tirées de ces chiffres qu’avec une certaine prudence, car leur comparabilité n’est pas toujours également assurée.

a) Défense.

Le tableau ci-dessous met en regard, pour 2023, deux séries de données sur les dépenses de défense, exprimées en % du PIB :

*les chiffres issus d’Eurostat (dépenses publiques totales de défense, dépenses publiques de personnel de défense) ;

*les chiffres fournis par le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), organisme reconnu, qui publie un annuaire statistique et dont les données sont généralement en phase avec celles de la CIA américaine (Central Intelligence Agency).

2023Eurostat dépenses pub. défense (% PIB)Eurostat dépenses pub. pers. défense (% PIB)SIPRI dépenses défense (% PIB)
UE1,30,6
Allemagne1,10,41,5
Espagne0,90,51,5
France1,80,72,1
Italie1,20,71,6
Pays-Bas1,30,61,5
Pologne2,10,93,8

Les estimations d’Eurostat diffèrent nettement de celles du SIPRI et de la CIA, avec un écart particulièrement surprenant pour la Pologne. En mars 2025, la Commission européenne a néanmoins confirmé que la nomenclature COFOG qu’elle utilise est pertinente pour définir le périmètre des dépenses de défense qui pourrait être concerné par l’assouplissement des règles de surveillance des budgets des pays membres.

Quel que soit l’indicateur retenu, il apparaît que la fonction « défense » expliquait en 2023 un écart d’au moins 0,5 point de PIB dans le poids des dépenses publiques en France, tant par rapport à la moyenne de l’UE que par rapport à l’Allemagne.

Cette situation n’est pas nouvelle. Elle s’explique, mais seulement de façon très partielle, par l’arme nucléaire, que la France est la seule à posséder dans l’Union européenne. Pour la défense conventionnelle, l’effort français est également supérieur à l’effort moyen des pays de l’Union.

Un décrochage prononcé de l’effort de défense allemand par rapport à celui de la France est apparu au cours des années 1990-2000 et s’est maintenu pendant plus de 20 ans. Je renvoie, sur ce point, à mon article publié par l’IRDEME, en août 2022, sous le titre « Le Titanic européen, ses passagers clandestins et ses profiteurs ». J’y pointais le « pacifisme irresponsable » de l’Allemagne avant que les dirigeants politiques de ce pays en prennent pleinement conscience sous la pression des évènements.

On notera, au passage, qu’un écart de 0,3 point, résultant de cette divergence des politiques de défense, s’est creusé entre la part des dépenses de personnel militaire dans le PIB de la France et de l’Allemagne. Dans le contexte actuel, cet écart s’interprète comme un sous-dimensionnement de l’effectif des personnels publics allemands de défense, plutôt que comme un surdimensionnement des effectifs français. L’Allemagne semble avoir compris la nécessité d’accroître ses effectifs militaires. Si elle le faisait, cela réduirait d’autant (0,3 point de PIB) le surcroît des dépenses publiques de personnel en France par rapport à ce pays.

b) Affaires générales.

Ce poste comprend notamment les pouvoirs publics (Parlement, pouvoir exécutif), les administrations financières (y compris le service de la dette), la diplomatie et l’aide à l’étranger.

Globalement, on ne constate pas de différence marquée de la France avec la moyenne européenne, ni avec l’Allemagne.

Pour le service de la dette, la France dépensait en 2023, par rapport à son PIB, nettement plus que l’Allemagne et les Pays-Bas, États moins endettés et empruntant à de meilleurs taux. Mais ce constat ne vaut pas par rapport à l’UE tout entière. En 2023, la France se situait, ni plus ni moins, dans la moyenne européenne, en compensant son endettement plus élevé que la moyenne par des taux d’intérêt plus avantageux.

2023Eurostat dépenses pub. aff.générales (% PIB)Eurostat dépenses pub. dette (% PIB)
UE5,91,8
Allemagne6,11
Espagne5,72,5
France6,21,8
Italie7,43,8
Pays-Bas3,60,7
Pologne4,92,2

c) Ordre public, sécurité publique.

Cette fonction inclut notamment la police, la gendarmerie, la justice et les prisons. Pas de différence marquée ni avec l’Allemagne, ni avec la moyenne européenne.

2023Eurostat dépenses pub. ordre sécurité (% PIB)
UE1,7
Allemagne1,6
Espagne1,8
France1,7
Italie1,7
Pays-Bas1,8
Pologne2,3

d) Affaires économiques.

Ce poste inclut notamment l’agriculture et la pêche, l’énergie, l’industrie, la construction et les transports.

2023Eurostat dépenses pub. affaires économiques (% PIB)
UE5,8
Allemagne5,8
Espagne5
France6,3
Italie5,8
Pays-Bas5,1
Pologne7,5

Cette fonction expliquait en 2023 un écart de 0,5 point de PIB de dépenses publiques entre la France et la moyenne de l’UE, ainsi que l’Allemagne. 

Vis-à-vis de l’Allemagne, cet écart résulte, pour environ 0,3 point de PIB, de la convention comptable applicable aux crédits d’impôt dits restituables.

Ces crédits d’impôt, considérés en totalité comme des subventions, viennent augmenter les dépenses publiques comptabilisées dans les comptes nationaux. Nuls en Allemagne, les crédits d’impôt représentaient en 2023 environ 0,7 % du PIB en France, dont une bonne part imputée en dépenses de la fonction « affaires économiques » : crédit d’impôt recherche (CIR), crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

Cette convention comptable n’a été introduite dans la comptabilité nationale française qu’à partir des années 2010, pour se conformer aux normes européennes en la matière (nouveau système européen des comptes nationaux, dit SEC 2010, appliqué en France en 2014). Cela ne signifie pas pour autant que, de ce fait, la comparaison avec l’Allemagne soit faussée : économiquement, il est justifié de traiter ces crédits d’impôt comme des subventions, donc comme des dépenses publiques et non des réductions d’impôt.

e) Protection de l’environnement.

Les dépenses publiques de cette fonction restent d’un poids relativement modeste.

La France, toutefois, dépense 60 % de plus que l’Allemagne (0,4 point de PIB) et 25 % de plus que l’Union européenne.

2023Eurostat dépenses pub. protection environnement (% PIB)
UE0,8
Allemagne0,6
Espagne1
France1
Italie0,9
Pays-Bas1,5
Pologne0,7

f) Logement et équipements collectifs

Cette fonction inclut notamment les aides à la pierre et à la rénovation énergétique, ainsi que l’aménagement urbain.

En 2023, elle a été très fortement impactée en Italie par l’imputation en dépense publique d’un crédit d’impôt massif, ce qui a aussi contribué à relever sensiblement la moyenne européenne. En l’absence de cet évènement, le poids des dépenses publiques françaises pour cette fonction excèderait plus nettement la moyenne européenne, comme c’est le cas avec l’Allemagne, avec laquelle l’écart atteint 0,8 point.

2023Eurostat dépenses pub. logement équipement collectif (% PIB)
UE1,2
Allemagne0,5
Espagne0,5
France1,3
Italie4,3
Pays-Bas0,6
Pologne0,7

g) Santé

Cette fonction n’inclut que les prestations en nature. Les prestations en espèces (remplacement du revenu) sont comprises dans la fonction « protection sociale » (voir ci-après).

Les montants en jeu et les écarts de dépenses publiques deviennent ici plus importants. Selon les chiffres d’Eurostat, la France aurait dépensé en 2023 1,6 point de PIB de plus que l’UE et 1,4 point de plus que l’Allemagne.

La mesure de ces écarts, toutefois, n’est pas la même si l’on considère, non pas les seules dépenses publiques de santé (colonne de gauche ci-dessous), mais l’ensemble des dépenses de santé, publiques et privées (colonne de droite, données disponibles seulement pour 2022 ; source Eurostat, online data code: hlth_sha11_hf).

Eurostat dépenses pub. santé (% PIB 2023)Eurostat dépense courante de santé (% PIB 2022)
UE7,310,4
Allemagne7,512,6
Espagne6,69,7
France8,911,9
Italie6,58,9
Pays-Bas710,1
Pologne5,76,4

L’écart du niveau de dépense entre la France et la moyenne européenne reste du même ordre de grandeur lorsqu’on passe des seules dépenses publiques aux dépenses totales de santé. En revanche, avec l’Allemagne, le sens de cet écart s’inverse. Les administrations publiques françaises dépenseraient plus pour la santé, en % du PIB, que les administrations allemandes (+ 1,4 point), mais, en proportion de ce même PIB, la France dans son ensemble dépense moins pour la santé que l’Allemagne (- 0,7 point). Cela apparaît lié à une différence du mode de financement des dépenses de santé dans les deux pays : 75 % de dépenses publiques en France (ratio 8,9 / 11,9), seulement 60 % en Allemagne (ratio 7,5 / 12,6).

Cette part plus importante du financement privé de la santé en Allemagne ne semble pas avoir permis de rendre le système de santé allemand plus performant que celui de la France. En effet, non seulement ce système est plus cher en proportion du PIB, mais ses résultats de base -améliorer l’espérance de vie, maintenir plus longtemps la population en bonne santé- sont moins bons que ceux de la France : en 2023, l’espérance de vie des Français à la naissance était supérieure de près de 2 ans à celle des Allemands ; en 2022, l’espérance de vie en bonne santé était en France de 65,5 ans pour les hommes, contre 64,7 ans en Allemagne (données INSEE).

h) Activités récréatives, culture, religion.

Outre la culture, cette fonction inclut les sports et l’audio-visuel, ainsi que les subventions aux cultes et la rémunération éventuelle du clergé. La France se situe à un niveau certes modeste en proportion du PIB, mais supérieur de 0,3 point à celui de l’UE et de 0,5 point à celui de l’Allemagne.

2023Eurostat dépenses pub. culture (% PIB)
UE1,2
Allemagne1,0
Espagne1,2
France1,5
Italie0,8
Pays-Bas1,1
Pologne1,3

i) Éducation.

En proportion du PIB, les dépenses publiques consacrées à cette fonction excèdent de 0,3 point celles de l’UE et de 0,5 point celles de l’Allemagne.

2023Eurostat dépenses pub. éducation (% PIB)
UE4,7
Allemagne4,5
Espagne4,2
France5,0
Italie3,9
Pays-Bas4,9
Pologne5

Comme pour la santé, il conviendrait d’examiner dans quelle mesure ces différences de poids de dépenses publiques résultent d’un partage différent, selon les pays, entre dépenses d’éducation publiques et privées. Malheureusement, les données chiffrées disponibles sur le poids des dépenses totales d’éducation dans les pays européens ne peuvent guère être mises en relation avec celles d’Eurostat sur les dépenses publiques de la fonction « éducation ». Les derniers chiffres publiés par l’OCDE concernent l’année 2021. Ils paraissent sous-évaluer les dépenses totales d’éducation dans une proportion variable selon les pays : pour la Pologne, ainsi, selon l’OCDE, les dépenses totales d’éducation auraient représenté 4,6 % du PIB en 2021, alors que, selon Eurostat, les seules dépenses publiques de la fonction éducation auraient atteint la même année 4,9 % de ce même PIB.

En se limitant aux seules dépenses publiques, faut-il considérer comme excessif le poids des dépenses d’éducation en France par rapport à celui de l’Allemagne ? Nullement, si l’on prend soin de rapporter ces dépenses au stock de leurs bénéficiaires, c’est-à-dire, grosso modo, à la population âgée de 0 à 24 ans. En 2023, cette tranche d’âge représentait 29 % de la population française et seulement 24 % de la population allemande. En utilisant des dépenses publiques à hauteur 5 % de son PIB pour éduquer 29 % de sa population (ratio de 0,17), la France est plus économe des deniers publics que l’Allemagne, qui consacre 4,5 % de son PIB en dépenses publiques pour éduquer 24 % de sa population (ratio de 0,19).

Qui plus est, cette moindre dépense n’est pas clairement associée à une moindre performance du système éducatif français par rapport à celui de l’Allemagne. Selon la dernière enquête PISA (2022), les différences des scores moyens des Français et des Allemands sont devenues non significatives ou faiblement significatives pour les trois catégories de tests standardisés -maths, lecture et sciences- pratiqués sur les jeunes de 15 ans lors de cette enquête.

(PISA 2022)Score moyen mathsScore moyen lectureScore moyen sciences
Allemagne475480492
France474474487

j) Protection sociale.

Cette fonction se distingue de la plupart des précédentes par la composition de ses dépenses : les dépenses de pure redistribution monétaire (« prestations en espèces ») y occupent une part très prépondérante par rapport aux prestations de biens et services publics.

En 2023, on observe, pour la protection sociale, un écart de 4,2 points de PIB entre la France et la moyenne de l’UE, de 3,7 points entre la France et l’Allemagne. Ces différences sont importantes. Elles représentaient respectivement plus de 50 % et plus de 40 % des écarts globaux du poids des dépenses publiques, rapporté au PIB, entre la France et ces deux entités.

2023Eurostat dépenses pub. protection sociale (% PIB)
UE19,2
Allemagne19,7
Espagne18,5
France23,4
Italie21,1
Pays-Bas16,2
Pologne16,9

C’est donc, principalement, les dépenses de protection sociale qu’il convient d’examiner pour expliquer le surcroît de dépenses publiques en France.

C’est ce que nous verrons plus en détail dans le troisième et dernier article de cette série.

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2 commentaires

moulin juin 2, 2025 - 6:33 am

Indispensable décorticage ! Merci !

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zelectron juin 2, 2025 - 12:42 pm

2 millions de fonctionnaires* véritables parasites de l’état (il est certain que le tri est très difficile) mais ce boulet d’un poids gigantesque tue nos entreprises productives, quand cela cessera-t-il ?
8000 milliards € ! de quoi rembourser notre dette et ce qui est sous le tapis.
Ne pas croire qu’on va laisser les élus continuer à massacrer notre pays :
la moitié d’entre eux doivent impérieusement dégager, 680 000 aux dernières nouvelles réduits à 340 000, ouf on va pouvoir respirer !

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