Je n’avais été admis à créer cette commission d’audition des Investisseurs Providentiels que parce que j’ai été haut fonctionnaire (entendez issu de l’ENA et ayant passé trois mois, la période des vacances, à la sortie de l’École, au ministère de la Marine marchande, avant de partir dans le secteur marchand). Sans cette distinction qui me fait appartenir aux « camarades », j’aurais été vraisemblablement jeté dehors.
Cela est arrivé à l’Élysée où, dans la foulée de mon déjeuner sur l’herbe, j’avais demandé à être reçu par de directeur adjoint du cabinet, Jean-François Cirelli ; celui-ci m’avait renvoyé sur un nommé Pierre Merviel, Inspecteur des finances, dont on peut se demander à quel titre, à l’Élysée, il était chargé, entre autres, des PME et des créations d’entreprises.
Assez grand bureau donnant sur le faubourg Saint Honoré : personnage lisse, indéchiffrable, aussi passionné pour mon sujet et la création d’entreprises que moi-même le suis pour la culture des endives[[Que les âmes jardinières me pardonnent !]]. Entretien minuté d’une demi-heure, mais dans l’ensemble très courtois.
Très différent de celui accordé quelques jours plus tard – et totalement indépendant du mien – aux représentants de Contribuables Associés, venus déposer des pétitions pour les réductions d’impôts, et que Merviel avait tout simplement mis à la porte.
Le comportement de nos hauts fonctionnaires est en effet très différent suivant que vous appartenez au clan ou que vous n’y appartenez pas. Dans ce cas, vous êtes du privé, et tout ce que vous pouvez apporter c’est un témoignage, une contribution si on vous le demande ; mais pas question de vous mêler de proposer des solutions ou, pire, de définir des politiques publiques ; vous débordez sur ce qui est leur chasse gardée, ce pourquoi ils ont été choisis, après des études longues et des concours difficiles, et vous n’êtes manifestement pas qualifiés.
L’inconvénient, c’est que même avec le pédigrée approprié qui était le mien, les thèses que je défends et qui visent à faire davantage confiance à l’initiative privée, parce qu’elles aboutissent à réduire le nombre de fonctionnaires et donc leur pouvoir, sont pour la fonction publique un anathème et il n’est jamais rien sorti de ces entretiens, aussi courtois soient-ils.
J’appartenais à l’autre monde, celui que la haute administration se doit de contrôler, orienter, guider, mais qui ne suit pas ce qui est bon pour lui et pour la collectivité alors qu’eux savent ; c’est leur métier et ils sont payés pour cela.
Pire : devant tout rapport ou toute mesure, chacun d’entre eux s’interroge d’abord sur les conséquences sur sa carrière, s’il pourra se faire remarquer ou au contraire critiquer pour les rapports ou recommandations qu’il formule.
L’idée que le secteur privé puisse donc intervenir dans ce jeu difficile, et qu’il puisse exister des citoyens qui n’ont comme objectif que l’intérêt général (ou même la défense du secteur privé contre les razzias du secteur public), ou qui sont payés par le secteur privé pour rechercher comment poursuivre cet intérêt général, leur apparaissait et leur apparaît encore comme hérétique.
Cette idée est fort répandue dans les pays anglo-saxons ou nordiques où les think-thanks existent de longue date et sont nombreux. En France, nous nous heurtons encore à ce préjugé que l’État a créé des écoles comme l’ENA pour former des mandarins, les élites dirigeantes, et que c’est une atteinte à l’autorité de l’État que de se mêler de leurs affaires.
Symbole de cette muraille : bien que les revues des grandes écoles fassent régulièrement recensions des livres écrits par leurs anciens élèves, la revue des Anciens Elèves de l’ENA n’a jamais cité un de mes livres, même ceux qui ont été parmi les bests-sellers.
Cette muraille a des répercussions beaucoup plus graves lorsqu’à la clé, ce sont les mesures concernant la création d’emplois qui sont en cause.
Pour un colloque organisé dans la salle Colbert de l’Assemblée nationale le 17 septembre 2003, sous le parrainage de Charles de Courson, député de la Marne, nous avions fait réaliser une étude qui clairement reliait la cause de l’atonie des créateurs d’emploi à l’ISF, et montré que cela se traduisait – et se traduit encore – par un retard d’au moins 100.000 emplois perdus par an par rapport aux Anglais. De quoi expliquer une grande partie des 6 ou 7 millions d’emplois marchands qui manquent en France.
C’est non seulement le budget qu’on ne peut plus mettre en équilibre, les retraites que l’on a du mal à payer, mais des milliers de jeunes qui ne trouvent pas d’emplois et dont la vie est sacrifiée.
Devant le silence de l’administration, nous avons obtenu qu’un groupe de députés écrivent au ministre du budget, Alain Lambert, et au secrétaire d’État aux PME, Renaud Dutreil, pour leur proposer de faire une réunion avec les fonctionnaires de leur administration, et discuter ces conclusions.
Trois semaines plus tard, lettre fort aimable de Dutreil, renvoyant la question sur le ministre des Finances et une semaine après, lettre de 5 lignes, fort sèche, d’Alain Lambert, réaffirmant que la question était parfaitement sous contrôle et donc un rendez-vous pas nécessaire.
Cette attitude est absolument dramatique, non seulement parce que le privé n’est pas écouté, mais parce que l’administration n’y connaît rien, car elle est peuplée de gens qui n’ont jamais eu l’expérience du secteur privé. Ceci explique que la plupart de nos décisions marchent sur la tête.