À l’occasion du débat sur les retraites, resurgissent de vieux débats sur l’entreprise, le travail et le sens. La résistance surprenante des Français, actifs ou non, devant la nécessité, au moins temporaire, d’allonger quelque peu leur vie active peut se comprendre si l’on n’intègre pas une attitude nouvelle vis-à-vis du travail. C’est au moment où celui-ci tend à disparaître devant l’intelligence artificielle (le temps de travail sur la vie éveillée continue globalement à décroître), au moment où quasiment toute pénibilité au moins physique a disparu devant la mécanisation, et lorsque ses fruits sont les plus extraordinaires (jamais aucune civilisation n’a donné le niveau de vie moyen dont nous jouissons dans les pays dits développés) que la population se braque brutalement devant une gestion responsable de déséquilibres démographiques prévisibles.
Le refus du travail : la fin de la nécessité !
Le travail est-il naturel ? On pourra se poser la question longtemps, mais ce qui est certain c’est que le premier instinct de l’humain, comme d’ailleurs de tous les êtres vivants, est la survie et que pour survivre il faut manger, mais aussi s’habiller, se loger, se déplacer etc. et que tout cela ne peut s’obtenir qu’en échange d’un travail. Le travail s’est non seulement imposé comme une nécessité, mais ainsi que son origine, tripalium, l’indique, plutôt comme une punition que comme une récompense. N’en déplaise à Rousseau et à quelques thèses plus récentes il paraît peu probable que la vie de l’homme des cavernes ait été en définitive oisive, tant sa sécurité alimentaire ou physique était menacée. Une fois un premier niveau de vie atteint, il n’a eu de cesse de l’élever au fur et à mesure de ses innovations et possibilités. On constate d’ailleurs chaque jour la croissance exponentielle des besoins vitaux de l’homo économicus lesquels se retrouvent inéluctablement dans le travail à fournir. Si vous voulez obtenir une quelconque amélioration dans une situation de notre société, il suffit aujourd’hui de la qualifier d’indigne ! Ceci permet d’entretenir, un peu artificiellement il est vrai, la notion de nécessité même si le développement durable commence à contester cette éternelle course à l’échalote.
Le refus du travail : l’installation systématique de pare feux collectifs
En parallèle l’homme a installé dans le cadre d’un principe de précaution généralisé toute sorte de mécanismes de protection pour parer une éventuelle défaillance dans sa capacité de survie. Une première raison du refus du travail est probablement aujourd’hui une modification de la gestion de la nécessité, laquelle est reportée sur la collectivité, c’est-à-dire sur le travail des autres. On ne compte plus le nombre d’allocations de chômage, de revenu insuffisant, d’inflation, ou autres qui permettent de se glisser en tout ou partie au travers du filet du travail. Accessoirement ces systèmes permettent souvent la création et le développement de nouvelles activités qui répondront à de nouveaux besoins ou des idées de réalisation originales. Le plus puissant de ces pare feux est l’existence d’un système de retraites organisé confortable mais malheureusement chancelant face à l’évolution de la natalité.
Le refus du travail : la promotion du loisir
Dans le même temps l’homme a pu tester de plus en plus souvent des périodes de non travail qu’il a appréciées à leur juste valeur, renforçant le côté punitif, perçu comme injuste de cette situation. Ceci d’autant plus que le rapport au travail était tout sauf homogène : untel travaillait dur pour un maigre salaire quand d’autres en étaient déjà quasiment aux vacances perpétuelles. Promouvoir, et permettre, le loisir ? Existe-t-il une manière plus élégante de
contester la nécessité du travail ?
Conclusion intermédiaire : le travail est-il en voie de disparition ?
Probablement pas ! Les machines ont beau être de plus en plus puissantes, l’intelligence artificielle se développe (mais on ne ressort en général de son application que ce que des gens y ont introduit) il y a fort à parier qu’il restera un reste à faire ne serait-ce que parce que la frontière entre le travail (au sens rémunéré du terme) et l’activité sera très difficile à tracer. Prenons par exemple dès aujourd’hui le phénomène des aidants des personnes handicapées par la maladie ou l’âge tout simplement : si la personne qui assure cette tâche est un membre de la famille, cela reste une activité ; si la tâche est confiée à un tiers cela devient un travail … Une multitude d’entre nous développe des activités bénévoles dans le cadre de ses passions ou de ses loisirs qui pourraient être qualifiées de travail mais ne le sont pas car effectuées sur la base d’un volontariat ou de la simple recherche d’une occupation. Une personne avisée a d’ailleurs fait remarquer que le recul de la retraite entraînerait une baisse du bénévolat : oui probablement au moins temporairement.
Ce qui est possible c’est qu’il continue à diminuer globalement et qu’un jour se pose la question de son lien historique avec la rémunération. Question qui reste entière !
Du travail obligatoire à l’activité volontaire :
Le choix de l’activité : « des goûts et des couleurs on ne discute point » pas plus d’ailleurs que des aptitudes des uns et des autres à telle ou telle activité. Il paraît clair néanmoins que l’adéquation entre ces deux paramètres au vu des résultats constatés, peut être très aléatoire. Un travail profond sur l’égalité des chances au niveau de l’éducation et de la formation (en particulier permanente) est certainement encore à mener. Faut-il tout de même que chacun y mette du sien : la société en permettant à tout un chacun de choisir librement sa voie et en lui donnant les moyens d’y parvenir. Au postulant de fournir les efforts nécessaires pour y arriver, et ils peuvent être très importants. Ne jamais oublier que les diplômes usurpés se révèlent le plus souvent très défavorables face à la réalité d’un métier. Une autre piste à travailler est certainement la connaissance des métiers et de soi-même : on ne compte plus les dynasties familiales de médecins ou de boulanger, largement décalées par rapport à l’intérêt effectif des individus concernés. Peu d’énergie est consacrée à la sélection de son métier lequel va pourtant vous accompagner toute votre vie. L’immense variété des possibilités rend aujourd’hui difficile un choix raisonné et raisonnable. La voie de l’apprentissage qui s’est bien développée récemment est certainement à encourager. Organisons le passage progressif du travail punition vers l’activité choisie.
Le sens : La loi européenne, via la Responsabilité Sociale et Environnementale, ainsi que la loi française via la loi PACTE, associée à la création possible d’Entreprise à Mission ont tenté d’infléchir le côté punitif du travail vers la participation volontaire à une activité d’intérêt général, collectif et social. On constate certes aujourd’hui un intérêt marketing pour ce genre de démarche laquelle séduit beaucoup de jeunes en particulier mais les déçoit souvent dans la durée. Pour ma part il me semble qu’il y a une large erreur sur le contenu de la proposition. Dans ce cadre, beaucoup de sociétés mais d’ailleurs aussi les O.N.G. proposent à tout un chacun de sauver le monde et de devenir un Docteur Schweitzer au petit pied. Malheureusement pour le vulgum pecus, le docteur Schweitzer ou Martin Luther King, où Jeff Bezos ou Steve Jobs, ou Kylian Mbappé sont des individus exceptionnels que la plupart d’entre nous n’imiterons jamais et aucune ONG n’a résolu tous les problèmes d’un coup. Nous proposons, à défaut de devenir un génie universel reconnu, de devenir quelqu’un qui est une pièce utile dans le grand puzzle de la société. Un boulanger qui fait un bon pain en temps et en heure, un chauffeur d’autobus qui transporte ses concitoyens, un avocat qui les défend sont des pièce utiles et nécessaires et leur activité a son sens. De la même manière les Resto du cœur servent des repas à ceux qui ont faim : c’est louable et utile. A chacun de choisir et prouver qu’il répond bien, comme d’ailleurs, les entreprises, à une fonction économique et sociale utile. Dans tous les cas sa carence sera ressentie ce qui est la première forme de reconnaissance. Nous avons tous en tête le souvenir de tel ou tel individu, professeur ou épicier, voire un produit ou une situation, qui a compté dans notre vie ou notre enfance.
La carrière : un individu, plus généralement, a besoin de pouvoir se projeter dans l’avenir et dans une trajectoire évolutive. Si l’on veut que les jeunes réévaluent le travail qui leur est proposé comme séduisant, la possibilité d’évolution est un élément important, voire nécessaire. La plupart d’entre nous se projette dans l’avenir et veut pouvoir imaginer des améliorations possibles. Il importe donc, comme nous le verrons plus tard pour le salaire, d’étaler cette vision dans le temps. C’est d’ailleurs une des raisons de l’existence des primes d’ancienneté récompensant certes la fidélité mais introduisant également une évolution possible laquelle doit être complétée chaque fois que possible par des éventualités de changement de poste, au vu des résultats effectifs et constatés de l’individu en situation de travail.(Vive la validation des acquis professionnels)
Les conditions de travail : bien entendu le travail accepté dans une atmosphère confiante voire chaleureuse, mais qui peut être aussi excitante ou stimulante est un facteur déterminant d’adhésion et de fidélité. A chacun, employeur comme employé de tenter de faire coïncider sa situation avec ses goûts personnels. Ce n’est pas toujours facile et demande parfois plusieurs essais. Il me semble aussi que l’authenticité et l’honnêteté sont des éléments nécessaires : il est difficile d’adhérer avec enthousiasme à un contrat biaisé par la mauvaise foi de l’un ou l’autre des partenaires, voire des deux. Dans le cas des start-upers ou des auto-entrepreneurs, c’est chacun qui définira ses propres conditions de travail en liberté relative (les contraintes du métier et de la concurrence seront présentes) Ceci explique peut-être le nombre croissant de jeunes qui malgré les difficultés souhaitent devenir leur propre patron.
La durée et la flexibilité du travail : à l’intérieur des conditions de travail, de facto, sa durée, journalière, hebdomadaire, mensuelle, annuelle voire sur une vie complète est un facteur important d’adhésion y inclus la flexibilité et le télétravail possible ou obligatoire. L’épisode COVID que nous avons tous vécu a largement ouvert les solutions possibles et imaginables. Comme pour les autres conditions de travail cela devrait être une recherche commune sans a priori d’un optimum entre employeurs et employés. Les limites seront plutôt du côté de l’administration qui aura parfois des difficultés à gérer des situations particulières (droits à la retraite par exemple ou des horaires aménagés).
La rémunération : c’est bien évidemment un élément central de l’attrait d’un travail puisque notre équilibre économique personnel va le plus souvent complètement en dépendre. Curieusement, bien souvent, les candidats se sont peu ou mal renseignés sur la rémunération usuelle du travail qu’ils ont choisi par le marché. À ce stade en effet on se trouve confronté à un marché et à la loi historique de l’offre de la demande. Un salaire correspond en général à des compétences, à leur rareté et/ou disponibilité, ainsi que dans certains cas à une prise de risque. Chacun préférera une rémunération plus élevée, plus certaine (des situations comportent parfois des parties conditionnelles : objectifs, etc…) si possible stimulante. Des compléments de type participation et intéressement aux résultats, souvent proposés dans les grandes structures seront également appréciés. Les formes peuvent être extrêmement variées. La caractéristique particulière de la rémunération est que celle-ci va venir s’agréger dans les coûts de l’entreprise et intervenir dans sa compétitivité. La latitude de l’employeur dans ce domaine est donc quelque part un peu bornée mais peut être contournée par la performance et les résultats. On ne saurait trop recommander à un employeur de se situer correctement dans le marché s’il veut recruter de bons candidats et les conserver, car comme pour la carrière (laquelle influe bien entendu sur la rémunération), l’évolution constatée et potentielle de cette dernière est un facteur majeur d’attraction des candidats.
Le rôle de l’entreprise : l’entreprise a toujours deux compromis à gérer : le premier entre l’économique et le social, le second entre le court et le moyen/long terme.
À court terme, elle doit assurer sa compétitivité et la composante coût sera souvent privilégiée au détriment des préoccupations sociales. À plus long terme elle a besoin de compétences, de durée, de stabilité qui ne pourront lui être apportées que par une politique sociale attractive. C’est tout le mérite d’un management performant de maîtriser ces équilibres et de ce point de vue, un patron doit être une sorte d’alchimiste ou de chef d’orchestre qui, mixant et dosant ces différents paramètres atteint l’objectif économique et social de son entreprise : être une pièce pertinente et reconnue du puzzle de la société et avoir des résultats positifs pour ses actionnaires et des salariés satisfaits de leur activité et de leur rémunération, maintenant et demain[[60% des français seraient satisfaits de leur travail ! Sondage]].
2 commentaires
Ne pas craindre les bruyants non représentatifs
Long exposé raisonnable que partagent probablement une bonne majorité . Les brayards bruyants sont ils majoritaires ? Les opposants à la réformette sont d’abord des opposants au président. Mais peut être aussi au fait que les sondés n’ont pas eu à choisir entre différentes options pour compenser pour quelques années ce que l’on sait des ‘évolutions de la population en age de travailler et des retraités.
Pour ce qui est du sens … la stagnation du PIB depuis plus d’une décennie rend plus pénible encore les efforts que chacun est obligé de faire là où il est. La croissance la croissance la croissance ! là où nous saurons la redémarrer redonnera envie de « jouer » à la majorité des participants.
Entreprise, travail et sens
Si l’allongement de la durée de prélèvement des cotisations sur le travail ne servait qu’aux intéressés je serais parfaitement d’accord mais du fait que un bon nombre de parasites se servent copieusement au passage, là, je trouve la farce un peu saumâtre !