On connaît la célèbre courbe de Laffer, du nom de cet économiste qui a théorisé que « trop d’impôt tue l’impôt », ou bien encore que « le taux tue l’assiette », c’est-à-dire qu’à partir d’un certain seuil l’augmentation du taux des impôts entraîne une diminution des recettes. Qu’en est-il ?
Impôt et recettes fiscales
On entend couramment dire dans les cours d’économie enseignés à l’université, ou encore dans les blogs ou journaux de gauche[[Voir par exemple cet article : http://blogs.rue89.nouvelobs.com/chez-les-economistes-atterres/2013/09/11/le-ras-le-bol-fiscal-argument-bien-commode-231094]] que cette théorie n’est pas prouvée : ainsi elle serait soit carrément fausse ou bien encore le fameux « pic » de Laffer se situant à un taux très élevé, on n’aurait jamais eu l’occasion de constater l’effet néfaste de son dépassement. La différence entre les recettes nettes de l’impôt sur le revenu en 2014 et les prévisions initiales, semble pourtant remettre en cause ce credo égalitariste : l’écart devrait atteindre cette année un record de 6 milliards d’euros. Un milliard serait dû au geste en faveur des ménages modestes, en outre la croissance a été plus faible que prévu, néanmoins une partie de l’écart reste inexpliquée si l’on nie que « trop d’impôt tue l’impôt ». Il y a donc eu sans trop de doutes des comportements d’évitement de l’impôt : report de perception des revenus, délocalisations, réduction d’activité, travail au noir, niches fiscales, etc.
Les écarts de recette en TVA peuvent également jeter le doute. En 2012, il y avait un retard inexpliqué d’environ 15 milliards[[L’écart entre les recettes réelles et les recettes théoriques était de 25 milliards. Sur ces 25 milliards, 10 milliards ont été identifiés comme venant de la fraude à la TVA, par exemple par complicité de plusieurs entreprises pour obtenir le remboursement en France d’une taxe qui n’a jamais été acquittée dans un autre pays de l’Union.]] d’euros entre les recettes réelles et les recettes théoriques[[Étude de la Commission européenne publiée le 23 octobre 2014.]]. On constate par ailleurs en 2014 que si les taux de TVA ont augmenté (passage de 7% à 10% pour le taux intermédiaire et de 19,6% à 20% pour le taux normal), les recettes n’auront quasiment pas bougé et ce malgré notre très légère croissance[[0,4% annuel d’après les prévisions de l’INSEE.]].
Alors que depuis plusieurs années, la France cherche par tous les moyens à augmenter les impôts[[Impôt marginal de 75% sur le revenu, hausses diverses des prélèvements sur les entreprises depuis 2010, etc.]], il est en outre frappant de constater que le Royaume-Uni, qui a désormais durablement renoué avec la croissance et l’emploi, et a réduit son déficit budgétaire de moitié depuis 2010[[Passant de 10% à 5,5% du PIB.]], a au contraire adopté une politique de réduction de certains impôts. C’est ainsi que le gouvernement britannique a considérablement augmenté le plafond des déductions fiscales de l’impôt sur le revenu, tout en diminuant progressivement l’impôt sur les sociétés. Entre 2004 et 2012, le montant éligible à déduction d’impôt sur le revenu en cas d’investissement dans une PME est passé progressivement de 150.000 livres à 1 million de livres[[http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/20140206164658/http://www.hmrc.gov.uk/statistics/enterprise/eis-commentary.pdf]]. Par ailleurs, entre 2010 et 2015 le taux d’IS est passé progressivement de 28% à 20%.
Sur ce dernier point, le Royaume-Uni a même été capable de quantifier le retour en croissance, en investissement et en revenu pour les ménages, grâce à un nouveau modèle de prévision dynamique de l’économie, qui regarde les interactions entre tous les secteurs. Ce modèle sophistiqué d’un type innovant – inexistant en France, qui n’utilise que des modèles statiques antédiluviens – a permis de démontrer – au moins sur le long terme – la réciproque de la théorie de Laffer : quand on diminue le taux, l’assiette augmente. Ce modèle prévoit qu’au terme des 20 prochaines années, l’abaissement du taux de l’impôt sur les sociétés aboutira à une augmentation du PIB de 0,6 à 0,8% et un accroissement de l’investissement de 4 à 6 milliards, soit à peu près ce qu’il nous manque annuellement en France pour combler notre énorme retard en création d’emplois marchands.
Impôt et développement des entreprises
Toute diminution d’impôt n’est cependant pas nécessairement bonne. Ainsi lorsque Ronald Reagan en 1986 a abaissé le taux marginal d’imposition sur le revenu et l’a aligné sur le taux de taxation des plus-values, cela a conduit indirectement à diminuer l’investissement dans les entreprises. Cet alignement a en effet détruit l’incitation qu’avaient les investisseurs potentiels à investir et à garder le capital dans l’entreprise pour le faire fructifier, plutôt que d’être salariés ou de se verser des dividendes. Les créations d’entreprises, qui n’avaient cessé de croître malgré des taux d’imposition sur les revenus élevés, se sont alors mises à chuter suite à cette réforme. Ce n’est ensuite que lorsque Bill Clinton a rétabli un taux d’imposition marginal sur les revenus supérieurs à celui de la taxe sur les plus-values, que les créations d’entreprises ont retrouvé leur dynamisme.
Ces observations historiques permettent de décréter sans peur de se tromper l’ineptie de la « révolution fiscale » souhaitée par les égalitaristes Emmanuel Saez, Thomas Piketty et Camille Landais[[La « révolution fiscale » d’Emmanuel Saez, Thomas Piketty et Camille Landais.]]. Ils proposent en effet un nouvel impôt qui supprimerait les exceptions permettant aujourd’hui de diminuer l’impôt sur les revenus du capital, et ils proposent en sus de fusionner IRPP, CSG, CRDS, prélèvement libératoire, impôt proportionnel sur les plus-values, prime pour l’emploi et bouclier fiscal. Dans ce système, les plus riches – c’est-à-dire ceux gagnant plus de 100.000 euros bruts mensuels – se verraient par ailleurs appliquer 60% d’impôts sur leur revenu, dans un système de taux effectif sur l’ensemble du revenu et non de taux marginal. Cette proposition est donc doublement stupide : elle ignore totalement d’une part la réalité de la courbe de Laffer et ignore totalement d’autre part le danger d’une trop forte homogénéisation fiscale.
2 commentaires
Bercy tue l’impôt
Vos observations sur la baisse des rentrées d’impôts (IR et autres) sont très justes. Beaucoup d’acteurs peuvent ajuster leurs revenus, sans même compter les effets de la crise, et on en voit déjà la conséquence sur les rentrées 2014. Je pense que cette tendance va encore s’accentuer en 2015, car bon nombre des ajustements à faire prennent du temps à mettre en place et ne produiront tous leurs effets qu’à partir des impôts 2015. Quand on se souvient que le budget a été fixé dans la douleur, avec des « optimisations » de 3,5 milliards, il y a de quoi avoir peur…
Bercy tue l’impôt
Bonjour Bernard,
je garde précieusement, et m’y réfère dans mon article pour LES ECHOS à paraître lundi
Bonne année
Yves