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Arrêt de l’autoroute A 69 : c’est la loi qui est mauvaise et c’est l’Etat qui a pris un risque inconsidéré.

par Bertrand Nouel
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Le tribunal administratif de Toulouse vient de décider l’arrêt de la construction de l’autoroute A 69 destinée à relier Castres à Toulouse sur une distance de 53 km. Dans sa très longue décision, le tribunal s’est attaché à rechercher si l’on pouvait considérer, comme la loi (l’article 411 du code l’environnement) l’exige, que les travaux respectaient la condition essentielle de validité d’une dérogation, à savoir, en présence de risque d’atteinte aux espèces animales protégées, une « raison impérative d’intérêt public majeur » (RIIPM).

L’Etat a immédiatement commenté la caractère « ubuesque » de la décision – qui constitue une première dans la jurisprudence – et annoncé qu’il faisait appel devant le Conseil d’Etat, tout en introduisant une demande de sursis à exécution s’agissant de travaux en cours et largement engagés (plus de la moitié) dont l’interruption cause un dommage considérable au concessionnaire.

Nous allons nous demander d’abord comment il peut se faire qu’un tel recours des organisations écologiques puisse encore donner lieu à une interdiction huit années (!) après la déclaration d’utilité publique. Surtout, nous contestons que la loi puisse poser la condition de RIIPM qui ne répond pas aux exigences de clarté et d’intelligibilité de toute loi, telles que les a fixées le Conseil constitutionnel en application de l’article 34 de la Constitution.

Comment se fait-il que l’interdiction puisse encore intervenir en 2025 ?

La déclaration d’utilité publique de l’autoroute date d’avril 2018. Le concessionnaire ATOSCA a été désigné en 2022, l’autorisation interdépartementale date du 1er mars 2023. Auparavant, 500 réunions publiques ont eu lieu, qui ont en majorité conclu à la réalisation du projet. La majorité des communes, dont la ville Castres, de loin la plus grande agglomération concernée, ont d’autre part été favorables au projet.

Mais ce qui est troublant, ce sont les conclusions de l’enquête d’utilité publique diligentée fin 2022, qui a donné lieu à un rapport de 158 pages. Ce rapport indique que la commission n’a pas à se prononcer sur l’opportunité du projet d’autoroute (mais seulement sur les conditions de réalisation du projet), dans la mesure où l’utilité publique a été décidée par décret en 2018, et que la dérogation au code de l’environnement au titre de la RIIPM a été « déclarée » et même confirmée par des décisions de la « justice administrative ».

Le rapport ne précise pas malheureusement quelles sont ces décisions. Mais comment se fait-il que l’on revienne sur la question de la RIIPM en 2025 ?

D’autre part, nombre de spécialistes du droit administratif ont relevé qu’après l’autorisation de travaux de mars 2023, il est surprenant, et non conforme à l’habitude, qu’on se soit précipité pour commencer les travaux avant la solution du recours au tribunal qui a été engagé immédiatement par les organisations écologistes, au risque de voir prononcer l’annulation comme on vient de le voir, avec toutes les conséquences financières attachées.

Il y a donc un double dysfonctionnement patent de l’administration dans cette affaire, sur lequel nous n’avons pas d’explication satisfaisante.

La loi est une mauvaise loi, qui ne répond pas aux exigences de clarté, de prévisibilité et d’intelligibilité posées par le Conseil constitutionnel.

La formulation de la condition de la RIIPM est floue et laisse au pouvoir judiciaire toutes les interprétations possibles. En effet, on sait ce qu’est un intérêt public, et d’ailleurs le tribunal dans sa décision ne conteste pas l’existence d’un tel intérêt de l’autoroute A 69. Mais la loi ajoute qu’il faut que cet intérêt soit « majeur ». Qu’est-ce que cet adjectif ajoute, et comment définit-on ce caractère majeur ? Déjà, on s’aperçoit qu’on laisse au pouvoir judiciaire le soin d’apprécier si l’intérêt est ou non majeur, et qu’il est évident que le critère est nécessairement de nature politique (conciliation des dispositions du code de l’environnement et de la couverture du territoire par des autoroutes, nécessaire pour la facilitation de la mobilité). Mais cela ne suffit pas, on ajoute que la raison doit être « impérative ». Raison « impérative » d’intérêt « majeur », l’expression ne signifie rien en bon français. On comprend seulement qu’il s’agit de renforcer l’exigence d’intérêt public, mais jusqu’à quel point ? La disposition est floue et permet toutes les interprétations par le juge. Ce dernier a d’ailleurs cru nécessaire de se lancer dans des considérations telles que le nombre de morts (sur la route actuelle) insuffisant pour justifier de l’intérêt de sécurité qu’il y a à construire une autoroute (!), ou encore telles que l ‘évolution de la démographie et des services publics dans la zone concernée, pour déterminer si cette zone est ou non « enclavée », comme le prétend  l’Etat. Mais ces questions relèvent du pouvoir politique et n’ont pas à être appréciées par un tribunal de trois magistrats administratifs dont ce n’est évidemment pas la compétence, et qui se trouvent devoir suppléer aux insuffisances de précision de la loi !

Sans se livrer à une analyse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, on peut rappeler que le Conseil pose comme exigences, par application de l’article 34 de la Constitution, qui définit la compétence exclusive de la loi dans certains domaines tels que l’environnement, que toute loi doit être claire, accessible et intelligible. En cas de formules vagues, la loi manque de prévisibilité et de sécurité pour le citoyen, alors que ce dernier n’est pas censé ignorer la loi : pour l’appliquer, il faut qu’elle soit prévisible. En l’occurrence, la nécessité de respecter le caractère « impératif » d’un intérêt « majeur » est flou, et surtout transfère le pouvoir de qualification au juge, alors que comme nous l’avons dit ce caractère relève du politique et non du juge. On peut évidemment voir dans la rédaction de la loi l’influence regrettable du lobby écologique, qui désormais se traduira par l’abandon de plus en plus fréquent de projets destinés à aménager le territoire.

En fin de compte, il s’agit d’une très malheureuse affaire, où l’Etat a péché par négligence en refusant de considérer que la loi avait transféré au juge la prérogative de déterminer ce qui constituait un intérêt majeur et une raison impérative. Ce faisant, l’Etat prenait le risque d’avoir à cesser les travaux, d’indemniser le concessionnaire et de remettre le terrain dans son état initial, le tout pour une dépense qui semblerait atteindre le milliard d’euros. On se demande comment le Conseil d’Etat pourra en appel casser la décision du tribunal de Toulouse…

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5 commentaires

Didelot Edith mars 1, 2025 - 4:54 pm

On en arrive au gouvernement des juges ã cause,(ou gråce à, )du laxisme et de la faiblesse du gouvernement et de certains fonctionnaires négligents.
Les Français ont des raisons de se plaindre de leur administration.

Répondre
moulin mars 1, 2025 - 6:37 pm

Article intéressant. Mais la chute intrigue ou inquiète : «  »On se demande comment le Conseil d’Etat pourra en appel casser la décision du tribunal de Toulouse… » » . Ya RIIPM ou les juges ont ils abusé du flou ? Qui parie sur le conseil qui parie sur les 3 juges?

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zelectron mars 3, 2025 - 5:30 am

les fonctionnaires qui ont trempés dans cette « affaire » doivent être révoqués

Répondre
Bertrand NOUEL mars 3, 2025 - 10:06 pm

Précision.
A la fin de l’article, nous exprimons une inquiétude sur la décision que sera amenée à rendre le Conseil
d’Etat en sa qualité de juridiction d’appel du jugement du tribunal de Toulouse.

C’est en fait la Cour d’appel administrative de Toulouse qui est la juridiction d’appel compétente ici, le Conseil d’Etat n’étant
amené à intervenir qu’éventuellement comme juridiction de cassation, c’est à dire comme juge de la
conformité de la décision à la loi, à l’exclusion de l’appréciation des faits.

Or c’est cette appréciation qui est primordiale ici et nous ne voyons pas ce qui justifierait une cassation par le Conseil d’Etat. C’est aussi la Cour de Toulouse qui va être amenée à se prononcer sur la demande de sursis à exécution.
Nous avons d’assez forts doutes sur le succès du gouvernement dans son appel auprès de la Cour de
Tououse.

Certes la Cour va réexaminer les faits, mais elle sera aussi libre de juger que l’était le tribunal,
selon les mêmes critères législatifs flous que nous avons critiqués. Et le tribunal avait pris soin de motiver
très longuement sa décision, sachant qu’elle serait certainement déférée à la Cour d’appel.

Par ailleurs nous avons mentionné que la commission d’enquête ne s’estimait pas devoir donner son avis sur le respect
de la condition RIIPM exigée par la loi, mais nous n’avons pas précisé qu’elle ne s’était pas privée pour
autant de remettre en doute l’intérêt de l’autoroute pour la raison notamment que cette autoroute était très
coûteuse et qu’il eût mieux valu aménager le tronçon de route existant…

Il y a donc un fort risque que la Cour confirme le jugement du tribunal et que cette triste affaire se termine
par un abandon suivi par une remise en état du terrain, sachant que le fait que les travaux aient été déjà
réalisés pour plus de la moitié n’a pas à rentrer en ligne de compte pour la juridiction.

Ce serait alors une jurisprudence qui, rappelant l’aéroport de Notre Dame des Landes, consacrerait de façon pérenne la
victoire de l’idéologie s’opposant aux infrastructures d’aménagement du territoire et y mettant fin dans de
nombreux cas. Un coup d’arrêt pour la France entière…

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Eplf IRDEME mars 5, 2025 - 8:12 am

https://fr.irefeurope.org/publications/articles/article/arret-de-la-construction-de-la69-est-ce-bien-le-role-de-la-justice/
conclusions : Nous devons revenir aux principes fondamentaux déterminant le rôle du juge,
limité à l’évaluation des violations des lois et contrats, sans aucune prérogative pour évaluer la valeur d’un projet.
Les lois conférant un tel pouvoir à l’ordre judiciaire devraient être abrogées.

Enfin, nous devons convaincre le législateur de définir de manière plus raisonnable les atteintes à l’environnement,
et notamment lui faire admettre qu’un dérangement temporaire des habitudes de la faune locale
du fait de la création d’une infrastructure limitée dans l’espace ne peut constituer une atteinte grave à la biodiversité.

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