Page d'accueil Études et analyses Années noires en vue : faute de réformes, quid d’une ou plusieurs années blanches… ou rien ?

Années noires en vue : faute de réformes, quid d’une ou plusieurs années blanches… ou rien ?

par Bertrand Nouel
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Nous le savons, la France doit faire des économies, autour de 120 milliards à terme de quelques années, et 40 milliards en 2026. Nous le savons aussi, il ne faut pas compter sur des réformes de fond ciblées, telles que la baisse de certaines dépenses publiques, celle des normes et des fonctionnaires, celle des interventions de l’État etc. 

De telles réformes sont quasiment impossibles dans le contexte politique actuel qui interdirait un vote positif du budget de l’État (PLF) et de la Sécurité sociale (PLFSS).

Alors, que penser de l’institution d’une année blanche qui suppose un gel général des dépenses en valeur par rapport à l’année précédente, c’est à dire en ne réalisant pas leur augmentation selon l’inflation ?

Certes, ce serait utiliser la politique du rabot sans distinction des dépenses, c’est à dire une démission par rapport à ce qu’il faudrait faire. Une telle politique mérite les commentaires acerbes que l’on trouve dans tous les médias et chez tous les groupes politiques, même si ces réactions procèdent de motifs différents. Mais c’est nécessaire à partir du moment où l’on juge que les réductions du déficit et de la dette publics sont des priorités absolues à terme, et au moins leurs stabilités dans l’immédiat.

La présente analyse se propose de justifier l’institution de l’année blanche pour des raisons d’évidence économique, même si nous devrons admettre que son impact ne pourrait être que très limité et exclure son application à plusieurs dépenses.

Pourquoi la référence des dépenses publiques à la croissance du PIB s’impose.

Les économistes ont coutume d’exprimer l’évolution des dépenses publiques, comme celle des prélèvements obligatoires qui permettent d’y faire face, par rapport au PIB. 

En 2025, il faut s’attendre à un rapport de 56,8% pour les dépenses publiques, et à un rapport d’environ 43% pour les prélèvements obligatoires. Utiliser ce rapport est tout à fait justifié comme on va le voir, et dicte la raison pour laquelle il y a lieu de tenir compte de toutes les dépenses publiques en vue de les « raboter ».

Le graphique suivant étudie sur très longue période, depuis 1952, l’évolution des trois indicateurs en question, sous la forme d’un rapport entre les dépenses publiques (DP) et le PIB, d’un rapport entre les prélèvements obligatoires (PO) et le même PIB, et enfin de l’évolution (croissance) du PIB par rapport au PIB de la période précédente. Pour des raisons pratiques, nous avons divisé la période d’ensemble en deux premières sous-périodes de 24 ans, puis en deux autres sous-périodes de 12 ans, et avons ajouté, pour le seul PIB, la prévision pour 2025.

Evolution des DP, des PO et de la croissance du PIB sur 72 ans.

 Sources : Vie publique, Insee, calculs de l’auteur.

Note de lecture.
Le rapport DP/PIB évolue en forte hausse sur l’ensemble de la période, et finit par se stabiliser à un haut niveau depuis 12 ans, non sans avoir connu un pic très élevé en 2020 (61,7%) en raison de la crise Covid. Son niveau actuel reste toutefois plus élevé qu’en 2019, et 5 points de plus qu’en 2012. Le rapport PO/PIB peine à se hausser de la même façon, et surtout reste  assez stable depuis 2000. Enfin la croissance du PIB en volume connaît une chute libre et continue, qui s’aggrave même ces dernières années.

Pourquoi il ne faut pas en tirer les conclusion d’une augmentation des impôts.

Eric Coquerel, président de la Commission des Finances à l’Assemblée nationale, prétend conclure que les dépenses publiques sont en voie de diminution et donc contrôlées, alors que les PO sont en baisse, sous-entendant que la chose à faire est …d’augmenter les impôts, comme le demande LFI  dont il est membre ! Ce raisonnement est inacceptable.

En premier lieu, les DP ne sont pas en voie de diminution, sauf à prendre l’année 2020 comme référence, ce qui n’a pas de sens. En second lieu le député ne se pose pas la question de savoir pourquoi les PO, qui ne sont pas en baisse mais restent beaucoup trop élevés, sont insuffisants pour financer les DP. Le graphique ne laisse pas de doute à ce sujet.

Le PIB en berne.

En effet, la chute dramatique du PIB en volume est l’explication de la chute des PO. Le site Fipeco, dans sa fiche « l’impact de la croissance sur le déficit public », note que l’absence de croissance du PIB en volume conduit mécaniquement à une augmentation du déficit public, parce que les DP et les PO ont une « élasticité » différente aux modifications du PIB :

« Etant donné que les recettes publiques évoluent comme le PIB en valeur, sur moyenne période, et que la croissance des dépenses en est largement indépendante, le déficit public dépend fortement de la situation économique. Il diminue spontanément, c’est-à-dire à législation constante, lorsque la croissance est forte et, inversement, il augmente lorsqu’elle est faible. »

Ce raisonnement nécessite de prendre en compte l’inflation. Le PIB en valeur (qui tient compte de l’inflation) évolue comme le PIB à législation constante. A l’inverse, les DP évoluent  « largement » indépendamment de ce PIB en valeur, dans un rapport que les économistes qualifient d’ « inélastique ».

Nous n’entrons pas ici dans la description de cette inélasticité, et les lecteurs trouveront toutes les explications voulues dans la fiche de Fipeco citée plus haut. Mais la conclusion est claire : dans la période moyenne actuelle, et surtout en ce moment, et pire encore dans les prévisions pour 2025, et semble-t-il aussi pur 2026, les DP et les PO sont voués à faire le grand écart, avec pour conséquence une augmentation du déficit public. 

Voilà pourquoi, en revenant à la question initiale de l’opportunité de l’année blanche, cette dernière se justifie par le motif d’avoir à effectuer un coup de rabot général sur les DP : ramener leur évolution à la hauteur de l’évolution du PIB, qui guide celle des PO, ce qui se révèle déjà très difficile, ne conduirait qu’à stabiliser le déficit public, nous dit Fipeco. Quant à diminuer ce déficit, il faudrait encore aller plus loin.

Le gouvernement confirme cette vue. Selon la ministre des comptes publics, il est nécessaire de faire une économie de 40 milliards par rapport à la tendance pour 2026, soit limiter les DP à 1.710 milliards au lieu de 1.750 milliards. Ce qui signifie une augmentation de seulement 0,9% en valeur, soit inférieure à l’inflation, prévue à 1,4%.

Par la même occasion, on voit que le remède à cette situation très défavorable ne peut être que l’augmentation du PIB, et pas celle des impôts…Il faut notamment travailler davantage, mais ceci est une autre histoire.

Sur quoi porterait l’année blanche ?

Hélas, ce souhait d’une année blanche, tout justifié qu’il soit, risque fort, en tout état de cause, de n’être qu’un vœu pieux. Car les augmentations des DP dépendent de nombre de décisions qui sont déjà engagées. Nous n’allons pas en discuter ici, mais seulement évoquer l’existence des lois de programmation pluri-annuelles, de l’ONDAM (Assurance maladie), dont le budget est déjà voté, etc… sans évoquer les dépenses nouvelles comme celle des armées, ou encore les dépenses contraintes comme la hausse des intérêts de la dette ou celle de la contribution à la Communauté européenne. Et désindexer l’AAH par exemple (aide aux personnes handicapées) n’est pas envisageable, ou encore faire subir le même sort aux retraites ne manquerait pas d’être un exercice politique difficile.

En conclusion

Il ne faut pas perdre de vue que le problème français n’est pas en soi celui des dépenses publiques, mais celui du déficit public. Ce qui signifie qu’il faut regarder le numérateur du rapport, c’est à dire le montant des recettes publiques. Et aussi longtemps que la France ne parviendra pas à augmenter son PIB, les recettes ne pourront pas financer les dépenses. Or la hausse prévue du PIB dans l’immédiat (0,6% en volume) est historiquement basse. Il n’y a donc pas d’autre choix qu’un coup de rabot général, et aussi fort que possible, sur les dépenses publiques. L’année blanche est un bon moyen d’y parvenir.

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3 commentaires

zelectron juin 28, 2025 - 11:04 am

rebelote : et ne pas remplacer les fonctionnaires qui partent en retraite . . . . ça se précise ?

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moulin juin 28, 2025 - 12:47 pm

Sur le moyen terme, seule la hausse du PIB, par la modernisation des meilleures entreprises et la création d’emplois pour les millions de disponibles, permettra de baisser les énormes dépenses de redistributions et de libérer des ressources pour remettre la France à niveau des meilleurs européens dont la Suisse.

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moulin juillet 8, 2025 - 9:28 am

Scoop !
Le 15 juillet, François Bayrou dévoilera les grandes orientations du projet de budget pour 2026, qui doit permettre de trouver 40 milliards d’euros d’économies pour ramener le déficit à 4,6% du PIB. Pour y parvenir, une piste est évoquée avec insistance, celle d’une année blanche : une opération qui vise à reconduire certaines dépenses de l’Etat à leur niveau de 2025, sans tenir compte de l’inflation.

Dans une étude, Pierre Madec, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), a évalué l’impact pour les ménages d’un gel des retraites, des prestations sociales et du barème de l’impôt sur le revenu (IR) pendant un an.
( https://www.ofce.sciences-po.fr/publications/publications.php lisible au 30 juillet)

Résultat : entre la non-indexation de leur pension et le gel du barème de l’IR, les retraités seraient les grands perdants. Estimée à 3,7 milliards d’euros, leur contribution représenterait plus de la moitié des économies budgétaires attendues de la mesure.

Rapporté au niveau de vie, ce sont toutefois les ménages les plus modestes qui verraient leur revenu le plus réduit par un tel dispositif, de près de 1% (contre moins de 0,3% pour les plus favorisés). Au moment où la pauvreté atteint un niveau record en France, Pierre Madec suggère d’exonérer les 10% les plus pauvres, une option qui ne coûterait que 100 à 150 millions d’euros.

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