Le dernier rapport de la Cour des comptes montre que les médicaments coûtent très cher. Après avoir montré les dérives de la fixation des prix des médicaments, elle examine les leviers pour diminuer la dépense.
Dans un précédent article, nous avons fait l’état des lieux des finances préoccupantes de la Sécurité sociale. Puis nous avons abordé deux pistes des réductions des coûts proposées par la Cour des comptes : la médecine de spécialité et la chirurgie. Dans ce troisième article, nous abordons le sujet très délicat des médicaments… Dans ce domaine, la Cour constate qu’il existe également des marges importantes d’économie.
Une globale stabilité des dépenses de médicaments
Les dépenses totales de médicaments ont été en 2015 de 38 milliards d’euros, dont 4 milliards à l’hôpital et 34 milliards en ville (dont 30 milliards remboursables par l’Assurance maladie). On constate donc globalement que les dépenses de médicaments remboursables en ville sont stables, voire orientées à la baisse surtout dans les pharmacies d’officine. Pour l’essentiel l’amélioration provient de la pression plus efficace sur les prix et de la généralisation des génériques.
De notables marges de progrès restent possibles malgré tout
Mais il existe encore une marge de progrès importante. Pour le comprendre, il faut s’intéresser aux modalités de formation des prix. La Cour revient cette année sur la question de la tarification des médicaments.
La fixation des prix faciaux
Après autorisation de mise sur le marché, les prix fabricant des médicaments remboursables sont arrêtés par le Comité économique des produits de santé[[Constitué de représentants de l’Administration, des organismes d’assurance maladie et des complémentaires 11 membres]], une instance interministérielle qui conclut des conventions bilatérales avec les entreprises pharmaceutiques, valables cinq ans. Ces conventions incluent les prix, les remises et les obligations particulières des laboratoires. Elles sont conclues notamment en fonction de l’amélioration du service médical rendu par les nouveaux médicaments, notation délivrée par la commission de la transparence de la Haute autorité de santé. Elle est donnée par comparaison aux autres médicaments déjà commercialisés dans la même classe et elle est cotée de 1 à 5, d’amélioration majeure à absence d’amélioration.
Les médicaments n’apportant pas ou peu d’amélioration (niveaux 4 et 5) ne peuvent être remboursables qu’à la condition de prix moindres que ceux de la concurrence. Quant aux améliorations de niveau 1 et 2 (progrès importants), elles sont extrêmement rares. Les conditions de fixation de prix ont également été durcies par l’introduction de critères d’efficience médico-économiques (rapport performance coûts).
Cependant le système de fixation des prix, bien que plus précis qu’auparavant, reste dominé par l’accord cadre de 2015 conclu entre le comité et le syndicat des laboratoires, et qui est très favorable aux fabricants. Cet accord cadre a en effet reconduit ce qu’on appelle la garantie de prix européen, selon laquelle le prix facial de certains médicaments ne peut être inférieur au prix le plus faible pratiqué au sein d’un panel de quatre pays : Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni.
Un certain nombre de mesures : développement des génériques, déremboursements, etc., ont incontestablement entraîné des économies substantielles : autour de 800 millions d’euros en 2015, 1 milliard d’euros en 2016. Elles ont contribué au respect de l’objectif de dépense de l’Assurance maladie, et ont permis de ramener la dépense 2015 de médicaments remboursables en ville au niveau de 2008, soit 29 milliards d’euros, après absorption du pic dû à l’introduction des médicaments innovants pour l’hépatite C. De plus les prix faciaux des médicaments sont devenus proches de la moyenne des pays comparables.
Cependant on note que la dépense de médicament par habitant reste supérieure de 12 % à celle des quinze pays européens les plus riches. La Cour estime donc à juste titre qu’il reste des marges d’économies très élevées.
Les remises sur les prix faciaux
Comme nous l’avons dit, le comité économique des produits de santé va négocier avec chaque laboratoire les prix faciaux et les remises. Si les remises accordées sont confidentielles, couvertes par le secret des affaires, en revanche les prix faciaux sont publics. Or, dans un certain nombre de pays, en général en Europe centrale et orientale et de plus petite taille que la France, la fixation des prix est pratiquée par référence aux prix pratiqués dans des pays de plus grande taille. Ainsi les laboratoires ont intérêt à maintenir des prix faciaux élevés quitte à consentir des remises plus importantes. Au total, les remises de tout type (460 millions d’euros en 2012, 1 milliard d’euros en 2015) représentent pour l’Assurance maladie de 2 à 40 % du prix facial et tendent à se généraliser à tous les médicaments quelle que soit leur amélioration du service médical rendu.
Mais cette distorsion des prix bruts et nets a des effets pervers sur l’orientation des prescriptions des médecins, sur la formation du prix des génériques et enfin sur les coûts de distribution (grossistes répartiteurs et pharmacies) qui sont fondés sur les prix faciaux. Par ailleurs, ils pénalisent les assurés via leur ticket modérateur ou le coût de leur complémentaire.
Les révisions de prix
Les modalités de révision des prix sont fixées par les accords cadre, le dernier datant de décembre 2015. Elles reposent essentiellement sur des considérations techniques ou des comparaisons européennes. Elles ont permis la convergence des prix des génériques d’amélioration de service rendu de niveau 4 ou 5. Elles ne prévoient pas par contre de révision à l’issue des cinq ans d’application de la durée de garantie des prix européens. Enfin les travaux de la Haute Autorité de santé ne sont pas coordonnés, entraînant des reports d’examen des situations.
Le verdict est donc sans appel : l’ensemble du dispositif doit être repensé et le mécanisme de fixation des prix avec remises doit être supprimé ou drastiquement limité.
Les propositions de la Cour
La Cour propose tout d’abord de revoir complètement le statut du comité économique des produits de santé et de renforcer ses moyens. Avec 13 emplois temps plein consacrés aux médicaments et des budgets ridicules – 25 000 euros pour les frais courants et 175 000 euros pour l’informatique – le comité ne fait pas le poids face aux professionnels lors des négociations, et dépend plus de leurs informations que des recommandations de la Haute Autorité de santé. Dans le cadre de cette rénovation, l’élargissement des attributions du comité à la fixation du prix des médicaments hospitaliers devrait être envisagé.
La Cour des comptes propose également :
– De faire fixer par la loi les obligations de révision des prix : cinq ans pour les plus innovants, trois ans pour les autres ainsi qu’en cas d’extension du champ des médicaments ;
– De réformer la garantie du prix européen : durée écourtée, panel élargi de pays pris en compte ;
– De restreindre le système des remises pour les améliorations de service médical rendu de niveaux 4 et 5 ;
– De favoriser la constitution de groupements d’achat publics dans le cadre européen, surtout afin de maîtriser le prix des médicaments innovants.
Dans une deuxième partie, elle examine les coûts de distribution de ces médicaments. Qu’en est-il ?
Suite : Une distribution pharmaceutique française très couteuse
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La fixation du prix des médicaments et ses dérives
Il y a 6 ans que je dénonce ces dérives: heureux de constater que la Cour des Comptes se réveille enfin. Cf « Le racket des labos pharma, comment en sortir » co-écrit avec Michèle Rivasi et MO Bertella Geoffroy.
Le problème n’est pas la distribution mais le prix attribué par le CEPS sous influence du lobby industriel et sans réelle considération des prix européens qu’il ne connaît pas ou si peu, tout comme la Commission des Affaires Sociales de l’AN. Prix totalement scandaleux pour les anticancéreux sans +value et aussi pour la liste en sus qui doit être nettoyée.