Dans le cadre des revendications sur le pouvoir d’achat, voici que des pressions se font jour pour augmenter les salaires qui seraient « taxés » de façon très excessive.
Nous ne discutons pas ici de la revendication NFP concernant l’augmentation brusque de 14% du Smic, mais de la réflexion d’un syndicat patronal comme l’U2P (Union pour les entreprises de proximité) selon lequel le salarié ne conserve « que 54% de la rémunération versée par l’entreprise » (lire du coût payé par l’employeur), alors que ce chiffre est de « 70% pour les dividendes, 86% pour les retraites et 94% pour les revenus de l’héritage ».
Ce ne sont pas les chiffres qui sont erronés, sous réserve de ce qui sera dit pour les bas salaires, mais la comparaison qui est complètement hors de propos.
Confusion entre taxes et cotisations.
Rapprocher le coût payé par l’employeur du revenu net avant impôt sur le revenu perçu par le salarié signifie qu’il faut déduire du premier les cotisations employeur et salarié. L’employeur verse des cotisations qui dépendent du niveau brut de la rémunération : l’employeur ne paie quasiment aucune cotisation au niveau du Smic et progressivement de plus en plus vers les hauts salaires.
Le chiffre de 54% n’est donc pas exact pour les bas salaires – ceux pour qui le pouvoir d’achat est le plus faible. Le salarié paie quant à lui environ 21% de charges sociales, CSG comprise1, quel que soit son niveau de revenu.
En revanche, les prélèvements sur les dividendes, les retraites et les successions sont des impôts payés sans aucune contrepartie ! La comparaison est donc sans signification.
Confusion entre taxes et impôt sur le revenu (IRPP, hors CSG).
Ce qui est dit ci-dessus ne concerne que le revenu avant IRPP.
Là encore il faut tenir compte de ce que la France est le pays qui prélève le moins au niveau des salaires des premiers déciles de revenu, puisque 55% des Français ne payent aucun IRPP. Les Français titulaires de bas salaires sont des privilégiés en ce sens. C’est ainsi que les salariés allemands payent non seulement des cotisations salarié au même niveau que les Français (environ 21%) mais, en plus, un IRPP est prélevé dès les premiers déciles de revenu.
Au total, lorsque l’on tient compte de l’addition des cotisations salarié, CSG comprise et de l’IRPP, les Français des premiers déciles sont peu taxés par rapport aux salariés des pays qui nous entourent.
Ce n’est que pour les plus hauts revenus que le rapport s’inverse. Mais les salariés des autres pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas disposent de salaires bruts (donc cotisations employeur exclues) nettement plus élevés, ce qui est un problème autre, mais essentiel.
Mutualisation trop forte, l’originalité française.
Lorsqu’un syndicat comme l’U2P s’insurge contre l’écart existant entre le salaire super brut (c’est-à- dire le coût pour l’employeur) et le net perçu par le salarié avant IRPP, il ne tient donc pas compte des bénéfices des prestations sociales perçues en contrepartie des cotisations, ce qui fausse complètement les comparaisons qu’il tente d’établir avec les prélèvements fiscaux provenant d’autres revenus.
Ce sentiment d’être surtaxé est spécifique à la France, du fait que notre pays a fait le choix de mutualiser très fortement les coûts des prestations sociales. Les Français qui raisonnent en pouvoir d’achat ont tendance à oublier les bénéfices qu’ils retirent de cette mutualisation, car les cotisations représentent des dépenses contraintes, donc hors « revenu disponible », notion utilisée pour juger du pouvoir d’achat .
C’est un des grands problèmes de la France, qui en fait un pays illibéral à ce sujet : on ne laisse pas le choix aux Français de décider du type de dépenses qu’ils veulent s’imposer, on choisit pour eux sans demander leur avis, avis qui serait sans doute différent de ce qui leur est imposé s’ils pouvaient l’exprimer…
La conclusion qu’il faut tirer n’est pas la « taxation » excessive des salaires mais l’insuffisance des revenus bruts, elle-même due à l’insuffisance du PIB et donc du travail des Français, couplée à une trop forte mutualisation des dépenses sociales, ressentie par les Français comme un prélèvement injustifié sur leur revenu disponible plus que comme un bénéfice bienvenu offert par l’État-providence.
Le nouveau Premier ministre a une tâche très ardue. Il a promis de tenir un discours de vérité, qu’il le fasse ! « Depuis des décennies, tout candidat croit devoir aller devant les électeurs avec un sapin de Noël dans les bras » : c’est une juste réflexion de l’ancien ministre, sénateur et député européen Jean Arthuis sur un tort (celui de la démocratie?) que le discours de vérité devrait contribuer à identifier et redresser.
Le Premier ministre doit expliquer clairement aux Français que s’ils ne veulent pas travailler davantage et plus longtemps, le pays ne pourra pas maintenir sa protection sociale au même niveau.
C’est évident pour les retraités actuels et futurs, dont les prestations ont atteint 337 milliards en 2021, soit 40% des prestations sociales, et ça l’est tout autant pour les autres branches de la Sécurité sociale, dont le financement est déjà largement assuré par les impôts et non par les cotisations.
Compte tenu du montant de la dette, c’est le PIB de la France, trop faible par habitant par rapport à celui des pays européens qui nous entourent, qu’il faut augmenter, il n’y a pas d’autre voie possible pour éviter une baisse des prestations publiques (les prestations sociales coûtent de 3 à 5% du PIB plus cher en France que dans ces autres pays européens qui disposent pourtant de prestations de même niveau).
Et si les Français ne veulent pas de cet aggiornamento, l’État-providence diminuera ses prestation
- Nous choisissons ici de classer la CSG dans les cotisations sociales plutôt que dans les impôts ↩︎
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Il n’empêche que les salariés, minoritaires dans la population, financent par leurs cotisations et impôts, tous les services fournis par l’État providence à tous les habitants-présents sur le territoire de la république. Il faut décaler les contributions relatives entre les productifs et les autres.