L’Economie française fonctionne au ralenti : elle est comme bloquée dans son développement. Tous les symptômes sont là : une croissance ralentie, un taux de chômage très élevé que les gouvernements successifs ne sont pas parvenus à réduire, une balance commerciale régulièrement déficitaire, et un Etat qui s’endette un peu plus chaque année pour boucler ses budgets. Et l’INSEE qui dénombre en France plus de 8 millions de « pauvres ».
D’où viennent donc les difficultés de l’Economie française ? Les économistes, on ne comprend pas pourquoi, tardent à nous l’expliquer, ce qui est bien regrettable, car pour faire des pronostics sur la portée des mesures que le gouvernement a prises pour relancer l’activité économique du pays, il faut disposer d’un diagnostic correct. Il s’agit de l’enchaînement insidieux suivant, qui n’est jamais expliqué au public. A l’origine, l’effondrement du secteur secondaire de l’Economie, l’industrie, en fait le plus important des trois secteurs d’activité qui composent l’Economie d’un pays : ce secteur a produit de moins en moins de richesses. Il s’en est suivi un accroissement régulier des dépenses publiques pour remédier aux dégâts causés à la population par la défaillance du secteur industriel. D’où, des prélèvements obligatoires de plus en plus élevés pour financer ces dépenses, ce qui a conduit à une asphyxie progressive de l’Economie. Sans compter un accroissement, année après année de l’endettement de l’Etat qui recourt à cet expédient pour boucler ses budgets, les prélèvements obligatoires étant chaque année insuffisants. A présent, en matière de dette publique, on est au taquet, ce qui va poser à nos gouvernants de réels problèmes.
La forte amputation de notre secteur industriel
La contribution du secteur industriel à la formation du PIB est passée, dans notre pays, de 25,0 % dans les années 1975 à 10,0 % aujourd’hui (hors BTP), alors que la norme en la matière se situe, au plan européen, à 20,0 %. Et les effectifs de ce secteur d’activité sont passés de 6,2 millions de personnes à la fin des « Trente glorieuses » à 2,7 millions à présent. Notre machine économique se trouve donc amputée de plus de la moitié de son potentiel contributif à la création de richesse du pays. Aussi, avec ce taux de 10,0 %, qui est le plus faible de tous les pays de l’Union européenne, la Grèce mise à part, notre système économique doit-il être considéré comme sinistré.
Les activités industrielles sont, en effet, le paramètre essentiel qui explique la richesse des pays développés. La revue « Avenir Suisse », dans un numéro de 2012, soucieuse de mettre en valeur les belles performances de l’Economie suisse, a calculé, ce qui est tout à fait original, la production industrielle des grands pays rapportée au nombre des habitants. On y voit des écarts considérables entre les pays. Le tableau de chiffes publié par la revue suisse mérite d’être examiné :
Pays | Production industr./habitant (En US$) |
Suisse | 12.400 |
Finlande | 8.800 |
Japon | 8.600 |
Suède | 8.300 |
Allemagne | 7.700 |
Pays Bas | 6.000 |
Corée du Sud | 5.800 |
Italie | 5.500 |
France | 4.500 |
Grande Bretagne | 4.000 |
Brésil | 1.700 |
Russie | 1.600 |
Chine | 1.500 |
Inde | 200 |
En s’en référant à l’indicateur habituel de richesse qu’est le PIB/tête, on constate qu’il existe une corrélation très étroite entre l’importance de la production industrielle de ces pays, prise comme variable explicative, et leur niveau de richesse. C’est ce que montre le graphique ci-dessous.
La production industrielle apparaît ainsi comme une variable explicative très sûre de la prospérité des pays. La France en est à 4.500 US$, seulement, de production industrielle par habitant, alors que l’Allemagne se situe à 7.700, la Suède à 8.300 et la Suisse à 12.400. Avec une production industrielle par habitant relativement faible, notre pays a, tout naturellement, un revenu per capita qui est loin d’être l’un des plus élevés d’Europe : en 2017, il était, selon les statistiques de la BIRD, de 38.476 US$ seulement, contre 48.223 US$ aux Pays Bas, 53.442 US$ en Suède, et 80.189 US $ en Suisse.
Cet affaiblissement considérable du secteur industriel dans notre pays explique parfaitement le taux de chômage très élevé qui caractérise l’Economie française, ainsi que le déficit de notre balance commerciale. Nous devrions avoir, si nous avions suivi l’évolution des autres pays, environ 1,8 million de salariés supplémentaires travaillant dans le secteur industriel. Vu que chaque emploi dans l’industrie génère en moyenne 2 emplois, au moins, dans le secteur des services, on voit que la population active de notre pays, si le secteur industriel ne s’était pas atrophié, compterait aujourd’hui 5,4 millions de travailleurs de plus. Le chômage se trouverait donc ramené à son taux normal (3 à 4 % de la population active), et le taux de population active qui n’est que de 43,6 % seulement actuellement, un taux particulièrement faible qui témoigne bien de l’état anémique de notre Economie, se monterait alors à 51,6 %, taux qui s’approcherait sensiblement de la norme européenne, l’Allemagne étant par exemple à 52,4 % et les Pays Bas à 53,3 %.
Quant aux exportations, avec ce renfort de 1,8 million de travailleurs dans l’industrie, elles se trouveraient majorées de 260 milliards € environ, chiffre résultant du ratio actuel d’exportation de l’industrie française. Il y aurait donc un excèdent commercial d’environ 150 à 200 milliards €, alors que le déficit actuel est de 62 milliards €.
L’accroissement des dépenses publiques
Du fait de la défection du secteur industriel dans cette course à la création de richesse qui caractérise le monde moderne, l’Etat français est venu au secours des populations et des territoires pour maintenir le niveau de vie des habitants, jouant, comme l’exige tout particulièrement dans notre pays la population, un rôle protecteur. Les dépenses publiques, sous la poussée tout spécialement des dépenses sociales, ont ainsi très fortement progressé en France ces quarante dernières années, croissant régulièrement beaucoup plus rapidement que le PIB. Elles sont ainsi passées de 34,6 % du PIB, en 1980, à 56,4 % en 2017, et la France est aujourd’hui le pays en Europe où elles sont, en proportion du PIB, les plus importantes. Elles se sont élevées à 1.291,9 milliards € en 2017, les dépenses sociales représentant l’essentiel : 58 % du total. Il s’agit là, des dépenses vieillesse, santé, famille, chômage, retraites, lutte contre la pauvreté et l’exclusion, etc. On se souvient qu’Emmanuel Macron, dans une réunion de travail à l’Elysées, a fulminé, parlant d’« un pognon dingue » mis dans les minima sociaux. Le chômage, par exemple, représente à lui seul, 35 milliards €.
Mais les dépenses sociales sont presque impossibles à réduire, car, en démocratie, l’opinion publique ne le permet pas. Ce phénomène de compensation par un accroissement et une socialisation des dépenses sociales, d’une insuffisante contribution du secteur industriel à la création de richesses dans les pays, est d’ailleurs assez général, semble-t-il, comme le montre succinctement le tableau suivant :
Pays | Industr./PIB (BIRD) | Dépenses sociales/PIB (OCDE) |
France | 17,4 % | 31,5 % |
Grande Bretagne | 18,6 % | 22,0 % |
OCDE | 22,0 % | 21,0 % |
Suisse | 25,2 % | 19,0 % |
Chili | 30,0 % | 11,0 % |
Corée du Sud | 35,9 % | 10,0 % |
Les taux d’industrialisation indiqués ici sont ceux de la BIRD (selon la définition très large qui est la sienne de l’industrie), et les niveaux de dépenses sociales sont ceux calculés par l’OCDE. On voit que les dépenses sociales sont, d’une façon générale, inversement proportionnelles aux taux d’industrialisation des pays : la corrélation n’est, en fait, pas parfaite, car d’autres éléments interviennent.
Malgré le handicap que constitue pour l’Economie française le très fort fléchissement du secteur industriel, le taux de pauvreté n’est que de 13,6 %. Dans d’autres pays européens où l’Economie est plus dynamique les taux sont à peine moins élevés : 11,9 % au Danemark, par exemple, et 12,7 % aux Pays Bas… En Italie il s’agit de 20,5 % et en Espagne de 22,3 %. Ce relativement bon résultat français est obtenu par des dépenses publiques considérables, bien plus élevées que partout ailleurs.
L’accroissement des prélèvements obligatoires (PO)
Dans les pays dont l’Economie est à la peine on note donc que les dépenses publiques croissent rapidement. Elles sont gonflées, partout, par des emplois publics pléthoriques, et c’est, effectivement, ce qui s’est produit en France. Ces dépenses publiques sont utilisées comme un instrument permettant de stimuler l’économie et de lutter contre le chômage. Pour les financer, les Etats sont contraints d’accroitre les rentrées fiscales, c’est-à-dire les « prélèvements obligatoires ». En France, les PO ont ainsi crû régulièrement, d’année en année, et ils atteignent maintenant le niveau le plus élevé de tous les pays d’Europe : 47,6 % du PIB, alors que la moyenne des pays de l’UE est de 39,7 %, et celle des pays de l’OCDE 34,1 %. Malgré ce taux record, ils ne sont pas suffisants pour couvrir toutes les dépenses, et l’Etat doit, chaque année, s’endetter davantage. Cela fait 44 ans que le budget de l’Etat est en déficit, et la dette atteint maintenant 98 % du PIB.
Cette pression fiscale considérable étouffe l’Economie, d’autant qu’elle s’exerce aussi sur les entreprises. Le Medef a montré dans une étude de 2016 que les prélèvements fiscaux et sociaux, par rapport à la valeur ajoutée des entreprises françaises, sont de 23,8 %, alors qu’ils ne représentent que 13,6 % en Allemagne et 9,2 % au Danemark. Les marges des entreprises s’en trouvent réduites : 31,4 % seulement en France, contre 40,4 % en moyenne dans la Zone Euro. Cela mine la compétitivité de nos entreprises et réduit considérablement, tant leurs capacités d’investissement que leurs moyens de faire de la Recherche.
Cet accroissement constant des dépenses publiques a conduit à un système fiscal où les contribuables aisés qui seraient en mesure d’investir dans des start-up ne le font pas, ce qui empêche les nouvelles entreprises qui se créent de disposer des moyens financiers dont elles auraient besoin pour financer leur croissance. L’IRDEME (Institut de Recherche sur la Démographie des Entreprises) a ainsi montré que les « gazelles » françaises courent beaucoup moins vite que les gazelles anglaises, en sorte que la création de nouveaux emplois dans le pays est très insuffisante.
Comment ranimer l’Economie française ?
Comme nous venons de le montrer, les difficultés dans lesquelles se débat aujourd’hui l’Economie française ont pour origine l’effondrement de notre secteur industriel. La France est le pays d’Europe où la part de l’industrie dans le PIB est maintenant la plus faible, et elle est aussi, le pays où les dépenses publiques sont les plus fortes et les prélèvements obligatoires les plus élevés . La corrélation entre ces phénomènes est évidente. Curieusement, personne ne semble l’avoir noté jusqu’ici.
L’économie est une discipline qui a des liens très étroits avec le comportement des individus. Tout est là. La France est installée dans un système d’économie libérale, qui fonctionne, d’une manière paradoxale, avec des verrouillages administratifs nombreux qui empêchent le marché de s’ajuster, comme le voudrait la « main invisible » d’Adam Smith. Les Français n’aiment pas les riches et ils manifestent un goût très prononcé pour l’égalité : aussi la France est-elle le pays d’Europe où la doctrine marxiste a le plus marqué les esprits. La Puissance publique, en conséquence, intervient beaucoup dans la vie économique. Les Français demandent d’ailleurs, toujours davantage d’intervention de l’Etat : un sondage IFOP de mai 2014 indiquait, par exemple, que 55 % des Français souhaitent que « l’Etat intervienne davantage dans l’Economie ». De surcroît, la France, malgré son Economie sinistrée, doit se plier aux exigences de la Commission européenne. Celle-ci demande à l’Etat d’équilibrer ses budgets, de cesser de s’endetter, et de ne pas intervenir pour soutenir les entreprises en difficulté. Malheureusement, Bruxelles ne dit jamais rien sur toutes les contraintes absurdes que l’Etat français impose à ses entreprises : les 35 heures de Martine Aubry, une trop forte taxation du travail, une fiscalité sur les entreprises plus lourde que dans les autres pays européens, etc. On se souvient qu’il y eut même, sous un gouvernement socialiste, des interdictions de licencier.
La France navigue donc entre deux eaux : elle est à mi-chemin entre un système libéral et un système dirigiste. Il faudrait qu’elle opte clairement pour l’un ou l’autre de ces systèmes : soit le libéralisme économique avec des interventions de la Puissance publique très réduites, soit un système que certains ont appelé le « néo-colbertisme » où l’Etat jouerait un rôle de stratège et interviendrait directement dans l’Economie.
Il serait temps d’ouvrir le débat pour sortir de l’ambigüité : Emmanuel Macron a eu tort de ne pas le faire dés sa prise de pouvoir. Il se trouve, de ce fait, condamné à se limiter à des mini-réformes, des réformes sans réelle portée. Il chute donc, à présent, de mois en mois, dans les sondages. Il est par conséquent extrêmement difficile d’imaginer que le redressement de notre Economie puisse se faire d’une manière rapide.
Claude Sicard
Economiste industriel, consultant international
5 commentaires
L’appareil d’état se paye notre tête
1 à 2 millions de ponx en moins dans les 10 années qui viennent diminuerait l’imposition sur les entreprises tout en servant aux sus-désignés, qui si ils le désirent, une aide pour lancer leur propre entreprise ?
le mal français
le cercle vicieux français est bien analysé par M.Sicard et j’apprécie toujours son esprit de synthése ,
mais il fait là comme M.Peyreffitte dans son célébre essai dénommé le mal français : 500 pages d’analyses , quelques lignes sur les solutions ! , quelle sont donc les solutions que préconisent M.Sicard ?
ce qui nous manquent vraiment ce sont les entrpreneurs , M.Macron a vaguement fazvorisé leur vie , mais reien de bien significatif zet la taxation généralisé des plus values quel que soit leur ancienneté à 30% n’est ce pas trop ? quaznd on sait qu’en nSUISSE il n’y en a pas , ni en Belgique non plus
et sinon taxation de l’héritage que l’on se propose d’accroitre encore a
le » mal français
M.Sicard a raison , mais comme Peyreffitte dans l’essai célébre il fait une excellente analyse sans conclure par des solutions clairement exprimées
. alors je donne ma solution : il manque dans notre pays des entrepreneurs ambitieux , pourquoi ? car ils sont découragés ! pas de perspective d’enrichissement sereine !
PLus value à 30% c’est trop pour des plus values à long terme qui paient déjàl’ lIS à 28/30%
Droit de succession confisacatoire avec le taux record mondial de 45 % déjà confiscatoire et qu’on veut encore accroitre! , le président des riches a surout été celui de la baisse de la cotisation chomage sur les salariés , de la taxe d’habitation sur les plus pauvres , et ce n’est pas la flat tax à 2MM et l’isf ramené à L’IFI pour 3 MM qui me feront changé d’avis , car l’un et l’autre concerne les fortunes acquises pas celles en devenir ou putatives
Des solutions
La première des options pour endiguer le déclin de notre économie serait de transférer les charges sociales sur le produit fini, celui livré au consommateur, par une augmentation de la TVA. Cela baisserait le coût des produits fabriqués en France et permettrait d’être en concurrence avec les produits d’importation. Les parts de marché engrangées permettraient de redensifier le tissus industriel et améliorerait la balance commerciale.
descente aux enfers
Je ne suis pas économiste mais mécanicien ! la phrase
« A l’origine, l’effondrement du secteur secondaire de l’Economie, l’industrie, en fait le plus important des trois secteurs d’activité qui composent l’Economie d’un pays »
me parait tellement évidente, depuis des années, que je me demande comment les politiques ne finissent pas par prendre vraiment des décisions cruciales.
L’une des solutions proposées de Sarah LENTY sont peut être les bonnes ? …mais je sais pas . Y a t’il un économiste dans l’avion .