Le gouvernement avait prévu pour certaines professions, la faculté de licencier un salarié pour refus de vaccin, mais s’étant heurté au refus du Sénat, un compromis est intervenu au sein de la commission mixte paritaire Assemblée nationale/Sénat. Ce compromis ne prévoit que la suspension du paiement de la rémunération (donc du contrat de travail). Ce serait à la fois un contresens juridique et une bêtise économique.
Un grave contresens juridique
+Une immixtion de l’Etat dans les rapports privés+
L’obligation vaccinale concerne les individus face à l’Etat, et en rien les rapports entre l’employeur et ses salariés. L’Etat ne considère la question posée par l’obligation vaccinale (ou celle du pass sanitaire) que sous l’angle de la sanction qu’il veut imposer à l’individu pour non-respect de cette obligation, sanction dont il délègue l’exécution à l’employeur en interdisant à ce dernier d’utiliser les services de son salarié et donc de le rémunérer. Ce faisant l’Etat s’immisce dans une relation née du contrat de travail en voulant dicter à l’employeur la conduite qu’il doit tenir du fait de circonstances qui ne le concernent pas.
+La seule règle du licenciement : la cause réelle et sérieuse+
Bien au contraire la question de la rupture du contrat de travail obéit à des règles propres définies par le Code du travail et la jurisprudence qui s’est créée autour de cette question. En matière de licenciement en particulier, la règle est celle de la cause réelle et sérieuse dont la preuve doit être apportée sous peine de voir déclarer abusif ce licenciement. Cette règle est d’application générale et n’a pas à être entamée par la loi sur le pass sanitaire.
+La loi ne peut pas retirer à l’employeur le droit de licencier, seulement en réglementer l’exercice+
Note : Sauf dans le cas exceptionnel des salariés protégés, où le licenciement est soumis à autorisation, censément dans l’intérêt de l’entreprise.
Autrement dit, et comme l’a relevé à juste titre la ministre du Travail, la modification que le compromis de la commission mixte veut introduire, tendant à remplacer le licenciement par le non-paiement de la rémunération du salarié, ne change rien à la faculté de l’employeur de licencier son salarié : la rédaction première de la loi par le gouvernement avait seulement pour effet de préconstituer pour l’employeur la preuve de la cause réelle et sérieuse. Mais la question est vraiment de savoir en quoi il est nécessaire d’édicter des règles spécifiques pour le cas de figure considéré.
+Les tribunaux affirment l’autonomie du droit du travail+
La loi sur le pass sanitaire édicte une incapacité de travail pour le salarié comme sanction pour non-respect de son obligation. Ceci peut être rapproché du cas déjà réglé par la jurisprudence de la condamnation pénale frappant un salarié pour des faits extérieurs à ses rapports avec son employeur. Dans ce cas, les tribunaux n’accordent à l’employeur le bénéfice de la cause réelle et sérieuse que dans la mesure où cette condamnation rend incompatible le maintien du lien contractuel, donc uniquement par son effet dans les rapports nés du contrat de travail, en consacrant par conséquent l’autonomie de ce rapport contractuel et du droit du travail. Pourquoi en serait-il autrement ici, et pourquoi vouloir dicter la conduite de l’employeur alors qu’il suffit de laisser jouer les règles du droit commun ? La modification que veut introduire la commission mixte est inutile et tend faussement à faire croire que l’employeur perd son droit à licencier son salarié. Elle définit une procédure que l’employeur ne serait pas contraint de suivre.
+Laisser jouer le droit commun !+
Confrontés au problème, employeur et salarié ont de multiples solutions à leur portée dans lesquelles ils peuvent choisir par accord amiable : utiliser les congés payés, modifier l’affectation du salarié, suspendre le contrat, voire y mettre fin, et l’employeur pourra licencier si de bonne foi aucune autre solution n’est possible et que la situation créée est incompatible avec le maintien du contrat de travail. Ces solutions sont d’ailleurs indiquées dans le projet de loi, mais ce sont celles du droit commun. Pourquoi dès lors vouloir imposer des procédures rigides et inutiles ? Encore une fois on a recours à l’hyper réglementation avec l’ajout de nouvelles pages au Code du travail et encore plus de confusion. Laissez faire les parties et le droit commun !
+Inconstitutionnalité de la procédure envisagée+
On peut légitimement penser que le Conseil constitutionnel, déjà saisi par le gouvernement, déclarera inconstitutionnelle la procédure prévue pour contrariété avec les principes généraux du droit du travail. Mais il faudrait qu’il aille encore plus loin que de rejeter la solution de compromis, et indiquer que l’Etat n’a pas à dicter la solution aux parties au contrat de travail, dans la mesure où il suffit de faire jouer les règles de droit commun.
Une bêtise économique
+L’employeur en pleine incertitude, l’intérêt de l’entreprise oublié, celui du salarié pas garanti+
L’Etat et le législateur ne se préoccupent que de l’applicabilité des « sanctions » à imposer au salarié réfractaire, sans véritablement examiner les conséquences pour l’employeur de la réglementation qu’il édicte. Or la solution découlant du compromis de la commission mixte est la pire pour l’employeur, qu’elle laisse dans l’incertitude et l’ambiguïté. D’abord elle donne un argument au salarié pour contester le caractère réel et sérieux du licenciement éventuellement prononcé par l’employeur, en faisant croire faussement que ce dernier n’a que la solution de la suspension du salaire (donc du contrat) qui soit disponible, voire pire encore, en voulant interdire le licenciement (ce qui devrait constituer la base pour une déclaration d’inconstitutionnalité). D’autre part, décider autoritairement la suspension du contrat nécessite de faire connaître le terme de cette suspension, sinon, ni le salarié ni l’employeur ne savent comment s’organiser. L’employeur en particulier aura dans la plupart des cas à remplacer le salarié : remplacement temporaire, pour combien de temps, ou définitif ? Or l’employeur est à la merci d’un changement de décision du salarié, et en tout état de cause personne ne sait combien de temps va durer la réglementation. De son côté, privé de rémunération, le salarié ne peut cependant pas travailler pour un autre employeur, et se trouvera souvent acculé à la démission.
+A refaire !+
Les syndicats patronaux sont conscients de ces problèmes et redoutent ce qu’ils appellent un no man’s land juridique. Ils vont d’ailleurs jusqu’à penser que la solution du compromis exclut la possibilité de licencier – ce que, comme le dit la ministre du Travail, nous n’estimerions pas possible, ni à notre sens conforme à la Constitution. Il faut donc remettre l’ouvrage sur le métier. Mais que l’Etat et le législateur se défassent de l’obsession de tout réglementer ! Laissons jouer le droit commun, il est déjà suffisamment complexe.
Dernière minute : Cacophonie.
Les Echos ont interrogé la ministre du Travail. Ils lui ont demandé ce qu’elle pensait de l’affirmation du sénateur rapporteur Philippe Bas, selon qui « en l’absence de motif spécifique », il ne serait pas possible à l’employeur de licencier le salarié réfractaire pour « non présentation du pass sanitaire ». La ministre contredit le rapporteur, sans d’ailleurs que son explication soit très claire : veut-elle dire que ce sera toujours possible, mais à condition de trouver d’autres causes de licenciement ?
Il y a confusion à notre sens. L’employeur ne va pas invoquer la non-présentation du pass pour licencier, ce n’est pas son problème, mais, comme nous l’avons dit, un fait qui rend le maintien du lien contractuel impossible, parce que le salarié ne peut pas exercer ses fonctions (voir l’analogie signalée avec la condamnation pénale du salarié). L’employeur ne devrait pas pouvoir se voir interdire le licenciement dans un tel cas. En ce qui le concerne, la cause n’est donc pas l’absence de vaccination, mais l’impossibilité légale pour l’employeur d’embaucher ou de faire travailler le salarié, ce qui en droit commun doit autoriser le licenciement. Espérons que le Conseil constitutionnel retiendra cet argument.
4 commentaires
Billard à trois bandes
Le sujet est au cœur de l’actualité et le gouvernement veut jouer au plus malin avec des mesures type billard à trois bandes….
Consensus mou français habituel
Je suis aussi très partisan de rompre le consensus mou français habituel sur l’oubli du coût économique durable des mesures protectrices de «liberté ».
On se réveille maintenant pour observer que l’absence des touristes étrangers est fort coûteuse. L’image de la France comme pays accueillant est un actif durable à défendre.
La myopie actuelle des US etc sur la fermeture des écoles, autre exemple grave.
Les fragiles doivent se faire vacciner
Les fragiles doivent se faire vacciner s’ils ont des craintes et des angoisses.
Les intervenants doivent se faire tester régulièrement, porter de bons masques protégeant les autres,
et être testés dès que température supérieure à la normale (test rapide)
et mis en « maladie » si porteurs de virus, quel qu’il soit … ya pas que covid sur terre.
quelle sanction me sera infligée ,
La question que se posent les employeurs concernés par cette loi est: quelle sanction me sera infligée par l’administration si je ne demande pas leur pass sanitaire à mes salariés, ou si je ne suspend pas leur contrat de travail s’ils ne peuvent fournir un pass sanitaire? Dans la première version du texte, la réponse était: des amendes, puis la fermeture de l’établissement pendant 7 jours.
Quelle est la version définitive (à ma connaissance, le texte n’est pas encore disponible)? Montant des amendes? Durée de la fermeture? Quid en cas de récidive?
Si le gouvernement, craignant que la police refuse d’infliger des sanctions aux salariés non-vaccinés, impose aux chefs d’entreprise de remplacer la police qui risque d’être défaillante, et leur inflige des sanctions s’il ne suppléent pas à sa police, n’ y a-t-il pas pour nous matière à contestation?
Merci de l’info si vous la trouvez.