On le sait, les entreprises françaises souffrent toujours, malgré certaines réformes récentes, comme le CICE, transformé en réduction des cotisations, d’être très taxées par comparaison avec leurs homologues étrangères européennes.
Deux sujets principaux posent problème, les impôts de production et les cotisations employeurs.
Nous traitons ici de ces cotisations, qui font l’objet de règles très particulières à notre pays. Le constat est très bien expliqué par François Ecalle sur son site Fipeco. Nous disposons aussi d’une étude très fouillée de Rexecode, effectuée à la demande de la Fédération Syntec, et intitulée « La superfiscalisation du travail qualifié en France » (Document de travail No 93, Janvier 2025). Cette étude pose la question de l’impact de cette superfiscalisation et évoque de possibles remèdes. Ce sont ces deux travaux qui guideront la présente analyse.
Le constat.
Dans sa fiche « Les prélèvements sur le travail, le capital et la consommation de 2016 à 2022 », Fipeco indique que les prélèvements obligatoires sur le travail représentent en France 23,4% du PIB (premier rang), contre 20,3% en Europe, et 22,6% en Allemagne, ce qui n’est pas très éloigné du chiffre français.
Mais le plus significatif est que « La France se distingue encore en 2022 par le poids des prélèvements dont les employeurs sont redevables (12,3 % du PIB) malgré les allègements de cotisations patronales qui ont remplacé le CICE : elle est restée au premier rang, comme en 2016, loin devant l’Allemagne (6,9 %) et les moyennes de la zone euro (8,4 %) et de l’Union européenne (8,0 %). ». Là, l’écart, avec l’Allemagne en particulier, est vraiment significatif, 5,4% du PIB, soit environ 150 milliards sur la base du PIB français.
Plusieurs particularités sont en cause ; le fait que, à la différence de l’Allemagne où les cotisations employeurs sont du même niveau que les cotisations salariés, les cotisations employeurs sont en France beaucoup plus élevées que les cotisations salariés ; d’autre part, dans le but de favoriser l’emploi non qualifié, les cotisations employeurs sont en France quasiment nulles au niveau du Smic et faibles jusqu’à 1,6 Smic. En compensation, les cotisations employeurs progressent très fortement à partir de 2,5 Smic, d’autant plus que la France ne pratique pas de plafonnement de l’assiette taxable comme en Allemagne ou ailleurs.
Dans l’étude rappelée ci-dessus, Rexecode a calculé les écarts du « coin sociofiscal » concernant la totalité des prélèvements obligatoires applicables au travail, pour les salaires moyens et élevés, sachant que les entreprises regroupées dans le Syntec, demandeur de l’étude, emploient surtout des salariés qualifiés, donc à salaire élevé (1,4 million de salariés au total).
Le résultat est frappant : « L’écart avec l’Allemagne est de l’ordre de 10 points de salaire brut à 2,5 SMIC et de 20 points à 3,5 SMIC, et continue de s’accroître quand le salaire augmente. Une autre singularité française est que ce coin socio-fiscal est davantage porté par l’employeur que par le salarié. ».
En résumé, « en termes de revenu disponible net d’impôts reçu par le salarié, la France reste bien en dessous de l’Allemagne et des Pays-Bas, et encore plus des États-Unis, dès que l’on s’éloigne du SMIC, et ces écarts sont croissants avec le salaire brut.
On observe alors, à partir de certains niveaux de salaires, des situations paradoxales où un salarié français (à poste équivalent) représente un coût du travail plus élevé pour son employeur, tout en recevant un revenu disponible net d’impôts moindre qu’en Allemagne ou aux Pays-Bas par exemple. »
On ajoutera que Rexecode estime que la prise en compte des différences de couverture sociale « réduit quelque peu » les écarts de coin sociofiscal, mais que la France reste cependant très en dessous des pays comparés : « avec l’Allemagne, l’écart s’élève à 5 points de salaire brut à 2,5 SMIC, il dépasse 10 points à 3,5 SMIC puis 20 points à 6,5 SMIC. »
Quels impacts de cette situation ?
Rexecode se livre à une étude approfondie des impacts, notamment en ce qui concerne la formation des salariés. Nous nous bornerons ici à évoquer l’opinion de l’organisme concernant la compétitivité des entreprises.
La conclusion est claire : « Au total, la sur-fiscalité sur le travail qualifié agit négativement à la fois sur son offre [ en raison du peu d’attractivité de l’emploi français pour les très qualifiés] et sur sa demande [ en raison de la perte de compétitivité et de productivité, à laquelle il faut ajouter un surcoût pour le secteur aval des clients des entreprises du Syntec ], et ces handicaps pourraient s’aggraver à mesure que l’accentuation récente (depuis 2019 notamment) du coin socio-fiscal fera pleinement sentir ses effets. ».
Quels remèdes ?
En fonction de l’analyse qui vient d’être faite, Rexecode plaide logiquement pour une réduction du coin sociofiscal au-delà de 1,6 Smic. A long terme, on pourrait en attendre un gain de 0,3% du PIB et 100.000 emplois.
Cette conclusion rejoint l’opinion que nous avons déjà exprimée dans nos propres analyses de la trappe à bas salaires, et de la critique que nous avons faite et continuons à faire sur le choix, déjà ancien, de la réduction, puis de la suppression des cotisations sur les bas salaires. En cherchant à favoriser l’emploi non qualifié, ce choix faisait l’impasse sur l’orientation de l’activité vers le haut de gamme, ce qui se révèle selon nous être un mauvais calcul.
Mauvais calcul sur lequel Louis Gallois avait déjà, en vain malheureusement, averti le gouvernement Valls de l’époque (2016) qui lui avait donné la mission de se prononcer sur la compétitivité de la France.
Et nous approuvons de même que Rexecode, tout aussi logiquement, ait critiqué la préconisation du récent rapport Bozio Wasmer qui, en se prononçant à l’inverse (et toujours pour le même motif d’emploi qu’en 2016) pour une sur-fiscalité du travail au delà de 2 Smic, ne ferait qu’accentuer les « effets négatifs sur l’offre et de la demande de travail qualifié ».
Laisser un commentaire