Que faire du CICE ?

par Gilles Rigourex
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Dans la campagne électorale qui fait rage, le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) est devenu quasiment un enjeu idéologique, à peine moins emblématique que l’ISF. Pour certains candidats il faut immédiatement mettre fin à ce cadeau fait aux patrons ; pour les autres il faut aussi le supprimer, mais pour le remplacer par des baisses des charges sociales ciblées ou non.

Qu’en pensent les chefs d’entreprises, et particulièrement les chefs des petites et moyennes entreprises ?

Les candidats sont-ils allés leur poser directement la question ? Sans doute pas. Ils se contentent, de leurs entourages issus pour l’essentiel de l’administration publique, qui les y poussent, et les incitent à s’appuyer sur les tentatives de mesures faites par l’Insee ou d’autres instituts, au niveau macro-économique. Il n’y a d’ailleurs aucun consensus sur l’impact réel du CICE.

De toute façon, l’entreprise est totalement absente de cette campagne. Le mot n’est jamais prononcé dans les débats ou lors des interviews. Et aucun candidat n’a la moindre idée du fonctionnement des PME et de la psychologie de leurs « patrons », pas plus que les journalistes qui les interrogent. Les 35 heures, les emplois publics, le pouvoir d’achat, OUI, mais les chefs d’entreprises privées qui créent les emplois marchands et sont donc les seuls à pouvoir inverser la courbe du chômage, silence radio !

La question fondamentale est donc : le CICE a-t-il, oui ou non, amené les chefs d’entreprises à recruter ? Et plus particulièrement les chefs des petites et moyennes entreprises ?

Entrepreneurs pour la France (EPLF) a essayé de décrypter la chose avec un patron de PME, qui bénéficie du CICE depuis sa création en 2013. Tous les chiffres cités dans le tableau ci-dessous sont issus de vraies fiches de paies.

Trois cas ont été analysés : 1 salarié au SMIC = 1.480 euros brut / mois ; 1 salarié à peu près au salaire moyen en France = 2.300 euros brut ; 1 salarié à peu près au plafond de l’application du CICE, c’est-à-dire 2,5 fois le SMIC = 3.500 euros brut.

Une simulation a été faite de l’incidence d’une augmentation de salaire de 100 euros brut / mois faisant sortir le salarié de l’application du CICE.

Comment raisonne le chef d’entreprise ? Ses réponses :

– Quand j’embauche une personne, elle veut savoir combien elle va gagner net. Même si c’est le brut qui figure sur le contrat de travail et en haut de la fiche de paie, c’est le virement qu’elle va recevoir en net sur son compte qui l’intéresse.

– Moi, je calcule combien la personne va coûter pour l’entreprise, c’est-à-dire le brut plus les charges patronales. La différence entre le net pour l’employé et le coût pour l’entreprise est de 50% au niveau du SMIC, de 75% pour le salaire moyen, et de 100% à la limite du CICE. C’est souvent là que les discussions sont difficiles car le salarié en voudrait plus, et c’est normal, et moi je ne peux pas en supporter davantage, ce qui est aussi normal. Si le différentiel se réduisait significativement, en particulier pour les plus hauts salaires, ça faciliterait grandement les discussions.

– Le CICE nous a permis de déduire de nos impôts 2017, donc avec un an de décalage, 6% des salaires bruts versés en 2016. L’économie faite sur les frais de personnel est finalement de 4% à 5% selon les niveaux des rémunérations. Dans mon secteur d’activité où les frais de personnel représentent 35% du chiffre d’affaires HT, cela revient à réduire les coûts de 1% à 1,5% du chiffre d’affaires. Ce n’est pas suffisamment significatif pour qu’on le répercute sur nos prix de vente. Ça l’était encore moins en 2014 et 2015 quand le CICE n’était qu’à 4% et 5%.

– L’économie d’impôt que nous avons faite avec le CICE est loin d’être suffisante pour financer intégralement une embauche à temps plein, et pourtant nos effectifs sont passés de 12 à 15 personnes. Mais ce n’est en rien le CICE qui m’a décidé à embaucher, c’est le besoin généré par nos activités. En fait j’ai calculé qu’il faut l’économie d’impôt faite sur le CICE de 20 à 25 personnes pour financer intégralement une nouvelle embauche. Si les grandes entreprises ont peut-être embauché en prenant en compte l’économie faite grâce au CICE, ce n’est surement pas le cas pour les entreprises de notre taille.

– Nous avons 3 salariés qui sont payés 3.500 euros brut par mois. Ils n’ont pas été augmentés depuis 3 ans et réclament à juste titre une révision. Mais j’ai fait le calcul : si je les augmente de 100 euros brut par mois, ils percevront nets 73 euros, et cela me coûtera 358 euros de plus par mois avec la perte de la déduction fiscale du CICE puisque nous serons au-dessus du plafond. Pour qu’ils gagnent 876 euros net de plus dans l’année, cela coûterait à l’entreprise 4.296 euros ! Le quintuple ! Ce n’est pas possible.

– Et je dois aussi dire que je me suis interrogé, et continue de m’interroger, sur la pérennité de cet allègement fiscal. Nous sommes trop habitués à des changements permanents pour les considérer comme des acquis, surtout quand il s’agit comme pour le CICE d’une disposition nouvelle sortie d’un chapeau et contestée dès le départ. Qu’est-ce qui se passera après les présidentielles, nous n’en savons rien.

– En fait, le CICE nous a permis d’envisager avec plus de sérénité certaines dépenses d’équipement que nous n’aurions peut-être pas faites sans lui.

– Les mesures concrètes que nous attendons et espérons, et qui peuvent réellement influencer nos décisions en matière de développement de l’activité et d’embauches, seraient évidemment :

o Une réduction drastique des charges pesant sur les salaires. Le différentiel « salaire net – coût employeur » est vraiment décourageant. Il nous est arrivé de renoncer à certains nouveaux marchés à cause de cela.

o Cesser de tout miser sur « les bas salaires ». Les politiques pensent que cela va nous pousser à embaucher des personnes sans qualification. Mais c’est complètement faux. Aujourd’hui, quand nous déposons une offre d’emploi à Pôle Emploi, nous recevons des quantités de CV de personnes diplômées, voire surdiplômées par rapport au poste à pourvoir. Elles attendent des rémunérations en rapport avec leur niveau de formation. Et nous ne pouvons pas leur proposer des rémunérations à la hauteur. Ce sont les personnes les plus qualifiées qui sont créatives, qui innovent, qui génèrent de nouvelles activités et du chiffre d’affaires. Et donc c’est avec elles que l’on se développera et que l’on recrutera d’autres personnes à des niveaux de base et intermédiaires. Tous les effets de seuil sont contre-productifs et produisent les effets inverses à ceux recherchés.

En conclusion, si l’on en croit notre chef d’entreprise, oui, on peut supprimer le CICE. Mais il faut impérativement le compenser par une baisse équivalente et même supérieure en charges sur les salaires. Toute autre alternative serait un nouveau coup porté à l’embauche et à la réduction du chômage. Il ne faut pas des paroles, il faut des actes et de la visibilité. C’est quand même curieux que ce soit aujourd’hui les entreprises qui aient une vision à long terme et redoutent les changements permanents de l’État alors que ce devrait être l’inverse. L’État devrait donner des cadres à long terme et permettre ainsi aux entreprises d’optimiser leurs activités et leur rentabilité à court et moyen terme.

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1 commenter

leopold SAX avril 2, 2017 - 6:28 pm

Les baisses de charge doivent etre pour tous les salariés!!
le plafonnement à 2,5 smic est uniquement idéologique: en effet , 3500 euros mensuel se situe à 88% de centile , càd seulement 12% des salariés gagnent plus : ce sont en général les ingénieurs et autres cadres de management souvent expérimentés : mais il ne faut surtout pas encourager les embauches de ce genre de personnes!!

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