La France, nous allons le voir, peut être considérée comme l’un des pays les plus mal gérés d’Europe. Son économie, depuis des années, est à la peine, le pays a une dette qui ne cesse de croitre, et les Français sont inquiets pour l’avenir de leurs enfants. L’économie de ce pays devrait être bien plus prospère qu’elle n’est actuellement, et le ministre de l’Economie vit dans la hantise que les agences de notation en viennent à faire à nouveau reculer notre pays d’un cran dans leur prochaine revue des comptes publics. Il s’agit pourtant d’un pays qui dispose de très nombreux atouts, et on se souvient qu’il a été longtemps, dans son histoire, l’un des pays les plus puissants d’Europe, sinon le plus puissant. C’est un grand pays agricole avec des terroirs diversifiés et riches, et, au plan industriel, il a à son actif de très belles réalisations. Il faudra donc que les observateurs de notre vie économique et sociale se penchent un jour sur la question pour expliquer pour quelles raisons la France se trouve aujourd’hui en queue de peloton lorsque l’on range les pays européens par ordre décroissant quant à la façon dont ils sont gérés…
Quels critères faut il choisir pour juger de la qualité de la gestion d‘un pays ? On peut songer à divers critères, mais il en est un qui s’impose, d’emblée, car il résume tous les autres : la situation d’endettement du pays, c’est à dire les dettes accumulées au cours des ans. Quand on gère bien, on emprunte seulement pour investir et non pas pour boucler chaque année son budget. Pour procéder à des comparaisons entre les pays, et établir un classement, il faut s’en référer à la dette par habitant, et non pas à la dette en pour cent du PIB comme cela se fait habituellement. C’est l’objet du tableau ci-après:
Dette par habitant (US$)
- Suède 17.165
- Danemark 20.338
- Pays-Bas 26.723
- Allemagne 31.457
- Luxembourg 35.220
- Finlande 37.796
- Suisse 38.518
- Norvège 39.582
- Autriche 40.105
- Grèce 40.300
- Gde Bretagne 44.730
- France 45.740
- Italie 49.213 (Source :BIRD 2022)
L’endettement des pays traduit le manque de compétences qu’ont eu les dirigeants pour créer de la richesse et ajuster leurs dépenses aux ressources financières disponibles. Nous ferons donc des comparaisons entre les quatre pays supposés les mieux gérés, ceux qui se trouvent, ici, en tête de ce classement, et les quatre derniers :
Pays les plus performants
Pays les moins performants
- Suède
- Danemark
- Pays Bas
- Allemagne
- Grèce
- Italie
- France
- Grande Bretagne
Nous plaçons la Grèce en tête des pays mal gérés en raison de la grave crise qu’elle a connue en 2008, due précisément à sa mauvaise gestion. Le FMI et la BCE durent intervenir à plusieurs reprises, et ce pays a failli se trouver exclu de la zone euro.
L’opposition entre les meilleurs et les plus mauvais
Il est intéressant de rechercher quels sont les paramètres qui se retrouvent chez les plus performants et chez les moins doués, ceux qui gèrent bien et ceux qui gèrent mal, ou qui ont mal géré.
Les PIB par habitant :
Le PIB/capita est le ratio qu’utilisent toujours les économistes pour mesurer la richesse des pays et faire des comparaisons entre eux. On a, ici, les chiffres suivants, pour l’année 2022 :
PIB/capita (US $)
PIB/capita (US$)
- Suède….……56.373
- Danemark….67.790
- Pays Bas…..57.024
- Allemagne…48.718
- Grèce……..20.867
- Italie……..34.776
- France……40.886
- Gde Bret…46.125
(Source : BIRD)
On ne doit pas s’étonner de voir que les pays les mieux gérés sont ceux qui ont les PIB/capita les plus élevés, et la différence avec les moins bien gérés est importante : on va du simple au double.
Les salaires mensuels:
Des statistiques existent donnant les salaires mensuels moyens par pays. Là, également, on voit que c’est dans les pays les mieux gérés que les salaires sont les plus élevés :
Salaire moyen (US$)
Salaire moyen (US$)
- Suède……….5.249
- Danemark….6.100
- Pays Bas……4.785
- Allemagne…4.449
- Grèce..…..1.181
- Italie……..3.457
- France…. 3.821
- Gde Bret..4.074 (Source JDN)
On en est à 5.000 ou 6.000 dollars, dans un cas, et à 3.000 à 4.000, dans l’autre.
La satisfaction des habitants :
Depuis une dizaine d’années les services de l’ONU procèdent à des enquêtes pour connaitre le degré de satisfaction des habitants dans les différents pays, et ils publient chaque année un « World Happiness Report ». Nous indiquons, ci-dessous, le rang auquel se situent dans le dernier rapport des Nations Unies les pays dont nous examinons ici les performances :
World Happiness
World Happiness
- Suède…….…..6
- Danemark……2
- Pays Bas….….5
- Allemagne ….16
- Grèce……..58
- Italie…….. 33
- France…… 21
- Gde Bret.…19
On constate, ce qui se conçoit fort bien, que les habitants des pays qui sont les mieux gérés sont bien plus « heureux » et satisfaits de leur sort que ceux du second échantillon. C’est la Finlande qui vient en numéro 1 dans le dernier classement.
Les critères explicatifs
Nous avons cherché à identifier quels sont parmi les paramètres économiques dont on dispose ceux susceptibles d’expliquer les raisons pour lesquelles des pays se rangent dans l’une ou l’autre des rubriques « bien gérés » et « mal gérés ». Nous n’avons pu en identifier que seulement deux, et ils sont déterminants :
- Le taux de population active des pays.
- Le niveau de la production industrielle.
Les autres éléments fournis par les statistiques habituelles traduisent des effets, et non des causes, comme par exemple les taux de chômage, les résultats des balances commerciales, l’importance des exportations/PIB, les réserves de change, etc…Ce qui nous intéresse, ici, ce sont les causes.
Le taux de population active des pays :
Il s’agit du nombre des personnes ayant un emploi, plus les chômeurs en recherche active d’emploi, rapporté à la population totale :
Taux de population active
Taux de population active
- Suède………..53,4 %
- Danemark……53,1%
- Pays Bas……. 55,9 %
- Allemagne….. 53,0%
- Grèce……43,5 %
- Italie……. 43,0 %
- France……46,6 %
- Gde Bret…48,2 % (Source : BIRD)
Dans les pays bien gérés, qui ont une économie fonctionnant à plein régime, on a des taux de population active très élevés, de l’ordre de 54 %. Dans les autres, des pays plus poussifs car mal gérés, on a une proportion importante de personnes qui ne sont pas au travail, et la France est de ceux là : on a des taux de l’ordre de 45 %, et non plus, comme dans le cas précédent, de 54 %. Dans notre pays, où l’on en est à un taux de population active de seulement 46,6 %, les jeunes entrent tardivement dans la vie active, on part à la retraite bien plus tôt que dans les autres pays ; et il y a beaucoup de personnes qui se tiennent en marge de la vie économique, et que l’on trouve sur les listes de « France Travail » (ex Pôle-Emploi) : 5.406.000 demandeurs d’emploi, en tout, catégories A, B et C, confondues. Ces personnes, qui sont sensées chercher du travail, vivent aux crochets de la collectivité : si nous avions un taux de population active de 54 %, comme c’est le cas des pays bien gérés, nous aurions 5 millions de personnes de plus au travail, et c’est sensiblement le chiffre des effectifs des chômeurs inscrits aujourd’hui à « France Travail ». Notre PIB s’en trouverait majoré de 15 %.
L’importance de la production industrielle :
L’autre élément discriminant est l’importance de la production industrielle. L’industrie est, en effet, une activité qui crée de la richesse, et elle est le secteur de l’économie où la productivité croit le plus vite ; par ailleurs, les économistes considèrent qu’un emploi créé dans l’industrie induit trois emplois dans les services.
Pour faire des comparaisons entre les pays nous rapporterons leur production industrielle, telle qu’elle est mesurée par les comptabilités nationales, au nombre des habitants :
Production industrielle/hab (US$)
Production industrielle/hab (US$)
- Suède……….26.320
- Danemark…..13.389
- Pays Bas……11.073
- Allemagne….13.102
- Grèce……. 3.421
- Italie……..8.268
- France……6.858
- Gde Bret…7.698
(Source :BIRD)
Les niveaux de production industrielle sont très différents dans les deux catégories de pays : de l’ordre de 12.000 à 20.000 dollars dans un cas, et de 7.000 à 8.000 seulement dans l’autre. Nous voyons donc, là, l’élément essentiel à retenir pour expliquer les performances différentes des pays examinés. La France, on le sait, a laissé se détériorer considérablement son secteur industriel, et celui-ci ne représente plus que 10 % seulement du PIB, alors que l’on en est à 23 % ou 24 % dans les cas de l’Allemagne ou de la Suisse ; elle est devenue le pays le plus désindustrialisé d’Europe, avec la Grèce. Cela est dû au fait que ses dirigeants se sont laissés berner par l’idée, diffusée par des sociologues comme Alain Touraine, qu’une société moderne est une société « postindustrielle », c’est-à-dire sans industrie. La loi des trois secteurs de l’économie, de Jean Fourastié, s’est imposée. Il avait publié en 1949 « Le grand espoir du XXe siècle », un ouvrage qui eut un succès considérable, mais sa loi des trois secteurs a été mal interprétée. Les effectifs du secteur industriel, certes, décroissent dans les pays qui se modernisent, mais le secteur industriel ne disparait pas pour autant, les emplois dans le secteur dit « secondaire » devenant des emplois à très haute valeur ajoutée : moins d’emplois, mais une valeur ajoutée du secteur secondaire, dans le PIB, qui reste néanmoins importante de par les effets de la productivité.
Quid, pour l’avenir ?
A l’issue de ce bref tour d’horizon on doit s’interroger sur les raisons qui ont conduit notre pays à se trouver en queue de peloton dans les classements que nous venons de faire. Des économistes, des sociologues, des anthropologues devront unir leurs efforts pour nous en expliquer les raisons. Mais déjà trouve-t-on dans l’ouvrage de Jean Louis Beffa, « La France doit choisir » (Seuil), publié en 2012, une réponse à nos interrogations. Elle nous est donnée par cet ancien président de Saint-Gobain, une multinationale française qui est présente dans plus de 75 pays. Il nous explique qu’il existe quatre modèles distincts de développement, pour les pays :
- Le modèle commercial-industriel (Allemagne, Japon, Chine….) ;
- Le modèle libéral-financier (Etats-Unis, Grande-Bretagne,…..) ;
- Le modèle auto-centré (Inde, Brésil,….) ;
- Le modèle rentier (Russie,….).
La France, traditionnellement, a toujours été adepte du modèle « commercial-industriel », et c’est celui qu’ a utilisé avec le Général de Gaulle au lendemain de la dernière guerre pour reconstruire l’économie du pays, en se dotant, pour concevoir et coordonner les actions, d’ un « Commissariat Général au Plan » qui a été dirigé par Jean Monnet. Puis la France et l’Allemagne, enfin réconciliées, ont entrepris de se lancer dans un ambitieux projet : celui de la construction d’une nouvelle Europe. On créa, le 7 février 1992, par le traité de Maastricht, l’ « Union Européenne » conçue comme une vaste zone de libre échange. On estima qu’il fallait commencer par une union économique avant d’en arriver à une union politique. Ainsi, notre pays, sans le vouloir, changea-t-il de modèle pour faire partie d’un ensemble où l’on pratique un libre échange très abouti, selon les conceptions de Friedrich Hayek et de l’Ecole autrichienne. La France abandonna donc son modèle traditionnel pour adopter le modèle « libéral-financier » anglo-saxon, un modèle où les choix individuels priment sur les intérêts nationaux. Jean Louis Beffa nous dit, dans son ouvrage, que c’est, là, la cause du déclin de la France, car ce modèle ne lui convient pas : il n’est pas adapté à la sociologie des Français, et il conseille à nos dirigeants d’y revenir sans plus attendre. C’est une opinion, et il faudra en recueillir d’autres.
Ce qui s’est passé, c’est que nos entreprises n’étaient pas préparées à affronter la concurrence, et les dirigeants du pays ont laissé s’amenuiser notre secteur industriel sans intervenir, puisqu’on était en économie libérale, voyant d’ailleurs dans son rétrécissement le signe même de la modernisation du pays. Un grand nombre de nos entreprises industrielles ont alors disparu de par l’incapacité de leur dirigeant à doter leur entreprise d’un avantage compétitif précis. On s’occupait, alors, simplement de produire et de distribuer : on ne comprit que plus tard qu’il fallait qu’une entreprise ait une stratégie bien déterminée.
Notre pays a ainsi vu son secteur industriel s’affaiblir et se rétrécir de plus en plus. Il a fallu la crise du Covid-19 pour que notre Président réalise enfin combien la France était désindustrialisée, et même la crise des Gilets jaunes qui avait éclaté en 2019 ne lui avait pas ouvert les yeux : elle était pourtant l’illustration même des effets délétères d’une désindustrialisation avancée : appauvrissement de la population et désertification du territoire. Il va donc falloir, à présent, reconstruire notre secteur industriel.
Nous avons, dans d’autres articles, estimé à 350 milliards d’euros le montant des investissements à effectuer par nos entreprises pour porter notre secteur industriel à 17 % ou 18 % du PIB, le niveau à viser pour permettre à notre économie de retrouver ses grands équilibres. Ce montant est considérable, et il faudra des aides de l’Etat, comme cela se fait actuellement aux Etats Unis avec les mesures prises le Président Joe Biden.
Emmanuel Macron a lancé en octobre 2023 le Plan « France 2030 » doté d’un budget de 30 milliards d’euros auxquels se rajoutent les 26 milliards restant du Plan de Relance lancé après la crise du Covid-19, ceci pour soutenir les nouveaux projets des industriels. Mais ce plan a un champ d’application restreint, et il est totalement insuffisant : nous avons avancé le chiffre de 150 milliards d’euros pour ce qui est des aides à accorder pour épauler les industriels dans leurs initiatives, chiffre à comparer aux 1.200 milliards de dollars du coté américain, selon du moins les chiffres avancés par certains experts outre-Atlantique. Il faut bien voir, en effet, que les industriels, aujourd’hui, hésitent à investir en Europe : ils ont avantage à aller aux Etats-Unis où existe l’IRA et où ils bénéficient d’une politique protectionniste efficace. Et il y a la guerre en Ukraine : donc bien des incertitudes qui assombrissent l’horizon de nos entreprises.
3 commentaires
pour dire court nous sommes dans une « dégérance » profonde et (presque) irréversible
Il me semble surtout que nous sommes dans une société planifiée socialiste ou pullulent les fonctionnaires et conseils qui coûtent tres cher. Il faut avant tout diminuer le coût de l État ce qui permettra de revenir à une économie Libérale et surtout ne pas faire de protectionnisme
Article bien construit. Merci Irdeme et Claude Sicard