Dans Le Figaro du 17 mars, Emmanuel Macron a publié un article intitulé « Pourquoi nous sommes un peuple », en réponse aux indignations qu’a soulevées sa déclaration dans un meeting à Lyon où il a affirmé : « Il n’y a pas de culture française ». Quelque temps après, dans une réunion avec la colonie française de Londres, il aggrava son cas en formulant une nouvelle ineptie : « L’art français, je ne l’ai jamais vu ». De telles affirmations sont quelque peu inattendues dans la bouche d’un candidat qui brigue l’accès à la plus haute fonction dans notre pays, et il faut tenter de comprendre la réelle signification de son message. Il veut nous accoutumer à ce que certains sociologues appellent « l’insécurité culturelle », en parlant du communautarisme. Nous allons voir par quel subterfuge il veut nous convaincre que la notion d’identité française est archaïque, et qu’il n’y a pas lieu de s’y accrocher.
Dans son article il explique que les cultures évoluent en intégrant sans cesse de nouveaux apports étrangers. Il nous dit : « La culture française est un fleuve nourri de confluents nombreux », et il cite pour illustrer son propos un certain nombre d’exemples : Joseph Kessel, Marie N’Diaye, Leila Slimani… pour ce qui est de la littérature française. Et il en est de même dans les arts. La culture française, nous dit-il, « n’a cessé de se réinventer ». Il ne faut pas s’en étonner, d’après lui, puisque « le fondement de la culture française c’est de prétendre à l’universel ». Toute sa démonstration a pour but de railler les tenants de l’invariance (de l’identité française) qu’il affuble de différents noms d’oiseaux : des « réactionnaires », des « aigris », des « rétrogrades ». Bref des gens qui ne connaissent pas l’évolution du monde. Sa démonstration, extrêmement habile, comme toujours, peut en piéger plus d’un : elle a pour objectif de plaider pour un monde ouvert où les nations disparaîtraient en se dissolvant dans le mondialisme.
Le tour de passe-passe que nous joue Emanuel Macron dans cet article est monté comme tous les tours de prestidigitation où un habile manipulateur fait aux yeux de tous disparaître mystérieusement un objet pour en faire jaillir subitement un autre, au grand étonnement d’un public ébahi. Comment donc notre candidat à l’élection présidentielle procède-t-il dans son article ? Il fait disparaître sous nos yeux, sans que nous nous en apercevions, la notion de « civilisation » pour lui substituer subrepticement celle de « peuple ». Et personne n’y voit rien : il s’agit tout simplement de mots, dont le public ne sait pas très bien d’ailleurs ce qu’ils signifient, et, hop, le tour est joué. En avant donc pour cesser de défendre notre identité et nous fondre dans le magma d’une culture universelle.
Pour percevoir où se situe le piège, et le déjouer, il faut nous en référer à quelques notions simples d’anthropologie, cette branche passionnante des sciences humaines qui étudie comment l’homme vit en société. Le concept de civilisation est fondamental en anthropologie, alors que celui de « peuple », inventé par Emmanuel Macron, n’existe pas, du moins au sens qu’il lui attribue. Les anthropologues nous disent que l’histoire des hommes est celle des civilisations. Il faut donc bien comprendre ce qu’est une « civilisation ». L’anthropologue Rodolfo Stevenhagen nous dit : « C’est l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société » Et Spengler, de son coté expliquait dans son fameux ouvrage sur le déclin de l’Occident : « Chaque civilisation est une expérience unique, un art, une science une façon de penser, qui sont incompréhensibles en dehors de l’esprit qui l’anime ». Il faut bien voir qu’à l’intérieur de chaque civilisation il existe des cultures différentes : par exemple la culture en Europe des pays latins n’est pas la même que celle des pays du Nord, car les uns sont catholiques et les autres protestants : mais tous sont des chrétiens, et ces peuples relèvent de la même civilisation. Il ne faut donc pas confondre, ce que l’on fait très souvent, les concepts de « civilisation » et de « culture ». La notion de peuple d’Emmanuel Macron se réfère à ce que l’on appelle, habituellement, « la culture ».
Dans le monde actuel il existe sur notre planète plusieurs civilisations : cinq civilisations différentes, selon les uns, sept, selon d’autres, et notre civilisation, la civilisation occidentale, est l’une d’elles, et sans doute la plus importante. Elle existe depuis le début de l’ère chrétienne. Dans le passé, il y eut diverses autres civilisations qui ont eu chacune leur heure de gloire, puis, un jour, ont décliné puis disparu.
Chaque civilisation, nous disent unanimement les anthropologues, est fondée sur une religion : et ce constat est fondamental. Le christianisme, pour ce qui est de notre civilisation occidentale, l’islam, pour ce qui est de la civilisation musulmane, etc. Notre civilisation, comme toutes les autres a, bien sûr, au cours du temps, évolué. Parmi les événements les plus marquants il y eut, avec la Révolution française de 1789, ce que le philosophe Marcel Gauchet a appelé une « sortie de religion ». Ce fut un virage très important, mais il n’a rien changé aux fondements de notre civilisation : les valeurs chrétiennes se sont simplement laïcisées, par réaction contre les pouvoirs abusifs que s’étaient arrogés sous l’Ancien Régime les membres du clergé catholique. Ces valeurs continuent à constituer la colonne vertébrale de notre civilisation. On a inscrit dans le marbre les trois valeurs fondamentales dans lesquelles se retrouvent tous les citoyens du pays : liberté, égalité, fraternité. Ce sont des valeurs chrétiennes, et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est fondée, elle aussi, sur les valeurs amenées au monde par le christianisme.
Ce qui explique que dans l’évolution de toute civilisation il existe un certain nombre d’invariants, c’est le fait que chaque civilisation est, par définition, fondée sur une religion. Chaque fois les croyances religieuses ont instillé des valeurs et des manières de voir le monde, ainsi que de vivre ensemble qui sont spécifiques. Si l’on change ces valeurs qui ont été créatrices, on change de civilisation. Avec le remplacement que fait Emmanuel Macron du concept de « civilisation » par celui de « peuple », l’auteur de l’article se dégage des enseignements que nous donnent les anthropologues sur les racines des civilisations et sur l’évolution de celles-ci. Emmanuel Macron nous plonge ainsi dans le doute, et cela lui permet de plaider pour un univers mouvant où rien ne se perpétue. L’auteur veut nous accoutumer à l’idée que l’on s’achemine inéluctablement vers une civilisation mondiale où les peuples perdront leur identité et seront indifférenciés.
Soyons donc prudents pour ne pas tomber dans le piège ainsi tendu. Le philosophe Guy Coq, fondateur de la revue « Esprit » a expliqué qu’une civilisation devait avant tout « veiller aux causes internes de sa propre destruction ». La thèse défendue par Emmanuel Macron dans son article est pernicieuse : elle relève de ces courants qui conduisent à la destruction d’une civilisation. Souvenons-nous de cet avertissement lancé au XVIIIème siècle par le philosophe italien Giambattista Vico : « L’adhésion aveugle à des convictions fausses présentées sous le couvert de vérités est la principale cause du déclin d’une civilisation ».
Puisse cet avertissement être entendu par les princes qui, demain, nous gouverneront.
Claude Sicard
Auteur de “Le face à face islam chrétienté : quel destin pour l’Europe ?”, et “L’islam au risque de la démocratie” (Ed. F.X de Guibert).
2 commentaires
« Pourquoi nous sommes un peuple » :
Un grand bravo pour ce texte, un grand merci pour sa clarté.
Macron qui a appelé son mouvement « En marche », tente, comme vous le dites, de nous orienter vers cette idée de civilisation mondiale qui fait florès depuis deux décennies peut-être et dans laquelle les peuples perdraient inéluctablement leur identité. Or, il semble bien que sur la planète entière, la tendance actuelle s’oriente plutôt à l’inverse et au rejet de cette mondialisation mortifère. Le mouvement de Macron serait-il en marche arrière ?
« Pourquoi nous sommes un peuple » :
Analyse très intéressante à laquelle nous nous permettons d’ajouter qu’Emmanuel Macron est « coaché » par (entre autres mentors) Jacques Attali, prophète du mondialisme. On retrouve également la position américaine (et on connaît les liens entre E. Macron et les néo-conservateurs américains), défendue tant par Bill Clinton que par George Bush, concernant le devoir de l’Occident d’installer la démocratie dans le monde entier. Enfin, votre analyse est à rapprocher des propos du candidat lorsqu’il affirmé que, la France n’étant pas réformable, il faut donc la transformer. Là encore, terme vague, non explicité, laissant le champs libre à de nombreuses interprétations.