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Ordonnances, une occasion historique (suite)

par Hervé Gourio
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Dans un article précédent sur la réforme du marché du travail, nous posons comme prioritaire le déblocage de l’offre d’emplois. Sans hésiter à modifier la répartition actuelle des risques entre les salariés et les entreprises qui décourage l’embauche dans les petites entreprises et l’investissement dans les grandes. La réussite du redressement économique français est à ce prix.

Quelles mesures concrètes faut-il mettre en tête de liste dans les ordonnances salvatrices? Nous en détacherons deux. L’une fait partie des mesures d’urgence indispensables pour inverser pour de bon la courbe du chômage et engager une dynamique vigoureuse des embauches. L’autre a pour but de sortir une fois pour toutes du piège où un gouvernement ancien a coincé notre pays en exigeant qu’un licenciement économique ait une cause « réelle et sérieuse ».

1. Une mesure d’urgence. Dérèglementer les CDD uniformément dans les petites entreprises

Le fait commence d’être reconnu. Le contrat à durée déterminée est pour beaucoup d’employeurs un pis-aller : le moyen simple et honnête d’éviter le CDI. Surtout pour les petites entreprises qui ne peuvent pas traiter la rupture du CDI et son processus byzantin sans risque d’échec.
Dans un univers économique et commercial difficile, qui peut défendre l’idée de faire supporter des risques aux « petits » patrons qui embauchent ? C’est pourtant ce que les gouvernements successifs ont fait, confirmant ainsi, encore et toujours, la préférence collective pour le chômage révélée il y a 20 ans par quelques bons esprits. Pour dissuader l’embauche en CDD on y a sans cesse attaché beaucoup de contraintes dans l’espoir (déçu) d’obliger à embaucher en CDI. Le résultat se lit dans les chiffres. On a favorisé le chômage.
La nécessité d’une déréglementation est maintenant admise. Elle pointe le nez derrière les têtes de chapitres de la loi d’habilitation. Plus ou moins bien mariée au grand principe du dialogue social qui devrait prévenir contre les excès éventuels.

Il est temps de sortir de l’ambiguïté. Le dialogue social est ici un embarras.
Les syndicats sont pratiquement absents dans les petites entreprises. Leur intervention se fait sentir par la négociation des conventions collectives lorsqu’elles sont étendues à l’ensemble de la branche. Leur objet n’est pas de lutter contre le chômage mais de défendre les intérêts des salariés. La négociation d’accords d’entreprise aujourd’hui banale dans les grandes entreprises et assez répandue dans les moyennes est impensable dans les petites entreprises. Or c’est chez elles que la libéralisation des CDD est la plus nécessaire, la plus bénéfique, la plus vitale.

Or qui ne perçoit l’urgence de résultats ? Sur cette question qui les concerne si peu, on ne peut plus s’en remettre aux bricolages nocifs auxquels s’entendent si bien les fonctionnaires des syndicats de tous types et ceux de l’administration. Tortiller la réglementation actuelle dans tous les sens peut durer des longs mois : on peut jouer sur des critères variés : combien de renouvellements ? Pendant quelle durée ? Avec quels délais de carence ? Pour des contrats de quels types ?
Alexandre doit trancher : pour les petites entreprises de moins de 50 salariés, les CDD avec un salarié sont renouvelables sans limite dans une durée de 3 ans. Rendez-vous dans 2 ans avec les partenaires sociaux pour voir quels sont les résultats sur le nombre de chômeurs et s’il faut introduire une réglementation.

2. Le piège de la cause réelle et sérieuse ou l’enfer est pavé de bonnes intentions

Un bref rappel historique s’impose. A l’origine on imagine que, comme beaucoup de lecteurs de ce blog, le gouvernement de l’époque (Mitterrand/Fabius) ne s’est pas rendu compte en imposant l’obligation d’une cause réelle et sérieuse qu’il allait amplifier le chômage de façon marquante. Comment en effet ne pas juger légitime et bienfaisant d’empêcher un licenciement dont la cause serait imaginaire ou futile ?

La convention 158 de l’OIT

A l’origine se trouve un projet de convention élaboré par l’Organisation Internationale du Travail, très respectable membre du groupe des Nations Unies, rassemblant des syndicats et des gouvernements du monde entier et chargée de faire progresser mondialement les droits des travailleurs. Cette convention 158 définit les règles du « bon » licenciement. En particulier, elle stipule que celui-ci doit avoir un motif “valable”. Le vague du qualificatif était bien encadré : le texte évoque l’incompétence ou la mauvaise volonté du salarié, les nécessités du fonctionnement de l’entreprise. Il l’était mieux encore, dans un article suivant, par la liste des motifs “non valables”. Celle-ci est bien précise et recense des motifs sans rapport avec la qualité du travail du salarié ou la situation «économique de l’entreprise, depuis la couleur de sa peau jusqu’à ses activités syndicales. Pour résumer l’esprit du texte, les motifs de licenciement ayant une traduction économique sont valables mais il faut protéger les salariés contre les discriminations arbitraires de tous ordres dont ils pouvaient être victimes.

Sa traduction française

Deuxième étape: comme d’habitude les fonctionnaires français compétents sont allés plus loin que la convention internationale. Le motif “valable” est devenu “une cause réelle et sérieuse”. Dans la convention, les nécessités de fonctionnement de l’entreprise étaient un motif valable. Mais, en regard de la cruauté effective du licenciement, l’entreprise peut-elle invoquer une raison assez sérieuse de faire souffrir un être humain ? Il faut que l’entreprise soit bien souffrante elle-même pour ce faire. La France a avancé d’un pas hardi à l’avant-garde des droits universels.

Une démarche plutôt solitaire

La prudence eût voulu que notre gouvernement parle avec les pays voisins. Ce ne fut pas le cas, nous sommes avec l’Espagne et le Portugal le seul pays d’Europe Occidentale à avoir ratifié la convention 158 proposée par l’OIT. Pourquoi diable les Allemands, les Belges, les Italiens ou les Anglais n’ont-ils jamais voulu entrer dans cet engagement ? C’est qu’en ouvrant la porte aux juges on leur permettait de devenir le décideur ultime du caractère « valable » d’un licenciement. Et, au final, de se substituer au chef d’entreprise dans une décision clé pour la vie de l’entreprise.

L’intérêt de l’entreprise passe en second

Le chef d’entreprise qui engage un nouveau salarié ne pourra s’en séparer qu’avec l’accord d’un juge sur le caractère sérieux de sa décision. On vient de voir combien il doit être « sérieusement » sérieux pour des raisons humaines. Il y a pire. Beaucoup de juges français, y compris au sein de la Cour suprême en la matière, la section sociale de la Cour de Cassation, placent en priorité la défense des droits du citoyen juridiquement amoindris par le lien de subordination intrinsèque au contrat de travail. Dans chaque litige, ces juges se croient fondés à vérifier que l’entreprise employeuse n’abuse pas de cette position d’autorité. Pour eux, n’est-ce pas certain lorsqu’elle finit par licencier un salarié ? La recherche de la cause « sérieuse » est pour eux une arme contre des entreprises liberticides.
L’issue juridique d’un licenciement contesté a de très grandes chances d’être au détriment de l’entreprise.

Perversité d’une mesure progressiste. Etendue des dégâts

Comment ne pas voir la perversité de cette mesure progressiste ? Combien d’embauches ont-elles été jugées trop risquées par les patrons de petites entreprises qui se sont fait piéger une fois ? Combien de milliers de chômeurs du fait de cette épée de Damoclès unique au monde ?
Des combats entretenus par des juges qui s’imaginent protecteurs ont abouti à décourager des grands groupes industriels étrangers d’investir en France. Nous avons entendu cette réflexion dans la bouche d’un Peter Brabeck, excédé par la résistance de la chocolaterie de Saint Menet dont l’agonie dure encore 10 ans après, entre 2 redressements judiciaires. A qui peut-on faire croire que les salariés maintenus dans une aventure précaire ont été bien défendus ?

Sortir du piège

Pour sortir du piège on pourra dénoncer la convention 158 en 2019 (une fois tous les 10 ans …). C’est attendre bien longtemps.
Mais on peut aussi, comme évoqué clairement au cours de la campagne électorale par plusieurs candidats, réduire l’excès de réglementation française par rapport à la convention 158.

Il suffit pour cela de revenir au plus près du texte de cette règle internationale et de corriger le texte du Code du travail sur le licenciement économique (article 1233-3) pour au moins éviter que les juges soient obligés de discerner si la cause invoquée est sérieuse ou non. Il n’est pas absurde de laisser les juges trancher en définitive si le motif invoqué est bien réel, de vérifier qu’il ne dissimule pas d’autres intentions, précisément celles que l’OIT veut bannir. Mais il faut mettre fin à leur droit d’apprécier si le motif économique est « sérieux ». Pour permettre au juge de contrôler la réalité de ce motif, l’entreprise devra énoncer les causes économiques de la réorganisation. Le tribunal de l’opinion pourra aussi percevoir si ces causes contribuent au renforcement de l’entreprise.

De façon moins radicale, nos amis de l’IFRAP ont formulé une proposition de texte prête à l’emploi. Son adoption serait aussi un grand pas dans la lutte contre le chômage et pour le redressement économique de notre pays.

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2 commentaires

hUBIN juillet 31, 2017 - 11:34 am

Ordonnances, une occasion historique (suite)
Bien d’accord mais Mme le Ministre qui sait défendre ses interets perso saura t elle aussi défendre l’interet général exprimé caleirement dans cet article

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Bertrand Nouel (IFRAP) août 3, 2017 - 12:14 am

Ordonnances, une occasion historique (suite)
La proposition de l’IFRAP que je vous remercie de citer n’a hélas pas plus sa chance avec le gouvernement actuel qu’avec les précédents. Les dés sont jetés, on a préféré limiter les dommages-intérêts (DI) en cas de licenciement abusif à une redéfinition de la cause et sérieuse. C’est un acte manqué, très regrettable pour plusieurs raisons.
Juridiquement, les DI sont censés réparer le préjudice subi par le salarié licencié abusivement. Au lieu de cela, le Code du travail adopte une attitude punitive, prononçant des amendes civiles au profit du salarié, sans rapport avec le préjudice subi et forfaitaire. Les tribunaux ont ici pour une fois raison de se plaindre qu’on retire leur pouvoir d’appréciation. Le gouvernement annonce que le limitation des DI ne sera pas applicable en cas de discrimination ou de harcèlement. Ce faisant, il accentue le caractère punitif de la condamnation en l’éloignant de la réparation d’un préjudice. On peut d’ailleurs se demander si la mesure passera le contrôle du Conseil constitutionnel, en créant une inégalité suivant les cas de condamnation, sans rapport avec la signification des DI…
Autre considération, le gouvernement, pour faire passer la mesure à l’égard des syndicats, propose de doubler les indemnités de licenciement. D’un point de vue global et macro-économique, cela coûtera certainement plus cher aux employeurs, et ne sera pas de nature à les inciter davantage à embaucher. Et puis, diminuer le coût d’un licenciement abusif pour augmenter celui d’un licenciement justifié, c’est administrer une drôle de morale me semble-t-il.
Enfin, dans les PME, et surtout les TPE, la crainte des employeurs d’avoir à se défendre avec la perte de temps occasionnée, et l’opprobre dont il sera victime dans son entreprise me paraissent plus dommageables que le risque d’une perte financière dont il reste encore à vérifier l’importance. Finalement, c’est un curieux calcul que l’on prête à l’employeur : je peux me permettre de me comporter comme un « voyou », ça ne me coûtera pas trop cher!

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