Quand je vous le disais, que le Sénat pouvait servir à quelque chose, même s’il a des problèmes d’adaptation de ses coûts et coutumes à l’époque actuelle. Il vient de refuser purement et simplement les propositions de modifications de l’objectif de l’entreprise que d’aucuns essayent d’introduire depuis un bon moment dans la législation, en particulier par le biais de la nouvelle « loi pacte ».
Le Sénat ou comment dire Non ! sans fâcher
C’est courageux à deux titres, d’abord parce que cela va contre les idées reçues ambiantes, ensuite parce que le refus, pour une fois est clair et net : pas de modification, aucune. Ayant été dans la fonction commerciale assez longtemps face à des interlocuteurs aussi musclés que « Le tribunal Carrefour » ou les commissions d’achat « Leclerc » ou « Intermarché », je retrouve un vieux rêve jamais réalisé. Un vendeur, au moins face aux commissions d’achat qui se sont multipliées à l’envi, ne joue plus un rôle de séducteur, au moins dans les flux d’affaires réguliers, mais celui de gardien du temple : comment continuer la relation sans détériorer chaque année la position du fournisseur par rapport à celle de l’acheteur ?[[il faut toujours se rappeler que, au moins dans le mass market, il n’y a plus maintenant entre des milliers de producteurs industriels, en compétition les uns avec les autres, et 65 millions de consommateurs, qu’une dizaine de commissions d’achat qui décident en définitive qui aura le droit de vendre et à quel prix. (Ceci est aussi vrai pour les difficultés de la loi « alimentation » qui ne semble pas avoir très bien évalué ces problématiques.)]]. En un mot, « Comment dire non, sans se fâcher ? » Mon rêve était de monter un séminaire de formation pour hommes politiques sur ce thème bien précis. Le vendeur, comme l’homme politique, doit, mois après mois, année après année, bien plus souvent dire « non » à l’acheteur comme le politique à son électeur, que « oui ». Il me semble que le Sénat vient de faire preuve de courage et ceci sans se faire assassiner immédiatement : bravo !
Comprendre l’entreprise
Mais sa vraie victoire serait d’arriver à faire comprendre quelle est la problématique de l’entreprise : qu’est-ce qu’une entreprise ? Est-elle, comme on l’entend dire le plus souvent, uniquement une machine à faire des profits ? Quel est son objectif ? Allo Wikipédia (simplifié) : « une entreprise est une organisation dont le but est de produire et de fournir des biens ou des services a priori contre rémunération […] Pour ce faire, une entreprise mobilise des ressources financières et humaines ». Assez loin en fin de compte du profit, plus proche en revanche de la création de valeur.
Pire, la présentation, simpliste mais orientée, de l’entreprise comme machine à profit, inverse les fins et les moyens et ce n’est pas sans conséquence. En effet, de mon expérience[[Une très large pincée de commercial chez Danone]] une entreprise qui souhaite s’inscrire dans le long terme, ne peut avoir qu’un rôle que j’appellerai économico-social. C’est-à-dire remplir une fonction utile, voire nécessaire au bon fonctionnement de la société : par exemple pour Blédina : nourrir les bébés ; pour Evian : dessoiffer le monde ; pour Renault : fournir des moyens de transport automobiles aux personnes et aux biens ; etc., et ceci dans des conditions sociales acceptables pour son environnement. C’est dans la mesure où elle remplira cette fonction à la satisfaction de la société, qu’elle sera récompensée – en quelque sorte – par des profits. Les profits sont en fait la mesure concrète de la satisfaction des clients et la contrepartie d’un service bien rendu.
Ainsi que j’ai eu en son temps l’occasion de le dire aux salariés de Blédina : le rôle de notre entreprise dans la société est de nourrir les bébés dans un bon rapport qualité-prix, si nous le remplissons bien nous aurons de bons salaires, des augmentations, des promotions, etc. Si nous le remplissons mal, nous fermerons notre entreprise ! C’est la règle du jeu.
Une entreprise doit remplir une fonction économique et sociale
Cela signifie donc qu’il est vain de courir directement après le profit : il faut trouver un créneau qui intéresse la collectivité et l’assurer correctement : le profit est une conséquence, pas un but. Côté social il est clair que, si une entreprise, pour remplir sa propre fonction, ravage celle de ses « collatéraux » (fournisseurs, sous-traitants, ce que l’on appelle maintenant les « stakeholders »), ou maltraite ses salariés, lesquels sont aussi ses clients, elle ne remplit pas sa fonction sociale correctement. Une entreprise vit dans un ensemble qui, s’il est malade, réagit en définitive sur ses constituants.[[Ce qui tendrait à conforter, n’en déplaise à certains, la théorie du ruissellement. On est d’autant plus riche que l’on évolue dans un milieu qui l’est. Cela devient un des problèmes de la France.]]
Si l’on veut bien se rappeler qu’une question est un entonnoir et délimite déjà sa propre réponse, le fait de fixer le rôle de l’entreprise (ce qui n’est pas toujours un exercice facile), conditionne largement le mode de fonctionnement de celle-ci. Blédina par exemple, s’est développé le jour où nous avons compris que notre rôle était de nourrir les bébés et non de développer les ventes de petits pots, réponse castratrice à une question étriquée, et les résultats ont suivi, en quelque sorte naturellement, transformant fondamentalement la plupart des paramètres de gestion de l’entreprise. De ce point de vue, la formulation du rôle de Danone comme société destinée à nourrir la population avec plaisir et santé et ceci dans son entièreté, c’est-à-dire y compris les plus pauvres, est une formidable reformulation de son rôle et un levier extraordinaire de développement et de progrès.
Mais elle ne peut pas poursuivre tous les rôles de la société qui doit définir le cadre global
Avant la crise, coexistaient des entreprises à objectif profit pur (General Electric ou les conglomérats en général) et des entreprises à fonction économico-sociale plus ou moins finalisée, telles Danone : nourrir ; Auchan et Leclerc : distribuer ; Air Liquide : fournir des gaz ; Essilor : aider à voir ; etc. Les deux modèles réussissaient. La crise a montré l’inanité du modèle profit pur : il est peut-être temps de promouvoir l’autre modèle à grande échelle « Produire des biens et services dans de bonnes conditions ». Il a déjà fait ses preuves. Faut-il pour cela introduire l’environnement ou le bien-être social dans son objectif, ou la parité homme-femme ? Dans son cadre réglementaire peut-être, mais dans son objectif, j’en doute… On ajoutera ensuite demain le bio ou l’accueil des immigrés. Les idées à ce sujet pullulent et varient chaque année. Le profit qu’on lui accole n’y est d’ailleurs pas. On a déjà demandé à l’entreprise de régler beaucoup trop de problèmes qui ne devraient pas être de son ressort[[Citons en vrac le logement, les transports, la santé, etc.]]. Il ne faut pas oublier non plus qu’à côté de l’entrepreneur, il existe souvent d’autres actionnaires, voire des tiers qui sont en droit de demander des explications sur la gestion. Verra-t-on demain une entreprise attaquée parce qu’elle n’a pas été assez sociale ou environnementale, ou pacifiste, et sur quelles bases solides et objectives ?
Entreprise et individu, même combat
A noter qu’il en est de même pour les individus : une fois « élevé » et devenu adulte, chacun de nous doit trouver quel rôle il pourra remplir dans la société et tenter de l’assumer le mieux possible : c’est en échange de cette prestation que la société lui donnera une rémunération plus ou moins proportionnée à son évaluation du besoin et à son niveau de satisfaction. Les uns choisissent en quelque sorte des métiers existants (docteur, professeur, plombier…) D’autres essayent d’en créer de nouveaux via des entreprises. Les sociétés sont comme les individus dont elles sont en général le prolongement, même lointain : toute société a eu un jour un fondateur qui a sélectionné un besoin, donc un rôle, et qui a construit progressivement autour une entité qui tente d’y répondre.
Le Sénat a raison : les arbitres doivent rester le consommateur et l’actionnaire
Il faut conserver à l’entreprise un rôle simple et fédérateur, sans l’encombrer de tous les objectifs et phantasmes de la société, capable de la fédérer dans l’action et une vision d’avenir. Par ailleurs, répétons-le, c’est de la pertinence du service rendu conjugué à sa qualité et à sa rareté, que dépendra en fin de compte l’importance du profit de l’entreprise ou de la rémunération des individus. L’un comme l’autre dépend de l’appréciation des résultats par les « clients ».
L’observation montre que c’est en fait le consommateur qui génère les inégalités en évaluant de manière sélective les prestations de chacun des acteurs.
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l’état unter alles !
Le gouvernement et l’état :« Produire des services dans de bonnes conditions ». Le rôle de l’état dans la société est de régaler* les citoyens dans un bon rapport qualité-prix, si il le remplit bien il aura de bons salaires, des augmentations, des promotions, etc. Si il le remplit mal, il fermera l’état! C’est la règle du jeu.
*issu du mot régalien (indépendamment de l’étymologie, quoique…)