Au cours des débats parlementaires préparant le PLF 2005, de nombreux amendements ont été déposés par les députés pour tenter de remédier aux conséquences de l’ISF.
Les uns étaient tournés vers le rétablissement d’un plafond dont la disparition depuis 1995 est cause du départ à l’étranger de beaucoup de chefs d’entreprises, notamment des jeunes, d’autres s’adressaient à la résidence principale qui a fait rentrer dans l’ISF, du seul fait de la hausse de l’immobilier, beaucoup de ménages des classes moyennes. En commission des Finances, cette mesure a été tellement populaire, que, contre l’avis du président de la commission et du rapporteur général, les députés ont décidé d’exclure la résidence principale de l’ISF, avec l’accord tacite de tous les députés de gauche qui se sont abstenus.
Mais l’Elysée veillait.
Depuis une certaine défaite de 1988 contre Mitterrand attribuée à la suppression de l’IGF – prédécesseur de l’ISF -, le 55 rue du Faubourg Saint-Honoré refuse systématiquement toute mesure visant à son allègement et l’a même alourdi en 1995 en limitant les allègements possibles. Le processus s’est donc répété à l’automne 2004 : n’ont été acceptées que l’indexation du barème (qui détermine les seuils d’imposition) et, oh ! surprise, une mesure ISF-PME destinée à créer des emplois.
L’accord présidentiel semblait si bien acquis que, lors d’une séance de l’Assemblée nationale, le ministre des Finances de l’époque, Nicolas Sarkozy, annonce la réunion d’une mini-commission mixte Sénat-Assemblée réunissant présidents et rapporteurs généraux des deux commissions et deux parlementaires de chaque assemblée pour élaborer un amendement.
Ladite commission se réunit, et le Sénateur Marini, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat fait adopter par celle-ci un amendement mi-novembre. Cet amendement propose qu’un investissement direct – type Business Angel – dans une très petite PME, dite PME communautaire, puisse donner lieu à une réduction de l’impôt à payer égale au quart de l’investissement, dans la limite de 50.000 €. C’est le premier texte sérieux visant à promouvoir les Business Angels, les autres – comme la SUIR – ayant été des échecs notoires faute d’incitations fiscales suffisantes.
L’amendement Marini est salué alors comme un grand espoir par tous ceux qui essaient de faire naître les Business Angels, de nouvelles entreprises et de nouveaux emplois en France. C’était sans compter l’Elysée.
L’amendement n° I-7, présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Après l’article 9 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
A.- Après l’article 885 V bis du code général des impôts, il est rétabli un article 885 V ter ainsi rédigé :
« Art. 885 V ter. – I.- Le redevable de l’impôt de solidarité sur la fortune calculé dans les conditions prévues à l’article 885 U peut bénéficier d’une réduction de son impôt égale à 25 % du montant des souscriptions au capital, en numéraire ou en nature par apport de biens nécessaires à l’exercice de l’activité, d’une société dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, répondant à la définition des petites et moyennes entreprises figurant à l’annexe I au règlement (CE) n° 70/2001 de la Commission, du 12 janvier 2001, concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de l’Etat en faveur des petites et moyennes entreprises si les conditions suivantes sont réunies au 1er janvier de l’année d’imposition :
« a. La société exerce exclusivement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ;
« b. La société a son siège de direction effective dans un Etat membre de la Communauté européenne ;
« c. Le redevable ne détient pas plus de 25 % des droits financiers et des droits de vote.
« Le redevable doit conserver les titres reçus en contrepartie de sa souscription au capital de la société jusqu’au 31 décembre de la cinquième année suivant celle de la souscription. La réduction d’impôt obtenue fait l’objet d’une reprise lorsque cette condition n’est plus respectée.
« Les titres reçus par le redevable en contrepartie de sa souscription au capital dans les conditions prévues par le présent article ne sont pas compris dans les bases d’imposition à l’impôt de solidarité sur la fortune.
« II.- Le redevable de l’impôt de solidarité sur la fortune calculé dans les conditions prévues à l’article 885 U peut bénéficier d’une réduction de son impôt égale à 60 % du montant des versements effectués en faveur d’organismes définis aux a etc du 1, et au 1ter, de l’article 200 du code général des impôts.
« III.- Le montant global des réductions d’impôt obtenues par un redevable de l’impôt de solidarité sur la fortune au titre des I et II du présent article ne peut excéder 50 000 euros.
« IV.- Le bénéfice des I et II est exclusif de toute réduction d’impôt sur le revenu.
« V.- Un décret fixe les obligations déclaratives incombant aux redevables et aux organismes visés au I et II. »
B.- Les dispositions prévues au A s’appliquent à compter du 1er janvier 2005.
C.- L’article 885 Iter du code général des impôts est abrogé à compter du 1er janvier 2005.
D.- La perte de recettes résultant pour l’Etat des dispositions du A ci-dessus est compensée par la création à due concurrence d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,rapporteur général. Cet amendement a été présenté dans son principe tout à l’heure, au début de la discussion sur l’ISF. Il prévoit une réduction d’impôt de 25 % des investissements réalisés directement dans des PME non cotées, dans la limite de 200 000 euros, ou de 60 % des versements effectués en faveur de fondations et d’associations d’intérêt général, dans la limite de 83 000 euros.
Le montant global des réductions d’impôt obtenues par un redevable de l’ISF au titre du double dispositif proposé serait plafonné à 50 000 euros et aucun cumul ne serait possible avec les autres dispositifs existants, en particulier en matière d’impôt sur le revenu.
Monsieur le secrétaire d’Etat, il faut absolument, dans notre pays, encourager le capital risque, encourager les investisseurs providentiels à prendre des risques en souscrivant directement au capital de petites et moyennes entreprises, quel que soit le secteur d’activité. Le levier fiscal proposé serait très puissant pour donner confiance à un porteur de projet, pour apporter du crédit à une entreprise, pour exercer un effet psychologique favorable dans le monde des entreprises et, au bout du compte, pour stimuler la création d’emplois.
Par ailleurs, notre pays a besoin de fondations fortes ; nous en avons déjà parlé à propos d’un autre sujet, vendredi dernier. La recherche, le patrimoine, l’action humanitaire doivent pouvoir faire l’objet d’apports personnels directs de personnes privées désireuses d’attacher leur nom à des oeuvres d’intérêt général. Ces fondations travaillent dans la durée et dans l’indépendance : ce ne sont pas des organismes d’Etat. Bien sûr, elles doivent respecter la loi et satisfaire à des critères stricts lors de leur création comme dans la poursuite de leur activité, mais ce sont les personnes qui les dotent de moyens qui définissent leurs objectifs et leur mode de gestion.
Monsieur le secrétaire d’Etat, nous n’avons pas trop d’argent pour la recherche, nous n’avons pas trop d’argent pour le maintien et la mise en valeur du patrimoine national, nous n’avons pas trop d’argent pour l’action humanitaire. Dès lors que l’ISF existe, il faut s’en servir pour apporter plus d’argent à la recherche, au patrimoine national, à l’action humanitaire et caritative.
La commission des finances a donc pensé que, dans le cadre qui avait été évoqué à l’issue de la première lecture à l’Assemblée nationale, il fallait proposer un dispositif de cette nature, un dispositif marchant sur deux jambes, de manière à respecter la liberté du contribuable soit de participer au développement du projet économique d’une PME soit de doter une oeuvre d’intérêt général.
On peut, bien entendu, discuter le quantum proposé. Du reste, les propositions de la commission des finances sont toujours destinées à être discutées. Il convient évidemment de placer le curseur au bon endroit. Mais, pour que la mesure ait une vertu politique et économique, il faut qu’elle soit suffisamment attrayante. En outre, elle doit être lisible : il ne sert à rien de prendre des mesures taillées au cordeau et de fixer des conditions telles qu’en définitive seuls les intermédiaires, les conseillers ou les démarcheurs de tout poil peuvent les comprendre !
Monsieur le secrétaire d’Etat, la commission croit beaucoup dans l’amendement qu’elle a présenté.
2 commentaires
Le 1er ISF-PME – L’amendement Philippe Marini de novembre 2004
Il y a eu à l’époque, deux ans avant le bouclier, plusieurs « exercices » pendant lesquels on pouvait même payer plus d’impôt que l’on a de revenu ! Cela parait inconcevable, mais c’est possible à cause de la différence entre le revenu fiscal (pension alimentaire déduite), et le revenu considéré pour le plafonnement (pension alimentaire NON déduite) Le résultat de cet effet de ciseaux est pour un revenu faible, avec un pension alimentaire dûe, et un patrimoine immobilier, qu’il fallait emprunter pour payer ses impôts et assurer les dépenses quotidiennes !
Le même piège est en train se mettre en place en ce moment, avec le plafonnement à 75 % d’un revenu qui incluera les revenus « potentiels » de l’assurance vie, et autres placements…
Où va t on ?
Le 1er ISF-PME – L’amendement Philippe Marini de novembre 2004
Les lois sont ainsi faites qu’elles ne répondent souvent qu’en apparence à leur objet, tiraillées par des intérêts contradictoires, mais paradoxalement plus souvent complices: envie de bénéfices politiques immédiat d’un côté, retours fiscaux immédiats de l’autre, le court terme pervertit l’essence même de l’intérêt à long terme de la société.
Il en est ainsi de toutes les défiscalisations en faveur de l’investissement dans les pme. Partant d’un objectif louable d’encouragement aux investissements, elles introduisent nombre de distorsions qui en définitive s’avèrent non seulement critiquables mais desservent l’objet initial, deviennent contre-productives quand elles ne sont pas carrément anti-concurrentielles.
Je mesure bien que ces propos en feront sursauter plus d’un, à l’heure où les esprits les mieux intentionnés réclament des mesures en faveur de l’investissement dans les pme (et d’ailleurs pourquoi seulement elles). Tout le monde semble s’y retrouver. Les entreprises par un accès à des capitaux. Les assujettis à des réductions substantielles d’impôts. Les réseaux bancaires à des commissions juteuses de placement.
Ce système d’incitations fiscales introduit un biais de concurrence entre les gros redevables, et les autres. C’est contraire même à toute éthique libérale, pour autant qu’on s’en réclame! Pour un même investissement, il en coutera jusqu’à 25% de moins à celui qui bénéficie du maximum de dégrèvements.
L’investissement dans les entreprises est un effort de long terme. Il contribue à la croissance générale de l’économie en général par un coefficient multiplicateur supérieure à 1, là où la dépense publique est malheureusement bien en dessous (d’où une accumulation irrépressible de la dette publique). Ce ne sont pas les mesures à caractère courtermistes qui l’encourageront. Si l’Etat réclame 60% de taxes sur les plus-values, il faut qu’il accepte de prendre en charge 60% de l’investissement ! Impensable bien sûr. Ce n’est pas non plus les petits bouts d’investissements dont l’économie a besoin, vision étriquée et sans ambition. C’est d’un choc d’investissements dont on a besoin, massifs, ambitieux. Penser gros pour réussir. Et cela, c’est par l’incitation à rapatrier les capitaux que ce type de choc pourra se faire, et non pas par la spoliation. L’économie, l’emploi, et l’Etat, y ont infiniment plus à gagner que les rengaines dogmatiques contre les « riches », avec leurs marottes de l’ISF et de la taxation massive des plus-values.
A travers ce va et vient incessant entre impositions absurdes d’un côté et mesures incitatives de l’autre, on réalise toute l’aporie de la conception fiscale française.