L’open data, expression anglaise, couvre l’utilisation par le public d’informations générées par les services publics. On pourrait penser que l’exploitation de cette information est gratuite pour le grand public ; mais il n’en est rien car cela fait de nombreuses années qu’une grande partie de cette information est facturée à ceux qui l’utilisent et les produits de cette facturation versés aux services ou ministères qui l’ont produite, qui à leur tour les reversent au personnel en vertu de la fongibilité introduite par la LOLF en 2001. Cela n’émeut nullement l’administration que le personnel dont la fonction payée par le budget public est de préparer cette information se voie payé une deuxième fois par le jeu de ces redevances.
On pouvait espérer que cet abus disparaîtrait progressivement. Mais la loi sur le numérique le consolide.
Vers un open data élargi ?
On aurait pu imaginer que la loi sur la « République numérique » balaierait les restrictions d’un autre âge imposées à l’utilisation de données publiques et proclame un principe général de transparence, avec des exceptions listées. Le bon sens voudrait que le gouvernement mît fin au pouvoir discrétionnaire sur la communication des données publiques. Malheureusement, il n’en est rien, et la France devra continuer à faire avec cette limitation exorbitante au droit communautaire.
La loi se contente en effet de lister les documents qui doivent à l’avenir faire l’objet d’une communication de droit :
1° Les documents qu’elles communiquent en application des procédures prévues par le présent titre, ainsi que leurs mises à jour ;
2° L’ensemble des documents qui figurent dans le répertoire mentionné à l’article 17 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal ;
3° Les bases de données qu’elles produisent ou qu’elles reçoivent et qui ne font pas l’objet d’une diffusion publique par ailleurs, ainsi que le contenu de ces bases ;
4° Les données dont l’administration, qui les détient, estime que leur publication présente un intérêt économique, social ou environnemental.
Cette énumération constitue donc un solide frein au principe de l’open data, même si la loi précise que la communication doit se faire selon des standards aisément réutilisables. C’est mieux que rien, mais la France, à l’issue de cette loi, restera loin de l’open data en tant que tel.
L’open data et le fichage public
Dans le même temps où les administrations préservent leur pré carré, la loi instaure un étonnant principe : elle élargit aux administrations le droit d’accès aux documents administratifs. Autrement dit, le droit réservé aujourd’hui au public d’avoir accès à des documents administratifs sera élargi… aux autres administrations.
La communication des données publiques d’une administration à l’autre sera obligatoire. En principe, la communication devra répondre aux prescriptions en matière d’anonymat, mais on voit bien que, sous couvert d’instaurer un open data, c’est à une interopérabilité entre fichiers numériques que le gouvernement ouvre la voie.
Le Conseil d’État, dans l’avis qu’il a rendu sur le sujet, n’a d’ailleurs pas manqué de souligner les risques liés à cette idée en termes de libertés publiques :
Le Conseil d’État rappelle que l’obligation ainsi créée de transmission de telles informations entre administrations doit s’exercer dans le respect des prescriptions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés lorsque les données en cause présentent un caractère personnel. En particulier, et alors même que le traitement de ces 4 données a fait l’objet des déclarations ou autorisations requises par cette loi à l’initiative de l’administration d’origine, l’administration bénéficiaire doit, si nécessaire, procéder à de telles formalités afin de rendre effectives, à son niveau, les garanties consacrées par cette loi en matière, notamment, de finalité du traitement et de droit d’accès et de rectification. Par suite, le Conseil d’État a estimé nécessaire d’ajouter une mention renvoyant aux obligations résultant de la loi du 6 janvier 1978 précitée.
Il est vrai que les premiers bénéficiaires de ces abus sont les membres du Conseil d’État.
C’est en effet la pratique que les conclusions des rapporteurs publics du gouvernement près la Cour de cassation ou le Conseil d’État, sont considérés comme des droits privés de propriété intellectuelle ce qui permet aux rapporteurs de les « revendre » le plus légalement du monde à des revues juridiques (dont le LEBON), alors même qu’ils n’ont pas d’obligation de les rendre publiques (seul le prononcé oral est obligatoire). Là encore on paie deux fois un service… puisque ces conclusions sont rédigées dans le cadre de l’exercice du service public, et rémunéré en tant que tel, mais restent « la propriété de leur auteur »…
On comprend que nombreux sont ceux qui dans la haute administration, voient d’un mauvais œil cette « révolution de l’Open Data ».